Le site de Tautavel, près de Perpignan, est un des plus importants sites archéologiques d'Europe, offrant un aperçu fascinant de la vie des premiers humains en Europe. Un documentaire diffusé sur France 5 et un livre nous racontent cette extraordinaire découverte.
Le site de Tautavel, et plus précisément la Caune de l’Arago, est l’un des lieux les plus emblématiques de l’archéologie préhistorique en Europe. Cette grotte, située près du village de Tautavel dans les Pyrénées-Orientales, est perchée à 80 mètres au-dessus de la plaine et surplombe la rivière Verdouble. Elle est devenue un véritable trésor pour comprendre nos origines humaines.
La découverte majeure : Arago 21
Le 22 juillet 1971, une découverte exceptionnelle marque un tournant dans l’histoire de la grotte : un crâne humain vieux de 450 000 ans, surnommé Arago 21, est mis au jour. Ce fossile est alors la plus ancienne face humaine découverte en Europe. Associé à l’espèce Homo heidelbergensis, il offre un aperçu unique sur les premiers Européens.
Un réservoir fossile prodigieux
En plus des fossiles humains, la grotte de Tautavel a livré plus de 400 000 objets, dont des outils de pierre taillée. Ces découvertes permettent de reconstituer leur mode de vie et leur environnement. Les scientifiques ont même utilisé les données des fouilles pour créer une reconstitution virtuelle de la vallée de Tautavel il y a 550 000 ans, identifiant les animaux et les plantes présents à cette époque.
La Caune de l’Arago continue d’être fouillée et étudiée, offrant des informations précieuses sur l’histoire des premiers Européens.
Un livre et un documentaire sur l’Homme de Tautavel
En mai 2023, Emma Baus pose sa caméra à Tautavel. Elle travaille entre autres, avec la paléoanthropologue Amélie Vialet. Le documentaire sera diffusé le jeudi 28 novembre à 20h50 sur France 5. Le livre "ORIGINES, Tautavel, notre longue histoire avant Néandertal" (Editions Albin Michel) est un support du documentaire. Il est enrichi par une très belle iconographie.
5 questions à Amélie Vialet, paléoanthropologue
Paléoanthropologue: le métier d'Amélie Vialet consiste à travailler sur les restes fossilisés du squelette des humains anciens. Elle suit le changement morphologique au cours du temps des premiers humains jusqu’à aujourd’hui.
La grotte de Tautavel a-t-elle un équivalent dans le monde ?
Les conditions sont exceptionnelles à Tautavel. Il y a peu d’érosion alors qu’il y a quinze mètres de couches. Et donc le niveau de conservation est très bon. La singularité du site, c’est aussi la longue période qui est couverte entre 700 000 ans et 100 000 ans. Après, il nous faut du temps pour mettre tout cela au jour et à Tautavel, on bénéficie de 60 années de fouilles, depuis le 1er avril 1964. Comme on fouille ces niveaux au pinceau, cela ne va pas vite d’où l’intérêt de pouvoir travailler sur du long terme.
En quoi le crâne Arago 21, découvert en 1971 est une découverte majeure ?
Les Néandertaliens sont enfouis dans des sépultures, ça aide à la conservation et on les découvre début 20ème siècle.
Avant 1970, il n’y a pas de découverte sur des périodes plus anciennes. Et puis cette découverte, c’est une face, c’est quelque chose de très fragile car il y a beaucoup de cavités creuses et souvent elle ne se conserve pas. Des faces pour des fossiles, on en a finalement très peu dans le monde. Et cela a permis un vrai face-à-face avec l’homme de Tautavel, avec ses humains du passé. Pour l’imaginaire collectif, on peut se représenter cet ancêtre de 500 000 ans.
Cela a permis un vrai face à face avec l’homme de Tautavel, avec ses humains du passé. Pour l’imaginaire collectif, on peut se représenter cet ancêtre de 500 000 ans.
Amélie Vialet, paléoanthropologue
A quoi ressemblait l’homme de Tautavel ?
Ce sont des groupes humains qui ont vécu à des périodes différentes. Certains à 450 000 ans comme Arago 21, d’autres à 560 000 ans, donc ce ne sont pas les mêmes.
Un peu en dessous 1,70m et autour de 80 kg et au-delà de ça, on ne peut pas en dire grand-chose.
Ils ont traversé des périodes glaciaires, comment ont-ils survécu ?
Nous sommes autour du demi-million d’années. Il fait très froid. Les bœufs musqués et les rennes descendent jusqu’à la Méditerranée. Tautavel a cela de particulier, c’est qu’on n’a pas de traces de maîtrise du feu. On n’a pas la preuve qu’ils savaient produire délibérément du feu. Cela aurait été la meilleure parade contre le froid.
Dans la grotte, ils trouvent refuge. Ils ont un régime très carné et donc riche en protéine qui les aide à lutter et on pense qu’ils récupéraient les peaux pour en faire des fourrures mais sans en faire de la couture. On n’a pas de trace comme quoi ils pouvaient confectionner des vêtements.
Vous évoquez le cannibalisme …
On a tous les arguments. Il y a le contexte. Les groupes vont rapporter les animaux qu’ils vont consommer et parmi ces animaux, il y a des humains. On observe les mêmes gestes de boucherie sur les animaux que sur les humains. Comme on sait que sur les animaux, le but était de les consommer, on peut en déduire qu’ils ont consommé leurs congénères.
Mais je ne pense pas qu’ils mourraient de faim. Je pense que c’est soit par opportunisme, on a un mort dans sa tribu, finalement on le consomme car on l’a acquis à moindre coût et ça apporte des nutriments ou soit c’est un comportement très symbolique, un rituel par rapport à la mort. Pour lui rendre hommage, c’est la façon dont on procède, de le consommer, c’est possible ou alors pour le groupe d’à côté, un trophée de guerre que l’on consomme.
Il y a sans doute une pensée symbolique, un système de représentation autour de ces pratiques mais alors qui nous échappe complètement. On n’a pas de preuve pour favoriser l’une ou l’autre des hypothèses.
Qu’attendez-vous des prochaines recherches ?
Les recherches archéologiques sont souvent un cadeau, inattendu. Beaucoup de découvertes nous déstabilisent. On se laisse guider par les fossiles que l’on met au jour et c’est bien eux qui nous permettent de reconstituer l’évolution.
A Tautavel, ce qui nous intéressait, c’était de continuer les fouilles pour aller sur des niveaux plus anciens. On est à 560 000 ans et l’objectif est de descendre jusqu’à 700 000 car dans cet intervalle de temps, on n’a pas quasiment pas d’autre site. L’idée est de savoir quels sont ces humains, la différence qu’ils ont avec ceux que l’on connaît, à quels rythmes se font les changements morphologiques au cour du temps. Aller plus loin dans le temps est très important pour combler cette lacune.
Emma Baus, réalisatrice du documentaire Tautavel : vivre en Europe avant Néandertal
Pourquoi avoir souhaité réaliser un documentaire sur l’homme de Tautavel ?
Je suis originaire des Pyrénées-Orientales. Toute ma famille habite à Prades. Je connais l’histoire de l’homme de Tautavel et de la grotte depuis très longtemps. Réalisatrice de films scientifiques, je savais pertinemment qu’il n’y en avait jamais eu sur le sujet, c’était quand même incroyable.
Comment avez-vous travaillé ?
C’est un énorme travail de recherche. L’idée de faire le film, c’était en 2017. Puis en 2020, quand je me suis retrouvée coincée à ne pas pouvoir voyager à l’étranger, je me suis dit : "c’est dommage, on a des richesses tout près de chez nous". Et donc j’ai passé un an à explorer tous les livres et à rencontrer beaucoup de monde à Tautavel. J’ai réussi à convaincre une société de production puis France Télévisions en 2022. L’écriture même du film et des recherches, cela a duré trois ans et la réalisation en elle-même un an.
Quel est l'objectif de ce documentaire ?
Donner à percevoir ce que pouvaient être ces humains les plus anciens sur le seul français et montrer tout ce que l’on connaît d’eux. C’était de les rendre le plus proche possible de nous alors qu’on en sait si peu.
Objectif : les rendre le plus proche possible de nous alors qu’on en sait si peu.
Emmas Baus, réalisatrice
L’idée était de voir tous les scientifiques qui travaillent depuis des années à Tautavel. J’ai travaillé main dans la main avec Amélie Vialet qui a vraiment pris la plume avec moi après avoir été ma conseillère scientifique et le personnage principal dans le film. C’était vraiment de les mettre sur le terrain et qu’à travers tout le travail de recherche qu’ils font, on ait le portrait-robot de ses humains de Tautavel qui se dessinent progressivement. Le tournage n’a pas été difficile.
Ce qui est fou, c’est qu’à Tautavel, on a un lieu qui a été habité des dizaines et des dizaines de milliers d’années. Entre 700 000 ans et 400 000 ans en Europe à l’époque où l’Europe était soumise à un climat glacière. Tautavel est un très, très rare lieu où on a la preuve du comportement de vie d’humain qui ne maîtrise pas le feu dans un environnement glacière.
Quel est l'apport du livre par rapport au documentaire TV ?
J’ai fait énormément de recherches et un film ne fait que 90 minutes. Il y a plein de choses qui sont restées dans mon ordinateur et c’est trop bête. L’idée était de publier un livre qui a la chance de s’appuyer sur une magnifique iconographie et d’aller au-delà.
Tous les enfants qui à partir de 7-8 ans ont un intérêt soit pour l’histoire, la science ou le passé peuvent voir le film.
Emma Baus
Le film, je l’ai terminé il y a un an. On a tout repris à zéro avec Amélie pour écrire le livre. C’est un prolongement du film. Il y a une volonté d’être beaucoup plus exhaustif. C’est un livre qui s’étend bien au-delà du site de Tautavel. Moi, j’aurais bien voulu avoir un tel livre lorsque j’ai préparé mon film. Ce qui m’intéressait c’était de connecter Tautavel avec les autres sites européens de la même période.
Le grand public, c’est quelque chose qui me tient énormément à cœur. Ce qui m’intéresse, c’est vraiment qu’on puisse faire comprendre les choses. Tous les enfants qui à partir de 7-8 ans ont un intérêt soit pour l’histoire, la science ou le passé peuvent voir le film. On a tout fait pour qu’il soit accessible.
Tautavel : vivre en Europe avant Néandertal
Science grand format
Jeudi 28 novembre à 21.05 sur France 5 et sur france.tv