Le 24 novembre 1974, un fossile est découvert à Hadar, en Éthiopie. Il sera nommé Lucy. Ce squelette d’Australopithecus afarensis, vieux de 3,2 millions d’années, révolutionne notre compréhension de l'évolution humaine. Mesurant environ 1,1 mètre, Lucy reste un symbole de la paléoanthropologie et continue d'inspirer l'intérêt pour la préhistoire. Sonia Harmand, archéologue, nous en parle.
Le 24 novembre 1974, la paléoanthropologie connaît un tournant avec la découverte du fossile AL 288-1, connu sous le nom de "Lucy". Ce squelette partiel d’Australopithecus afarensis, vieux de 3,2 millions d’années, est devenu emblématique et a inspiré de nombreuses vocations.
En 2011, Sonia Harmand et son équipe découvrent à Lomekwi, au Kenya, le plus ancien site archéologique connu, révélant des outils lithiques datant de 3,3 millions d'années. Ces artefacts, contemporains de Lucy, repoussent l'origine de la fabrication d'outils avant l'apparition du genre Homo.
Sonia Harmand, aujourd'hui chercheuse au laboratoire toulousain Traces (Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés) du CNRS concentrent ses travaux sur l'évolution cognitive des premiers hominines en Afrique de l'Est. Entretien.
Lucy, ou plutôt des membres de son espèce, ont-ils pu utiliser ces outils ?
Sonia Harmand : En fait, on attribue à Lucy les outils de Lomekwi parce que c'est la façon la plus simple de faire, puisque ces outils lui sont contemporains.
Lucy a été importante pour tout ce qu'elle nous a donné comme informations sur la bipédie, sur le cerveau, sur les modèles de l'évolution humaine. Mais mes découvertes sont sur un aspect de Lucy dont on parle encore très peu: l'aspect plus cognitif.
Qu'avez-vous appris sur Lucy grâce à ces outils ?
Sonia Harmand : Les homininés qui taillaient à Lomekwi n'en étaient pas à leur premier galop d'essai, parce qu'on a déjà une sorte de maîtrise, une production en série d'éclats (de pierre, ndlr). Cela n'a pas été ramassé comme ça, de façon opportuniste. On a vraiment une sélection de roches très particulières, qui montre qu'ils les avaient déjà taillées avant et connaissaient déjà leurs propriétés.
Quand on parle de tranchant, de couteaux, bien sûr, on pense à trancher de la viande. Mais ça aurait pu être aussi pour couper des plantes comestibles, par exemple. Et puis, on a tout un tas de marques de percussion sur certains de nos outils qui nous font penser qu'ils cassaient probablement aussi des os pour accéder à la moelle osseuse.
Et on a aussi des informations sur les dents de Lucy, qui nous montrent qu'elle avait un régime alimentaire assez varié, entre des plantes, des fruits, des choses un peu tendres. Et puis, des choses plus dures, comme elle a quand même des grosses molaires, donc probablement consommation de tubercules, de noix, de graines, de choses comme ça.
Comment êtes-vous parvenue à déterminer tout cela, si longtemps après?
Sonia Harmand : Il n'y a que nous qui sommes assez tordus pour le faire, mais tailler un outil, c'est-à-dire détacher un éclat fonctionnel ayant des propriétés coupantes et un tranchant assez long, d'un nucléus (bloc de pierre d'où sont extraits des éclats, ndlr), ça requiert pas mal de compétences techniques et d'intelligence parce qu'il faut comprendre la matière. Toutes les roches ne sont pas de qualité égale.
Les homininés, il y a 3,3 millions d'années, savaient déjà repérer quelles allaient être les roches les plus adaptées ou faciles à tailler. (...) En regardant l'enchaînement des éclats, la façon dont ils sont sortis des nucléus, on rentre finalement dans leur tête, leur raisonnement, et on arrive à qualifier leur capacité à planifier, à anticiper, parfois à contourner des obstacles techniques qu'ils vont rencontrer.