La piscine Talleyrand de Reims (Marne) n'a pas forcément laissé un bon souvenir aux personnes qui ont appris à y nager dans les années 70. En cause notamment : un appareil Trotzier et un maître-nageur, tour-à-tour qualifiés en des termes peu amènes.
Pour certaines personnes, apprendre à nager n'a rien eu d'une partie de plaisir. Autrefois plus qu'aujourd'hui, elles ont pu être confrontées à des méthodes, des engins, et des moniteurs qui leur ont laissé un souvenir amer.
Quelques unes sont passées par les bassins de la piscine Talleyrand de Reims (Marne). Celle-ci a été édifiée après-guerre, en 1931, par Lucien Pollet, à qui l'on doit la célèbre piscine Molitor de Paris (Île-de-France). C'est la première piscine couverte bâtie dans la Cité des sacres.
À l'intérieur, la piscine est fort caractéristique, avec son style Art déco. Dehors, la façade est couverte de carreaux de carrelage jaunes et noirs : inratable.De quoi aussi évoquer les couleurs de l'ancien bus des années 90 de l'Astur qu'on aperçoit parfois rouler dans Reims.
L'appareil de nage Trotzier (des schémas sont disponibles en ligne) n'a pas forcément laissé un bon souvenir aux anciens et anciennes de Talleyrand. C'est ce qu'on découvre sur le groupe Facebook Tu sais que as habité à Reims si... Une dame, "angoissée" en repensant à cette méthode d'apprentissage en 1958, a lancé un appel à témoignages. Elle évoque les années 50 et 60 avec "un engin de torture", en montrant une image d'illustration (il ne s'agit pas de Talleyrand, mais on comprend l'idée).
Harnachés dans l'eau
Durant l'automne, de nombreuses personnes ont échangé à ce sujet. Parmi lesquelles Virginie Blum, qui vivait à Reims "aux grandes heures de Talleyrand", et qui y vit toujours. Elle a raconté son vécu à France 3 Champagne-Ardenne : née en 1958, elle en a profité vers 1966. "Cette image m'a fait remonter des souvenirs. Ça m'a rappelée mon enfance, quand avec ma mère, j'allais à Talleyrand pour apprendre à nager."
"On avait ce portique blanc au bord de la piscine [l'appareil Trotzier; ndlr]. On était harnaché dessus avec des flexibles, des chaînettes... [On avait des choses] en plastique blanc, avec une grosse boucle, un peu comme les ceintures de flottaison avec des blocs bleus en mousse qu'on a encore à la piscine."
"C'était simple : ça permettait au maître-nageur d'être au bord, et à l'apprenti de faire des bouts de longueurs sur six ou sept mètres Et on faisait des demi-cercles dans l'eau avec : en long, en large..." Mais elle confirme. "Un engin de torture, c'est bien ça..."
"Ça aurait pu fonctionner, avec quelqu'un d'encourageant. Mais ça n'a jamais été le cas." Elle fait référence au maître-nageur qui lui donnait les leçons. Elle a donc été plus marquée par l'encadrant que par le dispositif de nage.
Un maître-nageur "traumatisant"
En effet, elle se rappelle "du maître-nageur, qui devait s'appeler Marcel, si je ne m'abuse. C'était un monsieur aux cheveux blancs grisonnants, d'âge incertain, mais proche de la retraite, je pense. Il n'avait aucune diplomatie, ni bienveillance. Je ne l'ai jamais vu sourire : aucun encouragement ou signe positif : rien. Il traumatisait tout le monde."
Sa mère, par exemple. "J'y suis allée avec elle, c'était l'occasion pour ma mère d'apprendre à nager." Eh bien elle aurait mieux fait d'aller ailleurs car, in fine, elle n'a jamais su nager. "Le maître-nageur avait une perche. Et [quand on était harnaché au portique blanc], il nous tapait plus ou moins sur la main, sur le pied, quand un geste n'allait pas. Bon, il ne nous faisait pas mal... mais c'était un coup de perche quand même."
Il ne nous faisait pas mal... mais c'était un coup de perche quand même.
Virginie Blum, une Rémoise qui a tenté d'apprendre à nager à la piscine Talleyrand
D'un point de vue plus personnel, "je me rappelle que la première fois qu'il m'a obligée à sauter à l'eau, j'avais la trouille. J'étais accrochée à la perche, et il a tiré un grand coup dessus pour me faire tomber dans l'eau." De quoi ne pas lui donner extrêmement envie de poursuivre l'aventure...
Du reste, "ce n'est pas du tout grâce à ce Marcel" qu'elle a appris à nager. "On a arrêté : on n'en pouvait plus. J'ai appris avec une jeune fille qui préparait son brevet de maître-nageur. C'était la fille d'un collègue de ma mère. Elle est venue à la piscine avec moi, dans le petit bain, m'a mise en confiance, et j'ai pu apprendre à nager comme ça. Comme quoi, il y a près de 60 ans, on pouvait déjà avoir une pédagogie adaptée et bienveillante."
Pour sa propre fille, l'apprentissage fut moins rock'n'roll. "C'était en 1997 : elle avait 6 ans à l'époque, soit 33 ans aujourd'hui. Elle a appris à nager dans une piscine de club sportif : c'était l'ancien Gymnasium de la rue de Courcelles."
Le maître-nageur a passé dix minutes avec elle au bord de la piscine, pour la convaincre de sauter. Il ne l'a jamais poussée.
Virginie Blum, dont la fille a appris à nager avec une méthode bienveillante
"Le maître-nageur a passé dix minutes avec elle au bord de la piscine, pour la convaincre de sauter. Il ne l'a jamais poussée. Ma fille l'a fait d'elle-même, et c'est une super nageuse, maintenant." Quant à son petit-fils, il a appris "dès 5 ans, avec quelqu'un de génial". Tout est donc question de personne : autre temps, autres moeurs...
Certaines personnes ont maintenant peur de l'eau
Dans les commentaires réagissant à la publication sur cet "engin de torture", plusieurs n'ont pas eu une expérience positive avec cet appareil. D'autres évoquent le fameux Marcel (et pas très positivement). Et l'associent désormais, avec l'appareil Trotzier, à une regrettable peur de l'eau. Il semblerait que les coups de perche pouvaient aussi être donnés sur la tête...
Un certain Doumy mentionne un "système affreux". Il ne l'a pas essayé, mais son frère, oui. Et la pédagogie employée est glaçante. "Ça me rappelle de mauvais souvenirs car il était handicapé. On le laissait la tête dans l'eau alors qu'il n'arrivait pas à la relever..." Quant à une dénommée Claudine, elle fait part d'"un blocage causé" par cette méthode d'apprentissage, "et finalement, je n'ai su nager qu'à 59 ans".
Josiane, de son côté, évoque sa "peur bleue et un très mauvais souvenir. J'étais toute petite, c'était en 1967, je crois. J'ai basculé de la ceinture, bu la tasse, et c'était fini pour moi. J'ai toujours peur de l'eau et ne suis pas à l'aise si je n'ai pas pied... Quelle horreur." De plus, "les cabines en pierre" n'ont pas participé à égayer son souvenir.
La peur, une Geneviève en fait mention dans son témoignage à France 3 Champagne-Ardenne. "J'avais 8 ou 9 ans lorsque ma mère m’a inscrite à la piscine Talleyrand de Reims, en 1963 ou 1964. Une potence nous menait à deux mètres du bord, dans la partie la plus profonde. C'était sans bouée : cela faisait très peur."
"Le maître-nageur nous enseignait les mouvements de la brasse. Nous étions maintenus par une sangle à la taille, c'était très éprouvant de savoir qu’il y avait de la profondeur, et de maintenir la tête hors de l’eau... C'était un engin de torture pour apprendre à nager. : je n’en ai pas gardé un bon souvenir." Heureusement, à l'âge de 10 ans, elle a réussi à apprendre à nager "naturellement".
Michelle Hennequin évoque aussi auprès de France 3 Champagne-Ardenne que "malgré le fait que j'adorais la piscine, j'ai refusé d'y retourner au bout de deux séances. Du coup, j'ai appris à nager dans le canal."
Franck, lui, décrit son expérience comme "une misère. Le côté ludique, ils ne connaissaient pas." C'était dans les années 70, et l'appareil Trotzier ne semblait plus présent. "Mais j'ai connu la perche en alu et le sourire inexistant du maître-nageur. Je me planquais dans l'escalier..." Par contre, Laurent Denis précise à France 3 avoir appris à nager avec cet appareil vers 1976.
Des avis divergents
Toutefois, l'intégralité des gens qui ont appris à nager à Talleyrand à l'époque ne partage pas forcément le même avis. Quelques personnes ne semblent pas avoir été plus affectées que ça.
Par exemple, un dénommé Patrick. "Je garde un bon souvenir de cette piscine. J'y ai appris à nager. J'ai passé peu temps après mon brevet de 1 000 mètres. C'était le premier "diplôme" que j'obtenais et j'étais très fier." Toutefois, il est un peu plus jeune que les autres témoins, et n'a donc pas appris à nager avec cet appareil, ou avec le maitre-nageur concerné...
Par contre, Guy a connu ce système. "J'ai appris dans cette piscine. J'étais grand et j'allais sur les dernières ceintures, avec de l'eau jusqu'au cou. La pétoche tout au début... Mais que de bon souvenirs" ensuite. Pareil pour Christine, qui a "appris à nager comme ça. C'était dans les années 60 à 65. Avec mon mari, on était alignés sur trois lignes, mais on ne l'a pas vécu comme une torture. Maintenant, un vrai poisson dans l'eau."
C'est aussi le cas de Cathy Fontana, qui confie à France 3 Champagne-Ardenne que "la piscine Talleyrand était assez vétuste quand j'ai appris à nager. J'avais 8 ou 9 ans." C'était avec son école, en 1970 ou 1971. "Elle a été rénovée plus tard." (la voir sur la carte ci-dessous)
"Néanmoins, ces ceintures n'étaient absolument pas des engins de torture. Elles permettaient d'apprendre les mouvements de la brasse. On s'allongeait dessus à fleur d'eau et quand on avait bien capté, on passait aux ceintures avec des pains de liège. Et cette fois, on nageait bien dans l'eau. Ça a permis à de nombreux enfants rémois d'apprendre à nager..." De quoi relativiser un petit peu : un ressenti, c'est souvent personnel, et pas toujours partagé ou généralisable.
Si vous désirez aller vous y baigner (même s'il n'y a plus d'appareil Trotzier...), n'hésitez pas. Après sa fermeture momentanée pour raisons énergétiques à l'hiver 2022, Talleyrand accueille toujours du public. Mais ce ne sera bientôt plus le cas... pour un petit moment. De gros travaux de rénovation sont prévus, afin - notamment - de rendre à la piscine son aspect artistique d'antan.