Trois jours après la promulgation de la loi sur les retraites, le président de la République s'adresse aux Français à 20 heures. Mais une quelconque concession sur les 64 ans est difficilement envisageable, malgré la colère de la rue.
"Tourner la page", "se projeter vers l'après", "accélérer sur les solutions concrètes", "faire le bilan"...
Les éléments de langage distillés depuis quelques jours par la majorité présidentielle, au premier rang de laquelle Elisabeth Borne devant les cadres de Renaissance, samedi, lors du conseil national, ne laissent guère de doute sur la teneur des propos du président de la République, ce soir, à 20 heures.
Sans contradicteurs face à lui, au cours d'une allocation télévisée, Emmanuel Macron veut de toute évidence clore l'épisode chaotique de la réforme des retraites. Et personne ne semble croire à l'hypothèse d'un quelconque pas en arrière du président, après la promulgation de la loi, dans la nuit du vendredi 14 au samedi 15 avril dernier. Le timing, à ce titre, en dit long.
Tenir bon...
En 2006, c'est le Contrat première embauche, ou CPE, qui avait conduit des millions de gens dans la rue, durant quatre mois, entre janvier et avril, derrière un front uni de syndicats. Les similitudes avec la situation actuelle sont évidentes. A une différence près : que la loi, en 2006, est votée, sans recours au 49.3.
Comme Emmanuel Macron aujourd'hui, Jacques Chirac s'était adressé aux Français, qui continuaient d'exprimer leur opposition au CPE. A une différence près, une nouvelle fois : son allocution, le président de la République l'a prononcé avant de promulguer la loi.
Le 31 mars 2006, celui qui n'était qu'à une année de la fin de son deuxième mandat consacrait la majorité de son discours au CPE. Un discours qui avait un parfum de compromis. Jacques Chirac annonçait un éventail de modifications qui allait dans le sens d'un assouplissement de la loi, et demandait à Jean-Louis Debré, le président de l'Assemblée nationale, de les appliquer rapidement.
45 % des Français souhaitent un durcissement du mouvement
Sondage BFMTV
On imagine sans peine que l'intervention d'Emmanuel Macron ce soir sera d'une tout autre teneur. Le chef de l'Etat semble déterminé à imposer la loi sur les retraites sans l'expurger de ses aspects les plus sensibles. Peu importe la colère d'une partie des Français.
Selon un sondage Harris Interactive publié vendredi, après la décision du Conseil constitutionnel, 6 Français sur 10 appellent à une poursuite du mouvement social, et 45 % des sondés, soit près d'un Français sur deux, souhaitent un durcissement du mouvement. L'intersyndicale, qui se dit plus déterminée que jamais, appelle à une "mobilisation exceptionnelle" le 1er mai, en Corse comme ailleurs.
...mais sauver son quinquennat
La tâche, ce soir, paraît ardue. Difficile d'endosser le costume du fédérateur, du rassembleur, alors les tensions sont exacerbées, et qu'aucune concession de part et d'autre ne semble envisageable, concernant les 64 ans, qui cristallisent l'hostilité. Mais c'est néanmoins ce que devrait essayer de faire Emmanuel Macron.
Il n'a guère d'autre choix.
Contrairement à Jacques Chirac au moment du CPE, il reste encore au chef d'Etat actuel quatre années à passer l'Elysée. Quatre années qui s'annoncent compliquées, et c'est un euphémisme, alors que sa majorité à l'Assemblée nationale n'est que relative, que sa côte de popularité est sous la barre des 30 %, et que le pays semble fracturé comme rarement de récente mémoire.
A moins d'un revirement qui sidèrerait jusqu'aux siens, Emmanuel Macron pourrait donc s'attacher avant tout à tenter de convaincre les Françaises et les Français qu'il les a "entendus", "compris", et qu'il saura "tirer les enseignements" de la crise. Entonnant de nouveau un refrain désormais connu.
L''allocution de ce soir veut marquer le début de "l'après". Il ne serait guère surprenant qu'il concentre l'essentiel de ses propos sur les réformes prévues dans les prochains mois...
Pas sûr que cette volonté de renouer, à ses conditions, avec l'opinion publique et les syndicats porte ses fruits.
Autres temps, autres mœurs
Mais Emmanuel Macron connaît l'histoire de la Ve République. Et il sait que les concessions de Jacques Chirac aux syndicats et à l'opposition en 1996 avaient été un coup d'épée dans l'eau. Après la promulgation, le chef de l'Etat avait dû très rapidement suspendre suspendu la loi, devant la fronde populaire, et dix jours après son allocution, le CPE disparaissait du texte.
Emmanuel Macron s'en est peut-être souvenu. Et il ne voit pas l'intérêt de se livrer, ce soir, à une valse-hésitation qui a peu de chances de convaincre qui que ce soit...