C'était au tour de Jean-François Ricard, procureur du parquet national antiterroriste, d'être entendu par la commission d'enquête. Un témoignage qui ne fait que souligner encore les différences entre la dangerosité du détenu et son statut à la maison centrale d'Arles.
"Il y aurait beaucoup à dire sur la question de la dangerosité d'Elong Abé". Dès le début de son audition, Jean-François Ricard ne semble pas vouloir éviter le sujet, face à la commission d'enquête. Tout au long des deux heures qu'il va passer à l'Assemblée nationale, le procureur du parquet national antiterroriste va le répéter : "la persistance de la radicalisation ne fait aucun doute".
Et pour cause. Jean-François Ricard rappelle à un auditoire déjà convaincu que le détenu djihadiste mis en examen pour l'assassinat d'Yvan Colonna "fait partie du tout petit nombre d'individus qui ont rejoint l'Afghanistan et qui ont combattu sur place, ce qui prouve un engagement extrême".
De surcroît, à en croire le procureur, il ne s'en cache pas, puisqu'il "aurait exposé son idéologie radicale auprès de plusieurs codétenus à plusieurs reprises". A aucun moment, semble-t-il, une quelconque déradicalisation n'aurait été constaté, alors que l'homme, aujourd'hui, "est à l'isolement à la Santé, à Paris, où les incidents se poursuivent. Très récemment, il a tenu des propos virulents, menaçants à l'encontre des surveillants, et détruit le mobilier de sa cellule".
Dans la foulée, celui qui est auditionné aujourd'hui dans l'une des salles de l'Assemblée nationale égrène les "17 mentions à son casier". Recel, vols, faux, menaces de mort, contrefaçon, escroquerie, tentative d'évasion avec menace d'une arme, violence avec arme en détention, dégradation par moyen dangereux, et puis bien sûr, "les 9 ans d'emprisonnement pour faits terroristes, et engagement auprès des Talibans".
Autant de faits qui le maintiennent dans "le haut du spectre" en matière de radicalisation.
Contradictions
La commission d'enquête s'indigne d'un tel portrait, peu compatible avec l'emploi d'auxiliaire qu'Elong Abé occupait à la maison centrale d'Arles. Un poste qui lui a permis d'avoir accès à la salle d'activité où Yvan Colonna se trouvait, seul, le 2 mars 2022...
Jean-Félix Acquaviva, le président de la commission d'enquête, rappelle que l'administration pénitentiaire affirme qu'elle n'était pas au courant de ce classement, et que si cela avait été le cas, Franck Elong Abé n'aurait pu occuper ce porte.
Et pourtant, le procureur du PNAT l'assure, "Elong Abé fait partie de ces détenus pour lesquels on a une inquiétude énorme, et on n'a jamais cherché à le dissimuler à qui que ce soit".
La gestion d'un détenu dans les deux ans qui précèdent la date probable de sa sortie s'assouplit toujours, que ce soit un détenu de droit commun ou un détenu terroriste.
Jean-François Ricard, PNAT
De quoi rajouter encore à la confusion dans laquelle est plongée la commission d'enquête depuis le début des auditions. Jean-Félix Acquaviva, qui mène les débats, s'étonne de "la gestion clémente" dont à bénéficié Elong Abé.
Jean-François Ricard n'est pas de cet avis. Il rappelle les "320 jours de réduction de peine" qui ont été retirés à Elong Abé pour ces agissements. "Il fait partie des détenus qui ont été le plus sanctionnés parmi ceux que nous suivons. C'est tout sauf une gestion clémente".
Dangerosité
Cela ne suffit pas à convaincre les députés.
Ségolène Amiot, député LFI de Loire-Atlantique, le résume ainsi : "on constate qu'à votre niveau, ou à celui du renseignement, on avait connaissance de la dangerosité, et qu'on s'en inquiétait. Et pourtant, dans les faits, ce détenu a accès à un poste d'auxiliaire très facilement..."
Jean-François Ricard l'explique, en partie : "la gestion d'un détenu dans les deux ans qui précèdent la date probable de sa sortie [Elon Abé devait être libéré fin 2023 - NDLR] s'assouplit toujours, que ce soit un détenu de droit commun ou un détenu terroriste". Une nouvelle fois, on ne parvient pas à savoir si le procureur du PNAT, qui reste imperturbable, le constate, ou le déplore.
Il ajoute néanmoins une précision de taille pour tenter d'éclairer la différence entre les constatations du parquet et le traitement d'Elong Abé. "L'administration pénitentiaire fait une distinction entre dangerosité terroriste et dangerosité pénitentiaire", explique-t-il, en prenant l'exemple de personnes extrêmement nuisibles et dangereuses à l'extérieur, "et qui sont très calmes à l'intérieur, qui passent sous le radar".
Pas sûr, au vu dossier d'Elong Abé lors de son incarcération, que cela suffise à convaincre la commission d'enquête...
Quartier d'évaluation de la radicalité
Un dernier sujet qui fait débat, c'est celui de la non-affectation d'Elong Abé en QER, ou quartier d'évaluation de la radicalisation. Un sujet qui revient, en filigrane, depuis le début des auditions. Et qui pose problème aux députés, estimant que cela aurait pu permettre d'éviter le pire.
Jean-François Ricard le reconnaît d'emblée. Le 23 juillet 2019, quand l'administration pénitentiaire a consulté le PNAT, celui-ci a émis "un avis très réservé" sur le transfert d'Elong Abé. En clair, le parquet était contre.
Mais le procureur s'en explique. Pour lui, la lecture des députés de cette décision découle d'une méconnaissance de ce que sont les QER. "Les QER ne sont pas là pour éviter un comportement violent. C'est une simple évaluation".
Pensez-vous un instant qu'il y avait un doute sur un risque de passage à l'acte, au vu de son parcours ?
Jean-François Ricard, PNAT
Jean-François Ricard marque une pause, avant de reprendre : "pensez-vous un instant qu'il y avait un doute sur un risque de passage à l'acte, au vu de son parcours ? On est en présence de quelqu'un d'extrêmement dangereux, qui agresse surveillants, médecin, qui met le feu tous les trois jours à sa cellule ! Elong Abé aurait tout simplement représenté un danger pour le quartier d'évaluation de la radicalisation".
Le procureur de la République antiterroriste brandit une dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces, datée du 18 janvier dernier, qui exclut des QER "les profils présentant une pathologie psychiatrique avérée et non stabilisée, rendant impossible leur évaluation".
Pour Jean-François Ricard, cela ne fait aucun doute, c'est exactement le profil d'Elong Abé. "Ca l'était, en tout cas, en 2019..."