Deuxième jour des auditions menées par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, consacrées aujourd'hui à Laurent Ridel et Thierry Donard, le directeur de l'administration pénitentiaire et son directeur adjoint.
Après que les deux chefs d'établissement en poste alors qu'Yvan Colonna et Franck Elong Abé étaient incarcérés à Arles ont été auditionnés hier, c'est au tour de leurs supérieurs hiérarchiques, au niveau national, de se présenter aujourd'hui devant la représentation nationale.
Comme la veille, l'audition repose en grande partie sur le rapport de l'inspection générale de justice à la maison centrale d'Arles. Un rapport "édifiant, stupéfiant", dont "les conclusions pointent les manquements, insuffisances et failles, à la maison centrale, mais également au niveau supérieur", rappelle Jean-Félix Acquaviva, président de la commission d'enquête.
Laurent Ridel reconnaît que "la mort d'un homme, dans de telles circonstances, est un échec. Et ce n'est pas acceptable. Cet échec, en tant que directeur de l'administration pénitentiaire, je l'assume". Mais le directeur de l'administration pénitentiaire ne voudrait pas que le service public qui est sous sa direction soit résumé à cet échec, et il se lance longuement, en préambule, à une défense de cette administration pénitentiaire, malgré les "possibles insuffisances".
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Après que Laurent Ridel a retracé le parcours professionnel de Corinne Puglierini, la cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles, Jean-Félix Acquaviva s'agace, et dénonce des propos élogieux.
On ne peut avancer si la solidarité de corps n'explose pas devant les faits.
Jean-Félix Acquaviva
"Je suis très étonné des louanges que vous faites à madame Puglierini aujourd'hui, avec tout ce que l'on sait. Elle a menti, lors de sa première audition, le 30 mars, ce n'est pas contestable, et vous le savez. Vous êtes en train de nous dire que c'est une bonne directrice... C'est grave. On ne peut avancer si la solidarité de corps n'explose pas devant les faits".
Laurent Ridel se défend de minimiser les faits. "Je n'ai aucune intention de faire du corporatisme, surtout pas face à des faits aussi graves. Je ne nie pas les conclusions de l'inspection".
Pour autant, cette passe d'armes souligne le sentiment général qui se dégage des premières auditions de la commission d'enquête.
Une administration pénitentiaire, du niveau local au niveau national, dont la responsabilité a été pointée du doigt par l'inspection générale de la justice, et qui peine à répondre de ses fautes sans faux-fuyants. "Il ne suffit pas de dire que le fait est grave, il faut se mettre d'accord. Sinon on peut discuter encore deux heures", résume Jean-Félix Acquaviva.
Laurent Marcangeli, rapporteur, reprend la balle au bond, et recentre le débat sur le rôle de Corinne Puglierini dans l'affaire : "considérez-vous que le travail a été bien fait ?"
"Je n'ai pas d'éléments concernant les faits judiciaires. J'ai pris acte du travail réalisé par l'inspection judiciaire, et j'en ai tiré des conséquences, puisque le volet disciplinaire a été mis en œuvre. Mais permettez-moi de respecter le contradictoire, et madame Puglierini s'expliquera devant les instances dédiées à cette procédure".
La réponse à la question de Laurent Marcangeli attendra.
Levée d'isolement
Les débats avaient débuté par ce qui représente l'une des principales interrogations soulevées par l'assassinat d'Yvan Colonna par Franck Elong Abé le 2 mars 2022 : le fait qu'un détenu radicalisé, dont le comportement agressif avait été plusieurs fois constaté durant les mois et les années précédant le drame, a pu passer entre les mailles du filet, et se voir confier des tâches lui permettant d'approcher Yvan Colonna sans difficultés.
Laurent Ridel retrace le parcours d'Elong Abé, au fil de ses différents lieux d'intégration, des quartiers d'isolement jusqu'à sa venue à la maison centrale d'Arles, où l'on note une "amélioration sensible, par rapport à son comportement à Condé". C'est à Arles qu'est fait le choix de l'intégrer progressivement, jusqu'à levée de l'isolement, et détention classique. "La violence, c'est cela qui est étonnant, était plutôt tournée vers lui".
Le député RN des Bouches-du-Rhône, Romain Baudry, évoque la possibilité de pressions faites par Elong Abé sur d'autres détenus pour obtenir le poste d'auxiliaire pour la salle de sport, où s'est déroulé le drame.
La réponse est la même que celle donnée la veille par les chefs d'établissement : "il n'y a pas, à ma connaissance, de pressions d'Elong Abé sur des codétenus pour obtenir ce poste".
Concernant le système vidéo, qui n'a pas permis, durant 9 minutes, de dévoiler ce qui se passait dans la salle de sport, "le dispositif, c'est vrai, a conduit à l'échec. Cela n'avait jamais été le cas, mais un échec qui se traduit par la mort d'un homme est insupportable. Même si ces deux détenus n'étaient pas des amis proches, entretenaient des relations que je qualifierais de correctes, ce qui a sans doute conduit à une forme de banalisation de la surveillance".
Le statut, et le traitement appliqué à Yvan Colonna, sans oublier la question du rapprochement, ont également été abordés. Et Laurent Ridel l'affirme, "il n'y a pas eu de volonté, en tout cas de l'administration pénitentiaire, d'appliquer un régime particulièrement répressif concernant l'aspect pénitentiaire des choses. Il bénéficiait d'un régime classique dans le cadre du DPS".