Le gouvernement veut créer un parquet national dédié à la lutte contre la criminalité organisée et renforcer le statut de repenti. Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, l’a annoncé dans la Tribune du dimanche, ce 28 avril. En Corse, les collectifs antimafia se disent satisfaits de ces annonces.
Le gouvernement va créer un parquet national dédié à la lutte contre la criminalité organisée et un "véritable" statut de repenti.
Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti l’a annoncé dans la Tribune du dimanche, ce 28 avril.
"L'idée de ce parquet national est avant tout de mieux coordonner l'action de la justice et de la rendre plus efficace dans sa lutte contre le crime organisé", explique le garde des Sceaux.
Ce nouveau parquet, baptisé "Pnaco" (parquet national anticriminalité organisée), "viendra renforcer notre arsenal judiciaire pour mieux lutter contre la délinquance du haut du spectre", sans pour autant "dévitaliser les Jirs" (juridictions interrégionales spécialisées), assure-t-il.
La mise en œuvre de cette mesure a été confiée à l'ancien procureur national antiterroriste Jean-François Ricard. Nommé conseiller spécial du ministre, il sera chargé d'organiser une concertation en vue de définir les contours de ce parquet.
"Véritable statut du repenti"
Autre annonce du ministre de la Justice, la création d'un "véritable statut du repenti". Celui-ci s’inspirera du modèle italien en vigueur depuis le début des années 80 pour lutter contre la mafia. Si, en France, une législation en la matière existe d’ores et déjà, Éric Dupond-Moretti la juge "beaucoup trop restrictive et donc peu efficace".
Un juge pourra octroyer ce statut spécial à une personne impliquée dans des crimes ou délits "à condition d’avoir collaboré avec la justice en ayant fait des déclarations sincères, complètes et déterminantes pour démanteler des réseaux criminels". Actuellement, en droit français, une personne accusée d’un crime de sang ne peut bénéficier du statut de collaborateur de justice.
Toujours dans le cadre de cette future mesure, la peine encourue par l'intéressé sera réduite et il lui sera proposé, pour sa protection, "un changement d'état civil officiel et définitif". Un dispositif "totalement nouveau", selon le ministre.
Cours d'assises spéciales
Le garde des Sceaux propose également que les cours d'assises spéciales, composées uniquement de magistrats professionnels, se voient confier non seulement les trafics de stupéfiants en bande organisée - comme c'est déjà le cas aujourd'hui - mais aussi à l'avenir les règlements de comptes entre trafiquants. L'objectif étant d'éviter les pressions et les menaces sur les jurés citoyens.
Enfin, le ministre entend créer dans le Code pénal un crime d'"association de malfaiteurs en bande organisée", passible de 20 ans de réclusion.
"Actuellement, il y a, d'un côté, l'infraction d'association de malfaiteurs, punie d'un maximum de dix ans d'emprisonnement. De l'autre, il y a l'association de malfaiteurs en matière terroriste, punie, elle, de trente ans. Mais entre les deux, il n'y a rien." Et le garde des Sceaux d'ajouter : "Résultat, une association de malfaiteurs pour importer de la cocaïne de Colombie est punie de dix ans au maximum."
Le reportage de Stéphane Poli et Mathias Landry :
En Corse, ces annonces ont été accueillies avec satisfaction par les collectifs antimafia. Depuis leur création, ils réclament des moyens de droit efficaces pour lutter contre cette criminalité spécifique, très présente dans l'île.
"C'est une bonne nouvelle, ce serait franchement ne pas être objectif que de prétendre le contraire, se félicite Léo Battesti, du collectif « A Maffia no, A vita Iè ». Certes, on pourrait toujours faire mieux, mais là c’est déjà une reconnaissance de la spécificité de ce que les autorités appellent la criminalité organisée. Après, le combat sémantique, on le connaît : c'est sur le mot « mafia ». En Corse, malheureusement, nous sommes bien conscients de ce que cela représente. On peut féliciter le travail que nous, collectifs antimafia, faisons. Nous sommes les seuls en France d'ailleurs. Par notre mobilisation, nous avons permis de sensibiliser les pouvoirs publics, y compris le ministère de la Justice sur l'importance de modifier le dispositif. On voit donc très bien que ces dispositifs-là sont en train de bouger. Il faut encore aller plus loin."
Même son de cloche du côté du collectif Massimu Susini. S'il se réjouit également des annonces du ministre de la Justice, il estime qu'en Corse, des mesures spécifiques sont à envisager.
"Avec la décentralisation et prochainement l'autonomie, le centre de décision économique sera de plus en plus ici, dans l'île, où il y a des masses d'argent très importantes sur lesquelles la mafia jette son dévolu, fait remarquer son porte-parole Jean-Toussaint Plasenzotti. Elle n'aura même plus besoin de “laver” puisque cela concernera des marchés publics, notamment celui des déchets, qui est à la pointe des préoccupations de la mafia. En Corse, il y a donc des mesures spécifiques à mener. L'État fait sa part de travail. Les élus disent que cela relève du régalien, évidemment, mais c’est à eux à prendre le problème mafieux à bras-le-corps et de prendre les mesures de prévention et de précaution quant à l'infiltration mafieuse des systèmes consulaires, politiques, administratifs, judiciaires et policiers en Corse. Les élus ont un grand rôle à jouer. Ils ne peuvent pas se défausser de leurs responsabilités."
Pour l'heure, Éric Dupond-Moretti n'a pas annoncé de calendrier précis pour l'ensemble des mesures. La seule date connue est celle d'octobre : à l'occasion des 20 ans de la création des Jirs, le garde des Sceaux présentera les contours de ce nouveau parquet nommé Pnaco.
Reste à savoir comment cette mesure va être accueillie par les magistrats des huit Jirs de France qui, pour l'instant, sont en charge des dossiers les plus complexes relevant du crime organisé.