Tout en s’inquiétant des silences des pouvoirs publics sur le phénomène mafieux en Corse, le collectif antimafia demande la création de moyens de droit efficaces pour lutter contre cette criminalité spécifique. Comme en Italie, ses membres réclament la confiscation obligatoire des avoirs criminels.
"Si les autorités et les responsables politiques persistent à refuser de nommer le mal, à créer une législation adaptée à cette criminalité singulière c’est qu’il accepte, de fait, la main-mise de la mafia sur notre île."
Le constat du collectif antimafia Massimu Susini est sans appel. Pour ses représentants qui tenaient une conférence de presse samedi à Ajaccio, "les silences des autorités sont inquiétants" concernant le phénomène mafieux dans l’île.
"L’Etat a-t-il enfin pris la mesure de ce problème ?, interroge le collectif dans son communiqué. À lire les extraits du rapport de la JIRS publié fin octobre 2021, il n’en est rien."
Lire l'intégralité du communiqué.
L'Assemblée de Corse est également interpellée au sujet de la "commission violence" : "Pour l’instant, la CdC garde le silence. Notre collectif demande la réunion de cette commission qui doit, désormais, porter le nom de "commission antimafia"."
Une session spéciale consacrée à la violence et aux dérives mafieuses aurait dû se tenir à l'Assemblée de Corse à l'été 2020. Entre-temps, le Covid et les confinements sont passés par là. Depuis, la séance n'a toujours pas eu lieu...
L’exemple italien
Samedi, face à la presse, Jean-Tousaint Plasenzotti, Jérôme Mondoloni et Pierre-Laurent Santelli ont surtout voulu rappeler une revendication que le collectif porte depuis sa création il y a deux ans : "le renforcement de l’arsenal judiciaire pour combattre la mafia dans l’île". Pour l'association créée après l'assassinat de Massimu Susini en septembre 2019 à Cargèse, l'État doit s’inspirer du droit pénal italien.
"Nous demandons la création de moyens de droit efficaces pour lutter contre cette criminalité organisée spécifique qu’est la mafia. Ces moyens-là font leurs preuves en Italie."
Le collectif s'appuie sur la reconnaissance du délit d’association mafieuse. Inscrit dans le code pénal italien depuis 1982, l'article 416 bis permet, en cas de condamnation, la saisie obligatoire des avoirs criminels en relation avec l’infraction. C'est-à-dire les biens qui ont servi à la commettre mais aussi ceux qui en sont le prix, le produit ou le profit. "La déposséssion de leurs biens, c'est ce que redoutent le plus les bandes mafieuses", souligne Jérôme Mondoloni, membre du collectif et avocat honoraire. Ils font d'ailleurs toujours appel de ces confiscations."
En France, depuis 2010, la loi Warsmann permet des saisies mais celles-ci ne sont pas obligatoires. "Il faudrait la réformer, explique Jérôme Mondoloni. D'ailleurs, dans son rapport de 2019, le député Warsmann a conclu qu'il fallait rendre ces saisies obligatoires pour que cette loi soit véritablement efficace. On en a notamment parlé avec les trois députés nationalistes corses. Ils nous ont dit qu’ils prendraient contact avec le député Warsmann pour soutenir sa demande de rendre la confiscation obligatoire en cas de condamnation pénale. Les députés ne sont pas opposés à la création du délit d’association mafieuse et au renforcement du statut de repenti."
Notre collectif a rencontré aussi J F Acquaviva et M.Castellani.nous avons constaté lamême inquiétude que nous.ils sont ok sur le constat de l’imprégnation mafieuse de la société corse ,rendre obligatoire la confiscation des avoirs criminels https://t.co/6OVffSFpMg pic.twitter.com/Z1wBT1jF4o
— Cullittivu Massimu Susini (@cullittivu) December 9, 2021
"Un article plus précis, moins fourre-tout"
Pour le collectif, cet article 416 bis du code pénal italien serait "plus précis" que "l'association de malfaiteurs" du droit français. "L'article 450-1 qui la définit est "fourre-tout", estime Jérôme Mondoloni. Il permet de poursuivre aussi bien le militant nationaliste accusé d’avoir préparé ou commis des attentats que le responsable d’un réseau de trafic de drogues. L'article du Code italien, lui, ne se contente pas de la référence à la préparation ou au fait de vouloir commettre des délits. Il détaille le champ d’actions de l’association criminelle et ses méthodes. Il permet donc d'identifier l'association et de la poursuivre même si ses buts sont, en apparence, licites. Il est donc beaucoup moins "liberticide" et plus encadré que "l’association de malfaiteurs"."
"Les biens volés à la société civile doivent lui être rendus, cela démontrera que la mafia a perdu"
Quant à la destination de ces biens confisqués, "il faut qu'elle soit obligatoirement sociale", précise Jérôme Mondoloni. Ce qui est le cas en Italie, pas en France où l’Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués) n'a pas obligation de donner les avoirs saisis à des associations, organismes ou coopératives. Souvent, ils sont vendus aux enchères au profit de l'État. "C'est au bon vouloir de l'Agrasc, regrette Jérôme Mondoloni. Or, les biens volés à la société civile doivent lui être rendus, cela démontrera que la mafia a perdu."
Confiscation préventive
Pour les représentants du collectif Massimu Susini, le moyen le plus efficace d'empêcher la mafia de réintégrer l'argent du crime dans l’économie légale serait la confiscation préventive, sans condamnation pénale. "Cette procédure existe en Italie depuis 1982 et est validée par la Cour européenne des droits de l’homme, soutient le collectif. Elle est un outil stratégique pour le démantèlement des réseaux de blanchiment."
"En France, on part du principe qu'il doit y avoir condamnation pour pouvoir confisquer, explique Jérôme Mondoloni. Mais même avec une condamnation, le magistrat n'est pas obligé d'ordonner la saisie. En Italie, il existe donc cette mesure préventive. L'Europe demande depuis une trentaine d'années qu'il y ait confiscation préventive des avoirs saisis sans qu'une procédure pénale n'ait besoin d'être ouverte. C'est une procédure civile dans laquelle la personne concernée reste libre."
En clair, si un individu ne parvient pas à justifer son patrimoine, ses avoirs sont confisqués. "Outre l'Italie, reprend Jérôme Mondoloni, certains pays comme l'Irlande et l'Angleterre appliquent cette procédure, mais pas la France."
"Double paradoxe"
Le collectif Massimu Susini y voit là une certaine contradiction : "En France, quand un citoyen lambda ne peut pas payer ses impôts ou rembourser son emprunt bancaire, il est immédiatement soumis à des saisis confiscatoires. Et à l'inverse, dans le même pays, la confiscation des avoirs criminels n'est toujours pas obligatoire. C'est quand même paradoxal..."
Un autre paradoxe est également soulevé par le collectif. Pour lui, la législation italienne antimafia s'appliquerait parfois en France alors qu'elle serait "contraire à sa doctrine". Il prend pour exemple précis le marché franco-italien du tunnel ferroviaire des Alpes devant relier Lyon à Turin d'ici 2030. Le coût du chantier est estimé à plus de 8 milliard d'euros.
"La France refuse de prendre acte de l’existence de mafias en France et d’adapter sa législation à ce type de criminalité !"
"Par un décret (N°2017-482 du 5/04/2017) précise le communiqué du collectif, la France accepte de mettre en oeuvre sur son territoire l’ensemble du dispositif antimafia italien dans le cadre du marché de ce tunnel. [...] La France a donc reconnu, dans le cadre de l’exécution de ce marché franco-italien, l’existence de risques d’infiltrations mafieuses et la validité du dispositif antimafia italien. Néanmoins, elle refuse toujours de prendre acte de l’existence de mafias en France et d’adapter sa législation à ce type de criminalité !"
Une vision diamétralement opposée de celle des membres du collectif pour lesquels "il faut légiférer avant qu’il ne soit trop tard".