"Il n'y a jamais eu une telle porosité au niveau économie et politique qu'aujourd'hui en Corse", entretien avec Léo Battesti, co-fondateur du collectif Maffia Nò, a Vita Iè

Léo Battesti dédicaçait ce samedi son nouvel ouvrage à Bastia. L'occasion pour l'ex-cadre du FLNC, ex-président de la ligue corse des échecs, et désormais co-fondateur du collectif Maffia No, a Vita iè, de revenir sur son combat et la situation en Corse.

Aujourd'hui, vous estimez que la frontière entre l'économie légale et illégale est de plus en plus ténue en Corse ?

Léo Battesti : Moi, je l'affirme au niveau de nombreux témoignages de divers horizons [qu'il a pu recueillir] : il n'y a jamais eu une telle porosité au niveau économique et politique qu'aujourd'hui en Corse, avec l'influence de gens qui utilisent - j'ai utilisé cette expression dans le livre, qui est une expression échiquéenne - "une menace qui est plus forte que l'exécution".

Aux échecs, le fait de menacer est souvent plus important que de prendre la pièce. Là c'est la même chose. Souvent, cela se fait dans la tranquillité, sans une goutte de sang, mais c'est la pression qui est menée dans l'économie aujourd'hui.

L'économie corse est vérolée. C'est clair. À partir de là, il va falloir mener un combat de longue haleine, et c'est en ce sens que nous avons eu une réunion avec les commissions, les élus, qu'une session spéciale à l'Assemblée de Corse va concrétiser des avancées en la matière, dans le domaine des compétences du territoire, je l'espère.

Maintenant il y a le problème de la loi pénale, il faut qu'elle évolue. Nous nous félicitions des déclarations de Nicolas Bessone l'autre jour. Il a rappelé l'évidence, qu'il y a un système mafieux en Corse. Venant de la part d'un magistrat de France, cela a tout son point. C'est la réalité. Et il faut avoir les armes pour lutter contre cette mafia en col blanc.

Vous parlez d'une économie insulaire vérolée. Quel regard portez-vous alors sur les élus Corse ?

Je pense que 99,9% des élus sont des gens normaux, honnêtes. C'est même eux que nous voulons protéger, parce qu'ils sont honnêtes, mais sous pression d'une manière ou d'une autre. Particulièrement les maires des zones côtières. On ne va pas demander aux gens d'être des kamikazes. 

Et lorsqu'on a un tel environnement, qu'on voit ce que ça donne au niveau de certains hauts fonctionnaires qui sont ici pour faire carrière et qui redoutent de lever le petit doigt parce qu'ils ne veulent pas avoir des problèmes, y compris certains préfets et sous-préfets, je ne vais pas en vouloir à des élus de se tenir tranquille, de se taire, ou de faire des permis tacites. C'est un système. La menace plus forte que l'exécution. Et c'est ce qui se passe aujourd'hui dans la société corse.

Vous vous êtes rendu notamment en Italie pour observer les méthodes mises en place pour lutter contre les phénomènes mafieux. Certaines solutions vous paraissent-elles directement applicables en Corse ? On pense notamment à la confiscation des biens...

Il faut des méthodes de ce type, qui ont porté leurs fruits en Italie. On ne peut pas ignorer que les mesures pénales qui ont été prises là-bas ont ramené, au niveau des faits, des territoires où il y avait des milliers d'assassinats par an à seulement 2 ou 3 cette année. C'est moins qu'en Corse.

Je ne vais pas dire qu'il n'y a plus de mafia en Italie. Il y a des régions qui sont sous contrôle même sans une goutte de sang. Mais vous avez en tout cas une perspective moins chaotique, parce que quand il y a le sang, les morts, là c'est la catastrophe culturelle.

Regardez chez-nous : combien y-a-t-il a de veufs, de veuves, d'orphelins en Corse qui se taisent parce qu'ils se sentent même coupables quelque part ? Sans compter même les victimes. Ça traumatise un pays. Parce que les gens n'en parlent pas, même pas à nous [aux collectifs]. C'est ce silence qu'il faut briser.

Justement, une personne venue pour se faire dédicacer votre livre vous demandait tout à l'heure ce qu'elle pouvait faire à son échelle pour accompagner cette lutte contre la mafia.

Prendre la parole, nous encourager sur cette voie, en parler autour de soi, c'est déjà beaucoup. C'est la parole qui va faire la différence. Et la parole est en train de percer, on sent cette modification dans le climat en Corse par rapport à ça. Déjà, le problème est évoqué, alors qu'il ne l'était pas avant. C'est déjà un gain. La victoire sémantique a eu lieu aussi sur la mafia. 

Mais il faut aller plus loin désormais. Nous ne sommes ni des juges, ni des procureurs. On s'en remet au système. On veut que ce système de justice fonctionne, ce qui n'a pas été le cas dans beaucoup de situations.

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"Il n'y a jamais eu une telle porosité au niveau économie et politique qu'aujourd'hui en Corse", entretien avec Léo Battesti, co-fondateur du collectif Maffia Nò, a Vita Iè ©Solange Graziani, Capucine Laulanet / FTV

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