Connu pour avoir été l’un des protagonistes de l’affaire Bastelica-Fesch, le capitaine Pierre Bertolini a été décoré de la Grand'croix de la Légion d’honneur. En Corse, cette distinction n'a pas laissé la famille nationaliste indifférente.
Le 28 janvier dernier, à Nice, dans un salon de la prestigieuse Villa Masséna, le capitaine Pierre Bertolini a reçu la Grand'croix de la Légion d’honneur. Au cours d'une cérémonie à laquelle participait le maire de la ville, Christian Estrosi, le capitaine désormais âgé de 98 ans a été décoré de la plus haute distinction de la République française. En France, seules 75 personnes en sont dignitaires.
"C'est le couronnement du parcours d'un être extraordinaire, d'un guerrier comme on en a jamais fait et comme on en fera plus !", a déclaré le général Franceschi lors de la remise de la médaille à celui qui a pris sa retraite militaire en 1969.
20 titres de guerre
Originaire de Vero, Pierre Bertolini était entré dans la Résistance à 16 ans avant d'effectuer une longue carrière dans l’armée, passant de la fameuse 2ème division blindée du général Leclerc au 3e régiment rarachutiste d'infanterie de marine en Indochine et en Algérie. Au total, cet ancien combattant installé à Carros (près de Nice) cumule vingt titres de guerre et quatorze citations à l’ordre de l’armée.
"Après l’Indochine et l’Algérie, il fut nommé par le préfet Riolacci et un certain nombre de chefs de clan « général en chef de Francia et du SAC pour la campagne de Corse »", tacle Dumè Bianchi via un communiqué de presse envoyé le week-end dernier à notre rédaction. Et l’ancien élu nationaliste d’ajouter : "À 98 ans passés, on peut constater que la barbouzerie conserve…"
De Francia à Bastelica
Les mots de Dumè Bianchi rappellent, qu'en Corse, le nom de Pierre Bertolini est aussi associé au groupe anti-autonomiste Francia dont il était présenté comme le chef présumé. Proche du SAC (Service d’action civique), cette organisation clandestine aux pratiques qualifiées de "barbouzardes" a livré dans la seconde moitié des années 1970 une guerre secrète et violente contre le mouvement nationaliste. En 1977, Francia avait notamment revendiqué l’attentat contre l’imprimerie du journal Arritti.
Un an plus tard, en décembre 1978, Pierre Bertolini était la cible d'un attentat à la voiture piégée à Vero. Il sera amputé de la jambe gauche. Attribué à l'époque aux nationalistes, l'acte n'a jamais été revendiqué.
Le paroxysme de cette violence sera la retentissante affaire Bastelica-Fesch en janvier 1980. Un événement dans lequel le capitaine Bertolini - également commandant dans la sécurité civile - a occupé une place centrale. À la tête d'un commando de Francia, il était monté dans le village du Prunelli pour s'en prendre physiquement au militant nationaliste Marcel Lorenzoni.
"Le dimanche 6 janvier 1980, avec mes amis, nous avons arrêté le « général Bertolini » à Bastelica, alors qu’il allait commettre un enlèvement et un meurtre au nom de la France, explique Dumè Bianchi. Nous avons agi en tant que patriotes pour servir notre mère patrie la Corse qui n’est évidemment pas celle de Bertolini. Comme d’habitude en Corse, la France a employé de très gros moyens pour sauver « le soldat Bertolini ». […] Après un bref séjour à l’hôpital du Val de Grâce à Paris, il est ressorti libre… Pendant ce temps, 46 patriotes corses prenaient le chemin des prisons de Fresnes, la Santé ou Fleury Mérogis !", souligne l’ancien conseiller territorial à l’Assemblée de Corse.
Au cours des événements de Bastelica-Fesch, trois personnes perdront la vie à Ajaccio (deux civils et un CRS).
"Manque de respect"
Dumè Bianchi n’est pas le seul à avoir réagi à la suite de la décoration du capitaine Bertolini. Sur Twitter, "Fà populu inseme" compare cette distinction à "un manque de respect supplémentaire pour notre Peuple". Et le groupe de la majorité territoriale d'ajouter : "ùn ci scurdemu di a storia".
Pierre Bertolini, chef du commando de barbouzes FRANCIA lors de la tentative d'assassinat contre M.Lorenzoni à Bastelica, décoré en grandes pompes à Nice de la Grand-Croix de la Légion d'honneur.
— Fà Populu Inseme - Assemblea di Corsica (@fapopuluAC) February 19, 2022
Un manque de respect supplémentaire pour notre Peuple. Ùn ci scurdemu di a storia. pic.twitter.com/MStFu7pP17
Député de la deuxième cironscription de Haute-Corse et conseiller territorial Fà populu inseme, Jean-Félix Acquaviva a lui aussi réagi via Twitter :
Je pense à mon grand-père,blessé en 1917,à son frère,2 fois évadés,8 fois blessés,lors des 2 conflits mondiaux,à leur autre frère tué en 1914.Ils doivent s'en retourner dans leurs tombes.Ils ont été engagés mais n'ont jamais été barbouzes contre leur terre et leur peuple,eux.⤵️ pic.twitter.com/Cc40JWKFRp
— Jean-Félix Acquaviva (@JF_Acquaviva) February 19, 2022
"Bafouer l'Histoire"
Toujours sur le même réseau, Paul Félix Benedetti a commenté cette décoration : "Avec la sacralisation de la barbouzerie, la France a toujours su récompenser ses serviteurs zélés. À quand l'entrée de Bob Denard au Panthéon ?", a posté le chef de file de Core in Fronte, faisant référence ici au célèbre mercenaire français.
Pierre Bartolini, barbouze en chef de FRANCIA, décoré à Nice de la distinction suprême de la Grand-Croix de la Légion d'honneur.
— Paul-Félix Benedetti (@PF_Benedetti) February 17, 2022
Avec la sacralisation de la barbouzerie, la France a toujours su récompenser ses serviteurs zélés.
A quand l'entrée de Bob Denard au Panthéon? pic.twitter.com/eGT0eeKtv1
Conseiller territorial Avanzemu à l’Assemblée de Corse, Saveriu Luciani voit dans cette distinction "une confirmation cynique du révisionnisme et de la volonté de Paris de revenir bafouer l’Histoire et la mémoire du peuple corse".
1980-2022, de Bastelica à Carros, barbouze et « patriote », tamanta strada
— Saveriu Luciani (@SaveriuL) February 19, 2022
La décoration de Bertolini confirme cyniquement le révisionnisme et la volonté de Paris de revenir bafouer l’Histoire et la Mémoire du Peuple Corse
Pensendu oghje à Marcellu è à tutti i naziunali #libertà pic.twitter.com/5Wei0eXLvI
Les réactions suscitées par cette décoration montrent que la famille nationaliste n'a ni oublié Francia, ni le capitaine Bertolini, et encore moins l'affaire Bastelica-Fesch. Un événement tragique qui avait secoué toute la Corse à l'époque. Et mis sur la place publique la question de l'action des polices parallèles dans l'île.