"Une autonomie à la Corse dans la République", c’est ce qu’a proposé Emmanuel Macron aux élus insulaires lors de sa visite officielle. Pouvoir législatif, langue corse, statut de résident ou encore notion de "peuple corse", le politologue Andria Fazi décrypte pour France 3 Corse Via Stella le discours du président de la République.
Le président de la République Emmanuel Macron s’est exprimé devant l'Assemblée de Corse. Si certains ont qualifié ce discours d’historique, d’autres ont fait part de leur déception. De votre côté, y avez-vous vu des avancées significatives ?
Chacun peut y voir des choses très différentes. Il y a des gens qui sont très déçus manifestement, il y a des gens qui sont très enthousiastes. Ce n'est pas quelque chose d’étonnant. Il y a, au niveau du pouvoir normatif territorial qu'il envisage d'accorder à l'Assemblée de Corse, quelque chose de très important. Emmanuel Macron a parlé d'un pouvoir normatif exercé sous le contrôle du Conseil d'État et même du Conseil constitutionnel. Donc il s’agirait vraiment de pouvoir législatif territorial. Après, au niveau des aspects plus symboliques comme celui de la reconnaissance d'un peuple, comme celui de la coofficialité de la langue corse, il a évité la question.
Ce pouvoir législatif territorial ne serait pas visé par le Parlement. Pour vous, ce serait une vraie possibilité dans certains domaines, on ne sait pas lesquels d'ailleurs, d'adapter la loi française ?
A priori, Emmanuel Macron ne conçoit pas que l’adaptation soit faite dans le cadre fixé par le Parlement, dispositif que les départements et régions d’Outre-Mer peuvent utiliser depuis 2007 et qui n’a donné, on peut dire, quasiment aucun résultat.
Le président de la République parle d’un pouvoir exercé sous le contrôle du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel. Il s'agit donc d'un contrôle juridictionnel, comme celui qui est utilisé respectivement pour la Polynésie et pour la Nouvelle Calédonie, et on ne conçoit pas trop comment il pourrait en rester à cette idée d'habilitation préalable qu'il défendait encore dans les projets de loi constitutionnelle de 2018 et 2019. Je pense qu'en rester à ce projet de loi là, ce serait véritablement très mal perçu par la majorité nationaliste et impossible à soutenir.
Quel sera le calendrier de l'année qui vient ?
Comme au niveau du pouvoir normatif envisagé, il reste des ambiguïtés et des incertitudes. Il est évident que le président ne pouvait pas être trop précis non plus. Non seulement il n'a pas de soutien parlementaire suffisant pour faire adopter la révision constitutionnelle qu'il voudrait, mais il se laisse aussi des marges de manœuvre, ne serait-ce que pour satisfaire le maximum possible de forces politiques.
Au niveau du calendrier, quelque chose m'a un petit peu surpris, c'est qu'il a parlé de réviser la Constitution avant le référendum régional. On pouvait penser que ce serait plutôt le référendum régional pour valider les principes et ensuite la révision constitutionnelle, puis la loi organique qui fixerait plus précisément les compétences nouvelles de la Corse autonome - si on en arrive là, et on n'en est pas encore là.
Si l'identité et la spécificité de la population corse sont inscrites dans la Constitution mais pas les mots de “peuple corse”, cela changerait-il quelque chose ?
Cela change quelque chose pour ceux qui sont très attachés au symbolique. Bien évidemment, le symbolique dans les relations État/régions à forte identité comme la Corse, est décisif. Mais il est décisif aussi du côté de l'État, pas seulement du côté de la région.
Les socialistes, dans les années 1970, parlaient très facilement des “peuples de France” dont le “peuple corse”. François Mitterrand, en 1983, parle du “peuple corse”, ça ne le dérange absolument pas, ça fait partie de son background idéologique.
Aujourd'hui, avec les débats sur le communautarisme, avec l'idée que se fait Emmanuel Macron de la France et du peuple français, je ne suis pas étonné qu'il ait écarté l'idée de reconnaître un peuple corse. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'il parle d'une communauté humaine, historique et culturelle. Cela va plutôt plus loin que ce que j'envisageais.
Pourrait-on dire qu'après Lionel Jospin et les accords Matignon, c'est la deuxième fois, peut-être, que Paris oublie un peu son jacobinisme ?
Je ne crois pas que, globalement, les positions d'Emmanuel Macron soient très favorables idéologiquement à l'autonomie de la Corse. En revanche, il y a un fait démocratique et ne pas répondre, au moins en partie, à ce fait démocratique ce serait simplement courir le risque de donner la faveur aux plus radicaux, à ceux qui depuis le début contestent totalement la discussion en cours en la qualifiant de creuse et hypocrite. Leur donner raison à mon avis serait un sacré risque que prendrait l'État. Il favoriserait ainsi les plus Jacobins de son côté, les plus Jacobins de la Corse. Je ne crois pas que c'est ce qu'il recherche.
Concernant la langue corse, le président dit qu’on va faire plus, sans que l’on sache vraiment ce que cela signifie. Mais la coofficialité manifestement, c’est non.
La coofficialité, il ne l'a pas dit, mais c'est non. On ne s'en étonne pas, c'est le principe qui, en France, est finalement le plus protégé. La France a partagé son pouvoir législatif dans de nombreux territoires, a même parlé de souveraineté partagée pour la Nouvelle Calédonie, mais n'a jamais érigé une langue régionale au rang de langue coofficielle. Il y a une question symbolique qui est très puissante à ce niveau-là. Je ne suis pas étonné de cette décision.
J'aurais aimé savoir plus précisément ce qu'il entend faire. Il ne serait pas difficile de donner aux langues régionales de France, et notamment à la Corse, un statut constitutionnel plus élevé, plus protecteur que celui dont elle dispose aujourd'hui, c’est-à-dire tout simplement que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la nation.
Le statut de résident, c'est non aussi. Pourtant n'existe-t-il pas déjà d'une certaine façon en Polynésie ?
La Polynésie, au niveau des droits de préemption, a un pouvoir particulier, c'est vrai, mais ce n'est pas vraiment un statut de résident. Et surtout, la Polynésie n'est pas soumise aux règlements et aux directives européens, c’est-à-dire n'est pas soumise à ces principes généraux que sont la liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux, des investissements.
Et ces principes-là sont totalement contraires à ce qu'on privilégie la population résidente sur un territoire aussi grand que la Corse. Sur un tout petit territoire, peut-être on pourrait l’envisager, ça pourrait être justifié par des raisons d’intérêt public. Sur un territoire de 9000 kilomètres carrés, je ne crois pas que ce soit tolérable par la Cour de Justice et les tribunaux européens. Et réviser les traités européens serait une gageure, il faut l’unanimité des 27 États membres, ce serait encore plus difficile que de réviser la Constitution française.
Emmanuel Macron donne rendez-vous aux élus corses dans 6 mois. On pourrait se dire que c'est un cadeau empoisonné, vu certaines dissensions. Que doit-il se passer pour que la copie soit finalement visée par l'Élysée comme satisfaisante et faire avancer les choses ?
On ne sait pas, là aussi, ce qu'il a entendu exactement dans son exigence de consensus. Si c'est un consensus total, ça supposerait que tous les groupes de l'Assemblée y parviennent, y compris celui qui est le plus faible numériquement, Core in Fronte, qui représente 15% des voix. Son accord serait alors indispensable et il aurait un pouvoir de veto. Je ne pense pas qu'il aille jusque-là. On pense plutôt qu'il veut accorder les nationalistes avec le groupe de droite, qui pour le moment ont eu des positions très opposées.
Mais j'ai eu l'impression durant tout son discours qu'il avait deux exigences principales : la première, c'était ne pas offenser les nationalistes. Et la seconde, c'était convaincre le groupe de droite qu'il pouvait aller sensiblement plus loin que ce qu'il avait fait dans sa motion de juillet 2023. C’est-à-dire convaincre le groupe de droite qu'il peut aller plus loin parce que lui pense pouvoir convaincre, notamment au sein du groupe centriste du Sénat, qu'on peut aller plus loin dans le sens de l'autonomie de la Corse.
Retrouvez le décryptage de Dominique Moret, Pierre Nicolas et Capucine Laulanet :