Des acteurs du monde économique ainsi que des députés provençaux et corses s’inquiètent de l’avenir de la délégation de service public (DSP) entre la Corse et Marseille. Ils en appellent à l’État afin qu’il soutienne les compagnies maritimes délégataires.
Des deux côtés de la Méditerranée, l’inquiétude grandit chez certains acteurs économiques et publics, notamment des armateurs, quant à l’avenir de la délégation de service public (DSP) entre Marseille et la Corse.
Dans un communiqué commun, cosigné par Renaud Muselier (président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur) ainsi que par une dizaine de députés des Bouches-du-Rhône et de la Corse-du-Sud, ces différents acteurs pointent "la récurrence des attaques contre la DSP Continent-Corse" et "l’instabilité majeure qui continue de peser sur la filière ferry à Marseille et particulièrement sur les compagnies Corsica Linea et La Méridionale". Soit les deux compagnies délégataires assurant la continuité territoriale.
Le texte fait ainsi référence aux Assises de l’économie de la mer organisées mi-septembre à Nice. Comme cela avait déjà été mentionné dans le cadre du Fontenoy de la mer lancé en décembre 2020, le président Emmanuel Macron avait donc déclaré vouloir renforcer la compétitivité des armateurs sous pavillon français dans cette période de pandémie. Mais, il s’avère que les mesures annoncées à Nice ne s'appliquent pas aux compagnies délégataires du service public, par conséquent exclues des aides versées par l’État pour faire face à la crise du Covid.
"Vous avez la DSP"
"C’est l’incompréhension qui demeure, explique Paul-André Colombani, député nationaliste de la deuxième circonscription de Corse-du-Sud qui a cosigné le communiqué. Après le Fontenoy du maritime, on a justifié le fait qu’il fallait renforcer la place du pavillon français. Le constat était partagé par tout le monde, notamment sur les effets et les pertes liés du covid, sur le verdissement des flottes qui coûte très cher au pavillon français et qui n’est pas soumis aux mêmes règles que les autres compagnies en Europe ayant souvent une main d’œuvre moins bien payée. Au final, on sort de tout ça satisfait puis on s’aperçoit que seuls les deux compagnies délégataires (Corsica Linea et la Méridionale) ont été oubliées. La réponse qui leur a été faite c’est "vous avez la DSP". Par conséquent, sur ce prétexte-là, elles ne recevront pas d’aides. Mais cela n'a rien à voir avec la DSP. Je rappelle qu'à l'origine, la DSP a été mise en place pour maintenir le prix du billet de bateau dans les mêmes tarifs que celui du billet de train sur le continent."
Pour rappel, depuis le 1er mars 2021, la DSP transitoire entre Marseille et la Corse est détenue par la Corsica Linea sur les ports de Bastia, Porto-Vecchio et L’Île Rousse. Concernant le port d’Ajaccio, la compagnie la partage avec La Méridionale qui, elle, gère seule le port de Propriano. Cette DSP transitoire s’achèvera le 31 décembre 2022.
La candidature de la Corsica Ferries n'avait quant à elle pas été retenue au motif qu'"elle ne répond pas au cahier des charges, notamment en raison de l'absence d'indication du nombre de cabines". Ce qu'avait vivement contesté son président Pierre Mattei qui avait déclaré avoir formulé "l’offre la mieux disante avec une proposition 60% moins chère".
"2.500 emplois menacés"
Dans le communiqué, les cosignataires pointent l’enquête en cours de la Commission européenne sur les contrats de la DSP attribués à la Corsica Linea en juin 2019. Les investigations portent sur la conformité des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État. "À l’initiative de la compagnie Corsica Ferries qui officie sous pavillon italien, écrivent-ils, cette enquête génère une instabilité sur la continuité territoriale et l’avenir de l’activité depuis Marseille vers la Corse."
Pour eux, si la DSP venait à disparaître, "la filière passagers Continent-Corse serait dominée par un monopole sous pavillon italien low-cost au départ du port de Toulon, avec l’arrêt du transport passager depuis Marseille".
Les auteurs du texte, parmi lesquels le président de l’Union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône et celui de la Chambre de commerce et d’industrie d’Aix-Marseille-Provence, insistent sur la "menace qui pèse sur les 2.500 emplois directs et indirects entre Marseille et la Corse". "Il s’agit d’emplois qualifiés, à haute valeur ajoutée, qui contribuent à irriguer nos territoires en compétences, notamment techniques et industrielles".
Un timing pas anodin
En conclusion du communiqué, les cosignataires s’adressent directement à l’État et en appellent à son soutien, en prenant l’exemple de Brittany Ferries. Fragilisée par le Brexit et la pandémie, la compagnie maritime qui assure les liaisons entre la France et l’Angleterre doit recevoir une aide de 61 millions d’euros (dont 45 millions financés par le ministère de la mer).
Dans le texte, élus et représentants des organisations patronales et consulaires demandent également "d’une seule voix une position de fermeté de la France auprès de Bruxelles concernant la DSP, seul moyen d’assurer un socle juridique et social stable aux compagnies".
"À chaque DSP, il faut toujours batailler auprès de la Commission européenne pour la justifier de son intérêt, explique de son côté un attaché parlementaire corse. De plus, il faut également respecter les règles européennes qui ont du mal à reconnaître le fait insulaire."
Une manière de rappeler que le timing de cette mobilisation n’est pas anodin. En effet, le 1er janvier prochain, la France va prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne pendant six mois. "C’est une période importante pour mettre les sujets sur la table, souligne le député Colombani. J’espère qu’enfin ce gouvernement va prendre les choses à bras le corps pour défendre cette délégation de service public. Car les décisions prises à Bruxelles sont très importantes pour l’avenir. Vous imaginez le nombre d’emplois à la clé ? Cette situation pourrait mettre une des deux compagnies à terre. C’est celui-là le véritable fond du problème."