Une nouvelle maison d'édition, pas comme les autres, dans le paysage littéraire insulaire. Une équipe de flibustiers, menée par Marc Biancarelli, bien décidée à mettre un coup de pied dans la fourmilière de l'édition insulaire. Tonu è Timpesta. T&T. Le nom a le mérite d'annoncer la couleur. 

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Une longue table a été disposée devant la vitrine de la librairie A Piuma Lesta, au Polygone de Bastia.
Entre une auto-école et une boutique de stores pour fenêtres. 

Dessus, des piles de livres, à la couverture ténébreuse. 
En jaune et blanc s'étale un titre, sobre, Nuvelle/Nouvelles. 
Et en guise d'auteur, un nom riche de promesses.
Tonu è Timpesta. 
 

 

Du blog à la maison d'édition

Un peu à l'écart, saluant les retardataires avec l'affectueuse brusquerie qui lui est coutumière, une partie de l'équipe de Tonu è Timpesta.
Jean-Yves Acquaviva, Jo Antonetti, Fabien RaffaliMarc Biancarelli et Pierre Savalli.

Enthousiastes à l'idée de présenter au public le premier ouvrage de la toute nouvelle maison d'édition qu'ils ont créée.

Et encore incrédules, à l'idée d'avoir réussi à mener leur projet à bien. 

Pierre Savalli s'en amuse : "On avait fait une prévente sur le blog Tonu è Timpesta, au moment où on a décidé de sauter le pas, et qu'on a annoncé officiellement la création de la maison d'édition. Une quarantaine de personnes, qui croyaient au projet et voulaient nous soutenir, nous ont filé 25 euros. C'était encourageant, ça nous a permis d'avoir un peu d'argent pour lancer le truc, mais ils ont attendu deux ans pour avoir le livre en main. Deux ans !"

Le chemin a été long. 
Tout a commencé il y a de longues années, avec la création du blog Tonu è Timpesta par l'écrivain Marc Biancarelli. 

Sur le site, dès sa création, le principe est tout simple. Des gens d'ici ou d'ailleurs envoient des textes, qui sont publiés. Ces textes, ils les écrivent pour le plaisir. La plupart ne sont même pas des écrivains en herbe. Juste des hommes et des femmes qui aiment écrire. Et n'ont pour ambition que d'être lus par quelqu'un d'autre. 

La communauté grossit, de mois en mois. Le blog Tonu è Timpesta devient un véritable incubateur de talents insulaires, qui écrivent en Corse ou en Français, et s'impose comme le site culturel le plus fréquenté de l'île. Un prix est créé, qui récompense les meilleures nouvelles.

La suite logique, c'était une maison d'édition.
 

 

Ces gens-là n'avaient pas droit de cité chez les éditeurs insulaires - Pierre Savalli


A quelques mètres de la table où va se dérouler la dédidace, Laure Vincenti contemple le livre avec un mélange de fierté et d'embarras. 

L'une de ses nouvelles, Toujours Rien, a été retenue par le comité éditorial de Tonu è Timpesta, et la voilà bombardée autrice.
Voir son texte, et son nom, sur un livre, dans une librairie, elle a du mal à s'en remettre.

"C'est tellement bizarre. J'y crois pas trop. Si on m'avait dit ça il y a quelques mois... C'était vraiment pour m'amuser. On se faisait des retours, on tchatchait de littérature sans fin, c'était une vraie communauté où je retrouvais des gens comme moi, qui adoraient ça. Mais de là à être publiée !"

Pour Pierre Savalli, tout cela est pourtant cohérent.
"Au fur et à mesure que le blog grossissait, on s'apercevait que la plupart des contributrices et des contributeurs n'étaient pas des habitués de ce genre d'endroit. Ils ne fréquentaient pas les forums littéraires, et plus encore corsophones. C'étaient des gens plus jeunes, plus urbains, qui, sur l'île, ne s'étaient jamais vraiment emparés de la littérature.
C'était moderne, dynamique, et leurs textes étaient tournés vers l'extérieur, ils n'étaient pas nombrilistes, pas obligatoirement corso-corses. Et ces gens-là, ils n'avaient pas droit de cité chez les éditeurs insulaires. Et on s'est dits que leur littérature, elle devait aussi passer par le livre, et ne pas rester cantonnée au web."

 


Un nouvel espace d'expression dans le milieu de l'édition corse

Les éditeurs insulaires...Tonu è Timpesta ne s'en cache pas. La maison d'édition s'est aussi bâtie en réaction. 
En réaction à un milieu que ses créateurs connaissent bien, et dont ils ne gardent pas un souvenir impérissable, comme nous l'explique Pierre Savalli. 

"Dans l'équipe, beaucoup ont publié ici, Marco [Biancarelli] et Jean-Yves Acquaviva, mais également Jo Antonetti...Ils ont écumé la quasi totalité des maisons d'édition. On avait un peu fait le tour, et on savait très bien que la situation était compliquée. Voire même catastrophique, sans citer de noms... Aucun soutien, aucune promo, aucune cohérence dans les choix éditoriaux..."
 
Appuyé à la vitrine de la librairie, Marc Biancarelli acquiesce. 

"Pour faire simple on a décidé de s'organiser en collectif et de s'éditer nous-même. Ce sont toutes ces expériences négatives qui ont fait qu'on ne pouvait plus collaborer, travailler avec eux, leur faire confiance. Et on compte bien en faire profiter les nouvelles générations, les écrivains qui s'ignorent en Corse, et qui méritent qu'on leur donne leur chance.
C'est ca qui nous a toujours animés. Cette idée de transmission, de partage d'un parcours créatif. C'est ça qui me plaît et qui me motive. Que la littérature existe. Et qu'elle ne soit pas confisquée par quelques-uns."

 

Sans surprise, la démarche n'a pas ravi tout le monde. D'autant que, au côté des nouvelles plumes issues du blog, on retrouve quelques noms connus, et reconnus. 
En plus de Biancarelli et Acquaviva, on découvre, en parcourant la table des matières, des nouvelles signées Jérôme Ferrari, Marie Ferranti, ou Carole Zalberg

De quoi faire grincer quelques dents. 
Un éditeur insulaire est allé jusqu'à parler d'"Uberisation de l'édition". 

Une attaque que l'équipe balaie d'un revers de main. 

"C'est de la pure jalousie, martèle Marc Biancarelli. L'édition corse ne fera jamais son autocritique. Elle n'avouera jamais que ce sont ses défaillances qui nous ont poussés à nous prendre en main. Ils ne sont pas à la hauteur de la mission qu'ils se sont attribuée, voilà tout."

L'édition corse ne fera jamais son autocritique - Marc Biancarelli

Reste à savoir si Tonu è Timpesta, eux, seront à la hauteur.
Mais ça n'a pas l'air de les effrayer plus que ça. 

"D'abord, est-ce qu'on est une maison d'édition ? J'ai encore un peu de mal à voir ça comme ca..." sourit Pierre Savalli, l'un des instigateurs de Tonu è Timpesta.
Autour de lui, l'équipe part d'un grand éclat de rire.

"Bon, c'est vrai, c'est la grande question... On a été sollicités par mal, déjà, même par des gens sur le continent, mais on n'est pas armés pour relever ce genre de défi. La grosse devanture marquée maison d'édition, ca nous va pas. On n'est pas suffisamment disponibles, on n'est pas suffisamment bons pour ca, et ca restera une petite maison presque confidentielle." 
Pierre Savalli s'interrrompt quelques instants. Un court silence, qui en dit long...

"Mais on ne s'interdit pas un coup de coeur. Si demain on nous amène un truc qui nous met sur le cul, on ne s'interdira pas bien sûr de le publier ! On serait super contents, mais on le fera uniquement si on est capables de le soutenir, et de le promouvoir derrière. C'est un vrai métier, il faut l'apprendre, et c'est ce qu'on est en train de faire. Pour le faire, mais le faire bien."
 

Tout le monde est bénévole, et travaille à côté. Tout le monde a mis la main à la poche, pour pouvoir tirer les 450 exemplaires, aujourd'hui presque totalement épuisés, du recueil de nouvelles. 

En tout, maquette, mise en page et impression, l'investissement financier a été de 2.500 euros. 
En terme de temps, en revanche, ça fait longtemps que les créateurs de Tonu è Timpesta ne tiennent plus les comptes. 

Lorsque le sujet vient sur la table, l'ambiance se fait moins légère. 
Marc Biancarelli le reconnaît, le blog et la maison d'édition, ça prend un temps fou...

Tonu è Timpesta, une maîtresse exigeante

"Ca nous bouffe la vie, en ce moment on est vidés par tout ça. L'équipe, je la sens s'essouffler, pour la première fois. On a besoin de se revoir, de discuter, de tout remettre à plat. Le projet de ce premier livre a abouti, mais maintenant ? On fait quoi ? Il faut recommencer à écrire, enclencher de nouveau la machine. Mais on ne lâchera pas l'affaire. C'est fondamental.
Je ne dis pas que le monde a besoin de Tonu è Timpesta, il peut vivre sans nous, je le conçois. Mais la Corse a besoin de choses qui se passent, qui vont dans ce sens là. Alors on trouvera la force de mener ce combat jusqu'au bout.". 


Et des livres siglés Tonu è Timpesta, Marc Biancarelli et les siens en sont sûrs, il y en aura d'autres. 
En les regardant se jeter à l'abordage de la séance de dédicaces avec une gourmandise intacte, embrassant l'un et trinquant avec l'autre, on n'en doute pas un instant.


 
Un vent de fraîcheur sur l'édition insulaire
24 nouvelles, signées par des hommes et des femmes, de tout âge, de toute origine, célèbres ou inconnus, prix Goncourt ou menuisiers, qui écrivent en Corse ou en Français. 
Et qui se passent à Belfast en 78, lors d'une Saint-Valentin lourde de souffrances, dans le Colorado au XIXème siècle, qui racontent ce que c'est que d'être homosexuel à Porto-Vecchio dans les années 80, plongent dans l'horreur de Kinshasa, où au côté de la résistance dans le maquis corse...

Le premier livre publié par Tonu è Timpesta est fidèle à la règle édictée depuis la création du blog, il y a des années. 
Pas de règles. Pas d'interdits. pas de sujets tabous. 
Et surtout, pas d'obligations. 
Hormis celle d'écrire, bien, et fort. 

C'est un panorama formidable, et rare, d'une Corse qui s'est emparée de la littérature pour la faire (re)vivre, qui nourrit ses histoires de ses expériences, des violences de notre époque, des traditions de ses ancètres, des petits détails observés mille fois au comptoir d'un bar de village, comme des influences pop de ce début de XXIème siècle. 

C'est tellement éclaté, vibrant, foutraque, dense et gonflé que vous adorerez certaines nouvelles, et peut-être en détesterez vous quelques-unes. 
Mais une chose est sûre, le voyage en vaut la peine. 

 
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