Nous avons rencontré les dirigeants de l'ACA, du GFCA, et du FCBB pour leur demander comment ils entendent réagir face à la crise. le SCB, également sollicité, n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Quelles mesures ont-ils d’ores et déjà prises ? Comment voient-ils la suite de leur saison ? Vont-ils seulement survivre ?
Des interrogations qui peuvent aujourd’hui nous apparaître dérisoires mais qui prendront davantage de relief quand il s’agira de reprendre le cours de nos plaisirs passés.
A travers ces 4 interrogations se dessine le futur possible du football insulaire
Quels choix avez-vous opérés face à la crise ?
Christian Leca, président de l’ACA :Nous avons opté pour la mise en chômage partiel de l’effectif professionnel, du secteur administratif et de l’ensemble du Centre de Formation.
Le club est à l’arrêt. Le seul qui travaille c’est notre jardinier. La pelouse c’est le cœur du club, notre fond de commerce, d’autant plus qu’aujourd’hui c’est un élément important dans l’obtention de la Licence club.
Quant à moi, je fonctionne en mode télétravail ; j’échange au quotidien avec le directeur général Alain Caldarella autour des questions financières, administratives ou techniques.
J’ai également de fréquentes réunions avec les services de la Ligue, les Présidents de Ligue 2 ou encore avec le Syndicat des clubs professionnels, l’U.C.P.F..
Christophe Ettori, directeur sportif G.F.C.A. :
Sans surprise, notre premier choix sur l’aspect économique a été de déclencher le chômage partiel pour le secteur sportif.
Avec une variante : pour les 15 premiers jours nous avons décidé au G.F.C.A. de maintenir les salaires à 100%.
Les joueurs s’entraînent chez eux, ils suivent un programme d’entretien individuel équivalent à celui délivré l’été.
Notre secteur administratif, lui, est en télétravail.
Antoine Emmanuelli, dirigeant du F.C.B.B. :
Les joueurs de notre équipe première sont en chômage partiel.
Il subsiste une employée administrative en télétravail qui assure la continuité.
Selon le vœu de la Ligue Corse, toutes nos catégories et nos quelques 300 licenciés ont eux aussi stoppé net leurs activités, du jour au lendemain.
Le patron c'est le virus, c'est lui qui décidera - Christian Leca, ACA
Votre club est-il en danger ?
Christian Leca, ACA :Aujourd’hui non, on dépense peu…
Mais nous sommes évidemment inquiets pour la suite. On ne sait pas comment tout cela va évoluer.
La grosse inconnue ce sont nos droits télé.
Cette saison nous devrions percevoir autour de 5,8 M€ selon différents paramètres. Ces droits constituent plus de 50% de notre budget. Ils sont distribués en quatre échéances.
Les deux dernières, avril et juin, représentent la moitié de la somme qui nous est due. Or, Canal +, l’actuel détenteur des droits, a annoncé ne pas vouloir les régler…
Le groupe Canal a un contrat et à cette heure, il n’est pas respecté, mais pourra-t-il s’exonérer du paiement alors que les 2/3 du championnat ont été disputés ?
En fait, entre Canal et la Ligue de Football Professionnel s’est engagé un véritable bras de fer.
Quoiqu’il en soit, ce dossier décidera en grande partie de notre avenir, mais au-delà de celui de l’ACA, de l'avenir de tout le football professionnel français.
St-Etienne, l‘OM, Monaco et d’autres iraient sans doute à la faillite si d’aventure les droits télé étaient bloqués.
Christophe Ettori, G.F.C.A. :
Le club peut être en danger si les échéances à venir ne sont pas assumées par nos partenaires publics et privés. Une interrogation flotte également au regard de nos échéances-transferts.
Les clubs qui nous doivent de l’argent nous paieront-ils comme prévu ?
Nous devrons aussi nous montrer vigilants sur notre dernière tranche relative aux droits télés. Nous sommes en National mais toujours professionnels et l’on doit à ce titre percevoir sur cette fin de saison notre aide à la descente et une partie de nos droits télé.
Toutes ces ressources additionnées représentent environ 60% de notre budget.
Certes on pourra repousser certaines charges mais pas toutes. Et il nous faudra également avancer les salaires.
Le club peut donc se retrouver en danger. A l’instar d’autres institutions, le G.F.C.A. n’a pas les capacités de trésorerie pour assumer longtemps cette situation.
Antoine Emmanuelli, F.C.B.B. :
A court terme non, à moyen terme oui.
La vie économique s’est arrêtée…pour nous aussi. Et puis il est véritablement difficile de se projeter. La santé publique est au cœur de nos préoccupations quotidiennes. Avec une pensée particulière pour nos licenciés, nos supporters, nos soutiens.
Comme la majorité des clubs de National, nous n’avons pas de droits télé, on bénéficie simplement des subsides liés à la Licence Club.
On se rapproche actuellement de nos instances nationales pour arrêter une stratégie collective.
La Fédération Française de Football devrait nous accompagner.
L’heure est à l’expectative…
A quelle fin de saison vous attendez-vous ?
Christian Leca, ACA :Je suis stupéfait de lire certaines prises de position tranchées…
En réalité je crois que nous n’avons aucun moyen de savoir quand tout cela va s’arrêter. Le patron c’est le virus, c’est lui qui décidera.
Et la santé publique est l’essentiel.
Notre rêve, à l’ACA, c’est malgré tout de reprendre le championnat, d’aller au bout, de jouer notre chance de monter à fond, de donner du plaisir aux gens.
La solution la plus équitable serait effectivement de faire jouer la fin du championnat, supprimer la Coupe de la ligue, la Coupe de France…
Mais cela sera-t'il seulement possible ?
S’il y avait reprise fin mai nous jouerions jusqu’au 15 juillet. Nous pourrions gommer la trêve estivale.
Les joueurs l’ont eue…on pourrait donc enchaîner, il n’y aurait pas de stage d’avant-saison, source d’une petite économie.
Puis nous programmerions une mini-trêve de Noël...
Si les championnats ne reprennent pas, beaucoup de questions se poseront : qui fait-on monter, qui descend ? Et après les réponses, des recours seraient forcément intentés.
Christophe Ettori, G.F.C.A. :
Eu égard aux chose graves que nous vivons, le foot est accessoire.
Mais comme nous sommes en responsabilité, si l’on pense équité sportive, la meilleure solution c’est que les championnats aillent à leur terme.
Cela posé, des questions surgissent.
Comment préserver la santé des joueurs ? Ils auront connu entre 5 et 7 semaines d’arrêt, pour assumer un rythme de 10 matchs en 5 semaines, il leur faudra au minimum 15 jours de préparation. L’été lors de la trêve, ils se préparent je vous le rappelle 4 à 5 semaines. En bref, leur intégrité physique serait mise à mal.
Sans compter les contrats qui lient les joueurs aux clubs.
Au G.F.C.A. nous avons par exemple 5 prêts jusqu’au 1er juillet… Aurons-nous le droit d’aligner ces éléments ?
Et puis comment reprendre les matchs ? En accueillant du public alors même que l’on ne saura nécessairement pas tout de ce virus… En Chine, on le voit, la levée du confinement est progressive.
Si les championnats s’arrêtent, il y aura des lésés, il n’y aura pas de solution miracle…
Malgré tout, les figer paraît inconcevable, inenvisageable, en National il reste 27 pts en jeu…
Antoine Emmanuelli, F.C.B.B. :
Les différentes familles du foot amateur ont réfléchi à divers scenarii. Toutes leurs propositions sont sur le bureau de Noël Le Graët, le président de la Fédération Française de Football.
Lui et ses services travaillent depuis à élaborer plusieurs solutions selon l’avancée de la pandémie.
Reprise ou pas, montées, descentes…
Mais en dernier lieu n’oublions pas le lien juridique qui unit la Fédération au Ministère des Sports.
En définitive, selon les circonstances, une décision gouvernementale pourrait s’imposer à nous.
Dans l’après-pandémie, en Corse en particulier, le football sera important pour dépasser les traumatismes - Antoine Emmanuelli, FCBB
Quel avenir imaginez-vous ?
Christian Leca, ACA :Si demain nos clubs fermaient, nos salariés, nos fournisseurs seraient menacés.
L’ACA c’est 80 emplois directs. Et nous n’oublions pas les emplois induits…traiteurs, boulangers, société de produits de jardinage, entreprise de nettoyage, d’électricité….
Et quid de nos partenaires ?
Notre sponsoring va être impacté, c’est déjà un fait. Nous connaîtrons nécessairement une baisse de ressources.
La chance que l’on a et l’on y revient ce sont les droits télé. Avant cette crise, ils devaient monter avec le nouvel opérateur Media Pro, passer pour la Ligue 2 de 90 à 110 M€ au minimum. Une augmentation qui pourrait compenser une partie de nos pertes.
En clair cela pourrait faire 1M€ de plus par club de Ligue 2.
Un point positif qu’il ne faudra surtout pas obérer en augmentant les salaires des joueurs.
Sur ce plan comme en d’autres nous devrons nous montrer intransigeants.
Et puis si les championnats ne reprenaient pas, la L.F.P. ne pourrait-elle pas emprunter, redistribuer à ses clubs pour pallier leur manque à gagner ?
Au-delà de la dimension économique il faudra recouvrer notre rôle social, redonner du plaisir…
Sans doute aussi nous tourner davantage encore vers les clubs amateurs.
Eux aussi subissent la crise de plein fouet. La suppression de tous les tournois constitue un vrai manque à gagner pour eux.
Si les championnats s’arrêtent, il y aura des lésés, il n’y aura pas de solution miracle - Christophe Ettori, GFCA
Christophe Ettori, G.F.C.A. :
Les Jeux Olympiques, la plus grande compétition de sport au monde, ont été repoussés.
Dans ce « monde football », des sommes astronomiques sont engagées mais pour autant le milieu peut-il s’affranchir du contexte, de la lutte planétaire contre le Coronavirus ?
Forcément, de ce qui sera décidé en haut découlera un effet avalanche…
A l’échelle de nos clubs principaux, de nos compétitions régionales, je pense à Corte qui a déjà eu à connaître une issue défavorable la saison passée et qui j’espère ne sera pas encore pénalisé, à tous les niveaux et quelque soit la solution choisie pour la reprise, l’impact sera certain.
Nous faudra-t-il repenser le football autrement ? Peut-être…
Mais là aussi cela ne pourra se faire que collectivement.
Antoine Emmanuelli, F.C.B.B. :
Il y aura obligatoirement un après 2020. Il faudra refonder le football.
Notre sport a un rôle social, il devra reprendre ses droits mais avec cet esprit et ces valeurs-là…
Rassurer, participer à initier une nouvelle dynamique, recréer ce lien social que le Coronavirus a coupé net…
Dans l’après-pandémie, en Corse en particulier, le football sera important pour dépasser les traumatismes, instiller à nouveau partage ou adversité, impulser déceptions ou joies.