Accès aux soins en Corse : quand être reçu par son docteur relève du parcours du combattant

Pénurie de médecins généralistes, vacances, départs à la retraite... Le manque de praticiens se fait ressentir plus que jamais en Corse, où il est désormais difficile de trouver un médecin traitant. Nous avons essayé de comprendre pourquoi.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"J'ai l'impression d'appeler des restaurants pour réserver une table le soir du réveillon. Vous savez, quand c'est complet partout, et qu'on finit par manger des pâtes devant la télé ? C'est devenu comme ça, aller chez un docteur, aujourd'hui..." Après une nuit éprouvante, à s'occuper de son fils de 8 ans, malade de la gastro-entérite, Marie-José a conservé un peu d'humour, apparemment.

Mais on devine également dans sa voix une pointe d'exaspération.

Embouteillage en salle d'attente

À la première heure, elle a tenté de prendre rendez-vous chez son médecin traitant. À travers une plateforme de rendez-vous en ligne. "Avant, on appelait le docteur directement, mais apparemment, le téléphone sonnait en permanence, et il ne pouvait plus mener les consultations tranquillement, explique Marie-José.

"Maintenant, on tombe sur cette plateforme. Et allez expliquer à une plateforme que c'est une urgence... La femme que j'ai eue au téléphone m'a donné un rendez-vous dans trois jours. C'est super, dans trois jours. C'est pile le moment où Hugo sera plus malade..."

La plupart des cabinets généralistes m'ont dit qu'ils ne prenaient plus de patients

Marie-José

Inquiète de l'état de santé de son fils, elle essaie depuis des heures de trouver un rendez-vous ailleurs. Par téléphone, ou sur l'application Doctolib. Mais c'est pareil partout. Les médecins généralistes de la région bastiaise n'ont pas de créneau. "Le plus proche qu'on m'a proposé, c'est le 9 août. Et encore, quand on accepte de nous recevoir. La plupart des cabinets généralistes que j'ai réussi à avoir m'ont dit que désormais, en raison de la surcharge de travail, ils ne prenaient plus de nouveaux patients..."

Parcours du combattant

La journée de Marie-José et de son fils ressemble à un véritable parcours du combattant. Elle a tenté les Urgences de l'hôpital de Bastia : "il y avait tellement de monde qu'on ne pouvait même pas s'asseoir", et puis la maison de santé du chemin d'Agliani, à la sortie de Bastia, où sont réunis cinq médecins généralistes. "Là, pareil. Il faut prendre rendez-vous sur internet, et il n'y avait plus aucun créneau disponible".

Sans aucune solution, Marie-José va se rabattre sur une pharmacie près de chez elle. "Ils me conseilleront quelque chose à donner à mon fils pour qu'il passe une nuit plus tranquille qu'hier, avec un peu de chance. Et demain matin, je recommencerai à faire le tour des solutions possibles..."

La jeune mère de famille est loin d'être la seule à devoir batailler par arriver à accéder à un cabinet de consultation. Auparavant, c'étaient les spécialistes qui étaient difficiles à trouver. Des mois et des mois d'attente pour un scanner, un rendez-vous avec un phlébologue, un dermatologue ou gynécologue. C'est toujours le cas, comme l'a prouvé notre tentative infructueuse d'obtenir un rendez-vous avec un ORL à Bastia ou un pneumologue à Ajaccio dans un délai inférieur à plusieurs mois.

C'est jamais agréable, de refuser des gens malades

Sylvie, secrétaire médicale

Mais désormais c'est tout le secteur libéral qui est concerné. Les généralistes comme les spécialistes. La raison, une pénurie de professionnels, dans le rural mais aussi en ville. Alors ceux qui restent ont dû prendre des mesures pour faire face à l'afflux de nouveaux patients.

Surchauffe

Sylvie est l'une des rares secrétaires médicales qui n'a pas été remplacée par une plate-forme dans la région bastiaise. Elle travaille pour deux médecins généralistes, et elle reconnaît sans peine que son standard est en surchauffe permanente. "C'est jamais agréable, de refuser des gens qui sont malades... Alors j'essaie de garder deux créneaux chaque jour pour des urgences, mais souvent, ça ne suffit pas. Et si les patients refusés sont souvent compréhensifs, certains sont plus agressifs. Dans ces cas-là, j'appelle le docteur à la rescousse, et ils baissent d'un ton, immédiatement".

Les médecins font tout ce qu'ils peuvent, dans la mesure de leurs moyens. Et même parfois plus

Docteur Assirelli

À Furiani, à quelques kilomètres de là, sur la plaque du docteur Assirelli est inscrit : "consultations libres et sur rendez-vous". Le généraliste en sourit. "Il faut vraiment que je la fasse changer. Ça date d'il y a quelques années, quand je me suis installé. C'était une autre époque".

Aujourd'hui, François Assirelli ne reçoit plus que sur rendez-vous. "Je n'ai pas eu trop le choix. Ces dernières années, j'ai eu à faire face à un tel afflux de clients, qui n'étaient pas les miens, et qui n'arrivaient pas à trouver ailleurs, que c'était devenu ingérable. À 21 heures, la salle d'attente était encore pleine. Il suffit d'un médecin qui prend sa retraite pour chambouler tout l'équilibre. C'est parfois 1.000 ou 1.200 patients qui se retrouvent orphelins de leur médecin traitant".

Le docteur Assirelli déplore cette situation. "On nous désigne souvent comme les responsables de cette situation... Mais c'est injuste. Les médecins font tout ce qu'ils peuvent, dans la mesure de leurs moyens. Et même parfois plus. Mais à l'impossible, nul n'est tenu."

"C'est un coup à y laisser la peau. Et la famille"

Le docteur Annie Logli-Poumerol, aussi, connaît bien les journées de 10 à 12 heures de travail...

"Je commence avant 8 heures du matin, et je finis souvent après 20 heures. Au mieux. C'est un coup à y laisser la peau. Et la famille", sourit la praticienne. Elle exerce à Erbalonga, et au vu de l'état des forces en présence, elle ne peut pas vraiment refuser de nouveaux patients, comme c'est souvent le cas en ville. "Il y a deux médecins à Miomo, un à Pietracorbara, qui ne devrait pas tarder à s'en aller. Ensuite, c'est Luri et Macinaggio. Pour toute la côte est du Cap Corse... Si je dis non à un nouveau patient, il va se retrouver sans médecin."

Malgré tout, elle a trouvé un moyen de se dégager un peu de temps. "Je fais des demi-journées de visites à domicile, pour les personnes âgées, ou les gens qui ne peuvent pas se déplacer. Mais pour les visites, je ne prends plus de nouveaux patients."

Sylvie, la secrétaire médicale, comprend l'exaspération de Marie-José, qui cherche toujours un docteur pour son petit garçon. Mais elle y voit aussi les conséquences d'un changement d'époque, avec toutes les nouvelles manières de fonctionner que cela implique : "il y a pas mal de gens qui voient encore les choses comme il y a une vingtaine d'années, quand les médecins travaillaient de 6 heures du matin à 22 heures. Mais ils sont comme tout le monde, ils ont une vie privée, ils ont le droit d'être en vacances, ou même d'être malades".

Une explication recevable quant au manque de praticiens sur l'île, mais les raisons qui expliquent cette situation sont bien plus nombreuses, comme nous le verrons dans le deuxième volet de notre enquête sur l'accès aux soins en Corse. 

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information