Angines, conjonctivites, petites plaies : en Corse, les pharmaciens pourront bientôt prescrire eux-mêmes certains médicaments

Expérimenté pendant deux ans en Bretagne, le dispositif Osys - pour Orientation dans le système de soins - est étendu dès début 2024 à trois autres régions, dont la Corse. Son objectif : permettre la prise en charge et l'orientation de certains maux de patients directement par les pharmaciens.

Ce pourrait être un moyen, estime ce pharmacien bastiais, "d'aider à désengorger les cabinets des médecins". Déjà lancée depuis 2021 en Bretagne, l'expérimentation Osys - pour Orientation dans le système de soins - est étendue à partir de 2024 à trois nouveaux territoires, à savoir l'Occitanie, le Centre Val de Loire, et la Corse.

L'objectif, détaillé dans un document émanant du porteur du projet et mis en ligne par l'ARS de Bretagne : répondre à "un problème qui devient crucial en France, celui de la diminution des médecins généralistes en milieu rural et la difficulté croissante à prendre rendez-vous chez un médecin généraliste en milieu urbain."

Une raréfaction qui se conjugue avec un engorgement des services d'urgence pour des pathologies d’affections transitoires "le plus souvent bénignes", souligne le document, "qui pourraient être prises en charge efficacement en amont afin de limiter les risques liés soit à une automédication inadaptée masquant des symptômes d’aggravation, soit à un retard de prise en charge par négligence entraînant des complications lourdes à traiter."

Repérage, triage, traitement

Une situation qui pourrait, considèrent les porteurs du projet Osys, si non être complètement résolue, être améliorée, en instaurant dans les zones considérées comme des déserts médicaux une "collaboration interdisciplinaire entre les médecins généralistes et les pharmaciens d’officine permettant un premier recours aux soins auprès des pharmaciens d’officine formés à un triage optimisé et sécurisé, triage fondé sur la base d’arbres décisionnels portant sur des situations cliniques pré identifiées."

Six pathologies précises ont été déterminées dans ce cadre : les conjonctivites, les petites plaies, les piqûres de tiques, les brûlures superficielles, les douleurs pharyngées et les cystites. Des pathologies qui pourront donc être repérées par les pharmaciens formés.

Ceux-ci pourront ensuite directement délivrer des médicaments aux patients, sans passage obligatoire par la case médecin... Mais également les orienter vers une visite médicale ou aux urgences, en cas de besoin.

"Une coordination supplémentaire entre l'ensemble des professionnels de santé"

En Corse, quatre formations ont déjà été réalisées pour préparer les pharmaciens à appliquer le projet Osys, indique Pierre Albano, pharmacien titulaire d'une officine à Calenzana, et coordonnateur de l'expérimentation pour la Corse. "Deux autres sessions seront prochainement mises en place", ajoute-t-il, précisant qu'il y aura, techniquement, une vingtaine d'officines en capacité d'enclencher la mise en place d'Osys dès le 1er janvier. 

"Le dispositif sera sans doute enclenché dans le courant du mois de janvier, reprend-il, et au fur et à mesure des formations des pharmaciens." Pour Pierre Albano, cette expérimentation laisse envisager "une coordination supplémentaire entre l'ensemble des professionnels de santé", pour une plus grande efficacité et une meilleure prise en charge des patients.

"Orienter les patients, c'est quelque chose que nous faisons déjà au quotidien, notamment quand ils n'ont pas directement la possibilité de joindre un médecin"

Une position partagée par Christian Filippi, également pharmacien et président de l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) des pharmaciens de Corse. "Je pense que cela va répondre de manière uniforme pour les soins non-programmés pour les patients". Des conseils délivrés par les pharmaciens et strictement encadrés, rappelle-t-il, par un arbre décisionnel établi et validé par la Haute autorité de santé.

D'autant plus, souligne Christian Filippi, "qu'orienter les patients, c'est quelque chose que nous faisons déjà au quotidien, notamment quand ils n'ont pas directement la possibilité de joindre un médecin". Une orientation vers un médicament qui pourrait être délivré sans ordonnance, par exemple, ou vers une prise en charge médicale plus poussée si le professionnel en estime le besoin. "C'est au cœur de notre métier."

En Bretagne, 420 consultations médicales et 68 passages aux urgences évités

En Bretagne, territoire inaugural de cette expérimentation, les retours du projet Osys sont globalement encourageants. Sur les quelque 1000 pharmacies qui composent le territoire, 74 ont participé en 2022 à l'expérimentation. Le comité de pilotage espérait comptabiliser 7500 triages sur l'année. 

D'après un bilan dressé en juillet 2023 par l'ARS de Bretagne, ce sont finalement 1.800 situations qui ont été prises en charge, depuis l'automne 2021, dans le cadre de ce dispositif. Un nombre certes en deçà des espérances, mais un bilan satisfaisant pour l'agence régionale de santé.

L'agence indique ainsi indique qu'à la question "qu'auriez-vous fait si ce service n'existait pas", 39 % des patients ont indiqué qu'ils seraient allés voir un médecin, et 5 % qu'ils seraient allés aux urgences. "702 patients seraient donc allés voir un médecin directement : l’expérimentation a évité 420 consultations médicales", détaille l'ARS de Bretagne, et "90 patients se seraient rendus aux urgences : l’expérimentation a évité 68 passages aux urgences".

Une mesure controversée au sein du corps médical

Reste que le projet Osys ne remporte pas l'adhésion de tout le monde, notamment parmi le corps médical. Interrogée par le Parisien, Agnès Giannotti, présidente de MG France, le plus important syndicat de généralistes du pays, y voit "une mesure cache-misère histoire de dire que le gouvernement agit".

"Tant qu’on ne fera pas le nécessaire pour que chaque Français ait un médecin traitant, rien ne changera", ajoute-t-elle, estimant que le gain de temps de ce dispositif resterait minime et peu conséquent sur la journée type des médecins.

Sur TF1, Franck Devulder, président de la CSMF, la confédération des syndicats médicaux français, craint de son côté une possible mauvaise prise en charge médicale : "Prenons le cas des cystites. Je ne vois pas une patiente dévoiler tous ses symptômes au comptoir de la pharmacie, alors qu'un symptôme bénin peut cacher une pathologie plus grave."

Pour ce dernier, "le médecin doit rester le pivot dans le parcours de soins, il est le seul à pouvoir poser un diagnostic".

Pas question "de se substituer aux médecins"

"Il n'est pas question de se substituer aux médecins", insiste en guise de réponse Pierre Albano, le coordonnateur du projet Osys pour la Corse. "C'est une orientation qui sera réalisée, pas un diagnostic. Le pharmacien n’endosse pas le rôle du diagnostic, il appartient au médecin. Nous sommes là pour être complémentaires."

"Je pense que s'il y a des réfractaires, c'est peut-être parce qu'ils n'ont pas bien compris le projet, conclut-il. L'idée, c'est de simplifier le processus. Ce n'est pas au détriment des médecins, mais au bénéfice des patients."

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