Le nouvel album de Fanou Torracinta, Gypsy Guitar From Corsica vol.2, prouve, s'il en était encore besoin, que le jeune guitariste balanin s'est taillé une place à part dans l'ombre du grand Django Reinhardt.
Hier soir, Fanou Torracinta livrait, guitare en main, une des réinterprétations de titres de Django Reinhardt dont il a le secret, entouré d'une section rythmique et d'un quatuor à cordes de haute volée, au sein du projet Génération Django, qui rend hommage à la légende du genre.
C'était sur les planches de l'Academy of music theater de Northampton, dans le Massachussetts.
Découverte
Le jeune guitariste balanin de 28 ans était l'un des invités de Django in June, rendez-vous incontournable de tous les amateurs de jazz manouche de la côte Est des Etats-Unis, chaque printemps.
Un concert outre-atlantique, ça a une saveur un peu spéciale, indéniablement. Mais depuis quelques années, Fanou Torracinta est devenu un habitué des festivals à travers l'Europe, de la Belgique à l'Italie ou l'Espagne, en passant par Jazz in Marciac, l'un des temples du jazz du continent.
Quand on évoque cette cote de popularité dans le monde du jazz manouche avec le guitariste blond, il en sourit : "on joue devant beaucoup de monde, mais les gens ne viennent pas forcément pour toi ! C'est tout l'intérêt des festivals. Il y a un côté découverte..."
Le swing dans le sang
Tout Fanou Torracinta pourrait être résumé dans cette réponse. Pas question de se hausser du col. Si vous l'écoutez, tout ce qui lui arrive, c'est une question de circonstances, de bonne volonté, assaisonné, si l'on insiste vraiment, d'un peu d'audace. Mais plus personne n'est dupe. Torracinta a le swing dans le sang, et un talent hors norme.
En avril dernier, il a sorti son dernier album, Gypsy Guitar From Corsica volume 2, salué par une presse spécialisée unanime, et considéré par les programmateurs américains de Django in June comme "l'un des meilleurs albums de jazz manouche de notre époque, qui mériterait des années d'étude".
Quand on joue du jazz, on sait dès le début qu'on ne sera jamais des stars
Et pourtant, Fanou Torracinta est bien décidé à faire profil bas. En dehors de la scène, il ne cherche pas la lumière. "D'abord parce qu'on n'a pas été élevés comme ça, dans la famille", nous confiait-il, il y a quelques semaines, à la terrasse d'un café de la place Saint-Nicolas. Et puis parce qu'il ne fait pas de la musique pour la reconnaissance médiatique. "On joue du jazz. C'est un style musical de niche où, quand on commence, on sait qu'on ne sera jamais des stars. C'est ça qui est bien, aussi, dans cette musique". Fanou recommande un café. "Évidemment, si tu es reconnu, c'est cool, tu ne vas pas dire non. Mais ce que je veux, c'est faire connaître mon truc. Ca me suffit". Le musicien passe une main dans ses boucles blondes, avant de conclure, "à partir du moment où je me sens bien, je m'en fous, pour dire la vérité".
Fanou Torracinta a beau être précoce, il n'a pas commencé par le jazz, évidemment. La première fois qu'il saisit une guitare, il a 6 ans, dans une maison où la musique est omniprésente. "Il y avait toujours une guitare qui traînait. J'ai appris quelques accords, pour faire plaisir aux parents. J'ai appris quelques chansons, et je crois que parmi les premières, il y avait celles des Chjami Aghjalesi. Et puis j'ai commencé à jouer sur les disques, avec mon frère, Nico, qui connaissait bien tout ça, et était plus âgé que moi".
Il est en cinquième, quand il s'essaie au jazz pour la première fois, pour faire comme son frère. Et il y prend vite goût. Quand l'aîné passe à l'électrique, lui décide d'insister en acoustique.
Précoce
Encore une fois, quand on souligne que peu de gens sont capables de jouer du jazz à 12 ans, Fanou tempère : "c'est un âge où on apprend vite. Et puis moi, je suis de la génération Youtube. Tu regardes des vidéos, tu apprends les positions..."
J'ai commencé à jouer comme un malade, 8 heures par jour, parfois. Quand on est gosse, on ne se rend pas compte
Un jour, le père de Fanou lui dit que s'il arrive à jouer un certain nombre de morceaux, il lui achètera une guitare manouche. A ce souvenir, le visage du jeune homme s'illumine. "J'ai commencé à jouer comme un malade, 8 heures par jour, parfois. Quand on est gosse, on ne se rend pas compte. Ce n’était pas du travail... Et j'ai réussi à jouer 5 ou 6 morceaux, je me rappelle plus. Mon frère m'accompagnait, et moi je jouais. Et je l'ai eue, la guitare ! Je l'ai toujours, d'ailleurs."
Si on l'écoute, Fanou Torracinta a commencé à vraiment jouer de la guitare à 17, 18 ans. Mais pour lui, vraiment jouer de la guitare, ça signifie monter un groupe, se produire sur scène. Et voir plus loin. "J'ai toujours voulu en faire mon métier. À l’époque, je ne croisais pas des intermittents du spectacle au café tous les matins. Autour de moi, je voyais des gens avoir des boulots normaux, faire des études, et je me disais que ce n’était pas très raisonnable, de renoncer à tout ça. Et puis je voulais aussi rassurer mes parents.
Alors Fanou, pendant deux ans, suit des cours de gestion des entreprises à Corte. Mais il n'a pas pour autant renoncé à une carrière dans la musique. Mon stage de fin d'études a consisté à créer la boîte qui nous produit aujourd'hui. Et à partir de 19 ans, je n'ai plus fait que de la guitare".
Lucidité
Il faut dire que, très vite, les choses s'étaient accélérées pour l'adolescent fan de musique. Le jeu tout à la fois virevoltant et plein de maturité de Fanou Torracinta lui avait de nombreuses portes, et lui donnait accès aux virtuoses les plus respectés de la discipline. "On a de la chance, les meilleurs au monde, en jazz manouche, sont Français. Et ils sont très accessibles. Tu peux aller les voir en concert, et ensuite, même si tu n'es pas bon, tu peux aller boire un coup avec eux, et de fil en aiguille, en t'imprégnant de tout ça, tu avances".
Fanou n'a que 17 ans lorsque pendant 15 jours, il accompagne l'un des monuments de la guitare gypsy, Tchavolo Schmitt, lors de sa tournée en Corse. À l’époque, il n'est pas accessible au trac. "J'ai même pris quelques chorus ! Je ne me rendais pas compte, à cet âge-là..."
Le stress de jouer avec de telles légendes me coupait les jambes...
Un peu plus tard, vers 22 ans, Fanou le reconnaît, tout cela est subitement devenu plus difficile à vivre. "On faisait de grosses premières parties, et le stress de jouer avant de telles légendes, ça me coupait les jambes. Je n'y arrivais plus".
Quand on lui demande comment il a géré tout ça, il éclate de rire : "mal !"
Il se souvient de la première fois où il a foulé les planches de Patrimonio, en 2016. Dans le théâtre de verdure où il était venu admirer tant de ses idoles. "J'étais vraiment trop stressé. Je n'étais pas prêt psychologiquement. Arriver à rester lucide, c'était compliqué".
Pendant deux ans, il va arrêter les dates et les tournées. "J'ai fait un peu de guitare, pour moi, j'ai composé... J'avais besoin d'une réelle remise en question. Et ça a pris du temps. Mais en 2019, ça allait mieux, j'étais sûr de vouloir faire mon truc à moi. Et j'ai enregistré mon disque".
Résultat, Gypsy Guitar From Corsica Volume 1 arrive dans les bacs en 2021. Un coup de maître qui marque les esprits et inscrit définitivement Fanou Torracinta sur la carte du jazz français. Deux ans plus tard, le guitariste a donc réitéré l'exploit avec l'aérien Gypsy Guitar From Corsica volume 2, qu'il défendra sur toutes les scènes durant l'été, en commençant par Jazz in Calvi le 23 juin prochain.
Mais il pense déjà à la suite. Un album de guitares, avec son frère, Nico. Les deux hommes sont inséparables, et jouent ensemble dès qu'ils le peuvent. Et puis aussi ce projet, qui lui trotte dans la tête depuis longtemps : "un album de reprises de standards de la chanson corse, réarrangé à ma sauce, avec un quatuor à cordes..."