Il est en Europe depuis douze ans, a accumulé les diplômes, parle quatre langues, mais depuis des années, il est en situation illégale sur le territoire. Aujourd'hui, il est sous le coup d'une OQTF, et compte sur la mobilisation des associations pour faire céder la préfecture de Haute-Corse.
"Sam Assima est un jeune homme comme des milliers d'autres jeunes gens, qui fait tout pour s'en sortir, étudier, travailler, proposer ses compétences avec un projet d'insertion solide et qui pourtant reçoit pour réponse une OQTF [Obligation de Quitter le Territoire Français - NDLR]. Peut-on imaginer monsieur Assima se retrouver au Togo qu'il a quitté depuis plus de dix années ? Comment concevoir qu'une personne qui a déployé tant d'efforts et de ressources pour s'intégrer soit envoyée dans un pays où personne ne l'attend et où elle ne trouvera qu'insécurité ?"
Devant les grilles de la préfecture de Haute-Corse, Patrizia Poli lit le courrier de soutien de la section de Corse de la Ligue des droits de l'homme à Sam Assima. La cinquantaine de personnes qui a répondu à l'appel au rassemblement écoute, et ponctue la lecture d'applaudissements.
Pour l'opinion publique, on le sait, être OQTF, c'est être un délinquant...
Sam Assima
Appuyé contre un arbre, à quelques mètres de là, l'étudiant togolais semble touché par le rassemblement, mais presque gêné d'en être la cause.
"Pour l'opinion publique, on le sait parfaitement, être OQTF, c'est être un délinquant... Cette situation, je la vis comme une humiliation. Je suis venu en Europe de manière légale, pour faire des études, j'ai toujours tout fait pour m'intégrer, je n'ai jamais été condamné à rien, j'ai toujours essayé d'avancer, j'ai validé des diplômes, même après que j'ai perdu mon titre de séjour... Ce n'est pas déjà pas facile de réussir des études quand on est Français, ou qu'on a des papiers. Alors quand on n'en a pas..."
Compte à rebours
Sam Assima, chapeau noir et chemise blanche, doit s'interrompre régulièrement, alors que les militants des différentes associations qui se sont mobilisées et proches viennent lui témoigner leur sympathie.
Le jeune homme, titulaire d'un master en management, désireux il y a quelques temps encore de se lancer dans la rédaction d'une thèse, est menacé d'expulsion, dans moins de deux semaines. "Le compte à rebours est lancé", reconnaît-il avec un haussement de sourcils.
Parmi les prérequis à ma présence sur le territoire français, il y avait la réussite aux examens... En conséquence, mon titre de séjour n'a pas été renouvelé
Sam Assima
Il y a une douzaine d'années, Sam Assima, étudiant prometteur, obtient un visa pour aller poursuivre ses études de comptabilité en Italie. En 2015, à la faveur d'un échange universitaire, il arrive en France, à Montpellier. Quelque temps après, il connaît son premier échec universitaire, "pour raisons personnelles".
C'est ce qui, selon lui, va compliquer singulièrement sa situation : "parmi les prérequis à ma présence sur le territoire français, il y avait la réussite aux examens... En conséquence, mon titre de séjour n'a pas été renouvelé".
"Exemple d'intégration"
Pourtant, Sam va refuser de quitter la France. "Je suis allé d'OQTF en OQTF, mais j'étais venu avec un objectif en tête, et il fallait que je l'atteigne".
L'étudiant togolais continue ses études, valide son master, malgré l'interdiction de rester sur le territoire. "Les universités ne sont pas tenues légalement de réclamer un titre de séjour. Ce n'est pas leur rôle de réguler l'immigration. Elles sont là pour accueillir et former les gens".
Ses demandes de régularisation, en revanche, se heurtent au refus de la préfecture, "qui estime que je n'entre dans aucun cadre légal strict".
Ma vie, c'est comme un bateau qui flotte sur une mer agitée
Sam Assima
Sam peine à comprendre.
"J'aime énormément la France, je ne veux pas donner l'impression de taper dessus, mais il y a une antinomie entre la politique d'intégration qu'elle prône et mon expulsion. Si demain je réussis, et je suis déterminé à ce que ce soit le cas, je pourrais être un exemple d'intégration, et je suis persuadé qu'ils me brandiraient comme un étendard, en disant aux autres immigrés que c'est possible. Et aujourd'hui, ils veulent me voir partir..."
"Il y a deux manières de voir les choses, reprend Sam après avoir salué deux dames venues l'encourager à tenir bon. Je suis resté illégalement, certes, mais je suis resté pour faire avancer mes projets et apprendre, ou je suis resté pour faire des bêtises ou profiter du système ?"
Depuis qu'il est en situation irrégulière, Sam doit compter sur la solidarité des gens qui l'entourent. "C'est très compliqué au jour le jour... Les gens sont généreux, certains m'ont hébergé. Heureusement, j'avais travaillé, par le passé, quelques fois, et mis un tout petit peu d'argent de côté, c'est ce qui m'a permis de continuer mes études, même en situation de précarité".
Sam Assima sourit, comme s'il redoutait de donner l'impression de se plaindre. "En fait, ma vie, c'est comme un bateau qui flotte sur une mer agitée. Parfois on est en haut de la vague, et parfois au creux. Mais quand on veut vraiment, on trouve toujours un moyen de rebondir. Moi, je regarde toujours vers le haut".
Troc
C'est grâce à cette manière d'aborder les obstacles qu'est né le projet professionnel sur lequel il travaille depuis quelque temps. "Mon quotidien, difficile, m'a donné une idée entrepreneuriale. J'avais besoin de trouver des vêtements, et je n'avais plus d'argent pour m'en procurer. Alors j'ai fait appel au troc, et au don de vêtements. Mais je me suis vite rendu compte que les plateformes en ligne étaient inefficaces. Alors je travaille sur un système plus fluide et rapide, en m'appuyant sur les nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle. Et puis, cette démarche s'inscrit dans une économie verte, qui pourra permettre de réduire les déchets textiles très polluants pour notre environnement".
Sam espère qu'il pourra mener son projet à terme. Mais il faudra parvenir à convaincre les services de l'Etat. Et ce n'est pas gagné.
Plusieurs représentants du comité de soutien ont été reçus ce matin par le secrétaire général de la préfecture de Haute-Corse, qui a assuré qu'une grande attention était portée au dossier, mais que "le problème c'est que depuis six ans, Sam Assima avait déjà fait l'objet de deux OQTF qui n'ont pas été exécutées, et qu'une troisième a été prononcée", raconte Jean-Charles Dionisi, qui a participé à la réunion. Mais le comité entend bien garder espoir.
"Certes on pourrait imaginer que l'Etat revienne sur sa décision. C'est un peu compliqué, au regard de ce dossier, mais le secrétaire général a affirmé qu'il était prêt à réexaminer le dossier si quelque élément nouveau venait modifier les choses de manière tangible".
Un vrai défi pour le jeune Togolais, à moins de deux semaines de l'expiration du délai qui lui est laissé pour quitter la France de son propre chef...
Reportage télé de Juliette Vincent et Roxanne Paul :