Depuis un demi-siècle, il est, en Corse, l'homme de confiance de Moby, la plus grande compagnie maritime de Méditerranée. Une carrière exceptionnelle qui fait de lui la mémoire du transport maritime sur l'île. Et à 86 ans, il n'a pas encore dit son dernier mot. Portrait.

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"Ce port, je l'ai vu se faire pierre par pierre". Fabien Paoli, le sourire aux lèvres, balaie du regard les quais du port de commerce de Bastia, qu'il arpente depuis plus de soixante ans. La saison n'a pas encore vraiment commencé, et l'activité est calme, en ce dimanche matin.

La silhouette d'un bateau de la Corsica Ferries en provenance de Toulon se dessine à l'horizon, alors que les dernières voitures quittent le Pascal Paoli, arrivé un peu plus tôt de Marseille.  

Les liaisons des bateaux de Moby avec l'Italie ne débuteront que la semaine prochaine. Contrairement à ses concurrentes, la compagnie maritime n'assure pas de rotation à l'année. Une discrétion sur le marché insulaire qui ne l'empêche pas d'être la première compagnie maritime du bassin méditerranéen.  Et Fabien Paoli en est sa tête de pont en Corse depuis plus d'un demi-siècle.  

A 8 heures du matin, à l'ombre des semi-remorques alignés au bord de l'eau, dans le bruit des passerelles de métal qui s'entrechoquent, l'octogénaire, d'une élégance irréprochable, pourrait ne pas sembler à sa place. Mais Fabien Paoli est ici chez lui. Que ce soient l'équipage du navire, les agents de sécurité ou la douane, tout le monde le connaît, l'interpelle, le salue chaleureusement. Et l'homme fort de Moby en Corse n'en est pas peu fier. 

"Personne ne m'appelle jamais monsieur Paoli ou monsieur le directeur. A part pour la macagna. Pour tout le monde, c'est Fabien. Et les dockers, parfois, ils m'appellent même parrain ou tonton !" Fabien Paoli réajuste sa cravate. "Aujourd'hui, tout se passe par l'écrit, par le téléphone, par messages... Moi je ne crois qu'aux rapports humains".

Audace

Une philosophie qu'il a mise en pratique dès son entrée dans la vie active, en 1959. Fabien Paoli a 22 ans lorsqu'il se présente à la petite agence maritime Colonna d'Istria, 5 rue Luce de Casabianca, à Bastia.

Le jeune homme, né à Sorbo-Ocagnano, fils d'agriculteur, issu d'une famille de cinq enfants, est engagé comme comptable. "Je venais de terminer mes études, avec l'équivalent de ce qui serait aujourd'hui un bac + 5 en gestion. Mais c'était un tout autre métier à l'époque. Vous avez entendu parler des teneurs de livres, et de la méthode luxembourgeoise ? C'était ça, que l'on apprenait !"

J'étais souvent sur le quai, devant les bateaux de la Moby, à faire la circulation

Fabien Paoli

Fabien Paoli n'est pas du genre à rester cantonné derrière un bureau. Très vite, il prend ses marques, sous le regard bienveillant de son employeur, et son importance dans le fonctionnement de l'agence ne cesse de grandir. Il touche à tout, descend sur le port, gère les personnels, et prend des initiatives pour améliorer les performances et le fonctionnement de la société. "Je ne connaissais rien au métier des transports maritimes, alors je suis allé y voir de plus près. Et il n'était pas rare que l'on me voie sur le quai, devant nos bateaux, à faire la circulation !"

La même année, à quelques centaines de kilomètres de là, un jeune Italien, Achille Onorato, âgé de 20 ans à peine, crée sa première compagnie, la NavArMa, Navigazione Arcipelago Maddalenino), une compagnie de remorquage entre la Sardaigne et l'île de la Maddalena.

Mais les ambitions de la NavArMa sont bien plus grandes. En 1966, la compagnie sarde achète un deuxième navire, le Bonifacio, afin de desservir l'extrême-sud de la Corse. Et au début des années 70, la NavArMa s'implante à Bastia, avec un premier navire, Cita di Piombino, qui relie Piombino, et un deuxième, l'Alba Prima, qui va jusqu'à Portoferraio, sur l'île d'Elbe. "C'était de tous petits navires, qui chargeaient à peine entre 25 et 45 voitures", se souvient Fabien Paoli. 

C'est à cette époque que l'agence Colonna d'Istria rejoint la galaxie NavArMa et devient l'agent de la compagnie sarde pour la Corse. Le Bastia, puis le Giraglia élargissent l'offre au tournant des années 80, en allant jusqu'à Livourne. 

Incontournable

Au début des années 90, la NavArMa devient la Moby Lines, et décide d'investir le marché du fret. La société, dont les navires arborent désormais sur leur flanc l'emblématique baleine bleue, continue de grandir. Au fil des ans, elle va absorber les sociétés St Peter's Line en Scandinavie, ou Tirrenia et Toremar en Italie. Aujourd'hui, nous rappelle Fabien Paoli, "elle pèse 42 bateaux, et 5.600 personnes à travers l'Europe". 

L'agence Colonna d'Istria, le relais corse de Moby, prend lui aussi de l'ampleur, porté par Fabien Paoli, qui devient vite le visage, et le moteur de la société, transformée en SARL en 1974, à son initiative. "Monsieur Colonna d'Istria était plus que mon patron. C'était mon ami, mon frère. Pendant 50 ans, il m'a fait entièrement confiance. J'avais carte blanche sur tout".

Je viens vous voir avec la Kalachnikov et les balles pour le sanglier

Fabien Paoli

Fabien Paoli est partout. Il devient vite un interlocuteur incontournable dans le monde du transport maritime. Et même au-delà. Il siège à l'office des transports, et crée le syndicats des transporteurs, avec un ami, alors même qu'il n'est pas transporteur.

Il connaît tout le monde, dénoue les problèmes les plus insolubles, cultive les amitiés dans toutes les couches de la société, dans les tous les milieux. Il ferraille aussi avec les élus, les syndicats, les préfets ou les ministres, peu importe leur bord politique, dès qu'il s'agit de défendre les intérêts de Moby.

Et quand c'est le cas, Fabien Paoli n'est pas du genre à retenir les coups. Ce haut fonctionnaire à qui il lance, un jour, au téléphone, alors que les ports sont bloqués par un mouvement de grève, "monsieur le préfet, à force de baisser le pantalon devant les syndicats, apparemment vous y avez pris goût" s'en souvient encore. 

Il en va de même pour ces deux leaders de la CGT marseillaise qui lui avaient promis de l'attendre la prochaine fois qu'il passerait dans la cité phocéenne, et à qui il avait répondu, sur un ton bonhomme : "ça tombe bien, je monte skier à Tignes la semaine prochaine, je viens vous voir avec la Kalachnikov et les balles pour le sanglier"

Une énergie débordante

Des décennies après ces passes d'armes, à 86 ans, Fabien Paoli déborde encore d'énergie. Et son esprit est plus tranchant que jamais. L'homme est intarrissable. Il passe d'une anecdote à l'autre, d'une époque à l'autre, d'un pays à l'autre, avec une agilité remarquable. Il se souvent des dates, des discussions, des articles de loi, des noms de toutes celles et tous ceux qui ont croisé son chemin. Il connaît la longueur, la capacité d'accueil et le nombre de voitures embarquées sur chacun des navires de Moby qui desservent la Corse. Ou qui l'ont desservie.

Je prendrai ma retraite quand je serai vieux.

Fabien Paoli

Les empoignades sur l'âge de la retraite, Fabien Paoli regarde cela de loin. Il y a une vingtaine d'années, à l'âge où d'autres cultivent leur potager ou achètent un camping-car, il est devenu président de la Moby France à Toulon, et créé la Moby Ferries à Nice, dont il est également le président. C'est dire l'importance du Bastiais dans les plans de la puissante compagnie maritime. 

En toute logique, en 2015, au décès de Colonna d'Istria, Fabien Paoli rachète l'agence bastiaise, qui s'appelle désormais Moby-Paoli. "Je suis co-propriétaire, avec l'armateur, qui est majoritaire. C'est lui qui a proposé cet arrangement". A l'époque, Fabien Paoli a déjà 78 ans. Mais il n'a jamais voulu entendre parler de retraite. "Je prendrai ma retraite quand je serai vieux", répète-t-il à l'envie. 

Alors il est toujours là, à l'entrée de l'agence. A l'exacte même place qu'il occupait, il y a 60 ans. Au même bureau, sur lequel aucun ordinateur n'a jamais osé faire une apparition. "Moi, tout est là", sourit-il en pointant sa tempe du doigt. "Je m'occupe de la gestion, de la comptabilité", avance Fabien paoli. Personne, autour de lui, ne fait semblant de le croire. 

Josy, sa fille, passe le saluer, en compagnie de son petit-fils. Elle couve son père du regard, avec un mélange d'amour, de respect et d'admiration. "Les parents s'occupent de nous, et puis à un moment les choses s'inversent. Et c'est à nous de nous occuper de nos parents. Sauf que mon père n'est pas du genre à ralentir. Il m'a fallu du temps pour me faire à l'idée, mais j'ai fini par le comprendre. Il fait ce qu'il aime, et c'est toute sa vie, Moby !" 

63 ans de fidélité

Alors qu'on arpente la rue Luce de Casabianca, dans laquelle Fabien Paoli ne peut faire un pas sans être arrêté par un passant ou hélé par un automobiliste, on a presque l'impression de suivre une tête de liste en campagne. "Oh, on me l'a proposé pas mal de fois", reconnaît le patron de Moby en Corse, ami intime de Paul Natali durant la plus grande partie de sa vie. "Mais j'ai toujours dit non"

Ce qui n'a pas empêché l'homme de droite, qui se dit "régionaliste" d'apparaître sur d'innombrables listes, auprès de Paul Natali mais également de Jean-Louis Albertini, Jean-Louis Milani ou Antoine Gandolfi. Mais toujours à ses conditions. Et sans jamais faire aucune infidélité à Moby. "Ils m'ont fait confiance, depuis le début. Et ça, c'est inestimable. Je suis un homme à l'ancienne, moi. Je crois à la parole donné, et à la fidélité. Dans le travail comme en amitié". 

Fabien Paoli s'arrête devant Notre Dame de Lourdes, et nous montre le sms qu'il a reçu de l'armateur, quand il a acheté en 2021 l'agence de Bonifacio qui était jusque-là le relais de Moby dans l'extrême-sud. "Forza Fabien !"

Le patron de Moby-Paoli glisse le téléphone dans la poche de son costume, avant de rejoindre sa fille et son petit-fils. 

L'histoire de Moby en Corse, comme celle du transport maritime insulaire, n'a pas été un long fleuve tranquille. Mais demain, comme chaque matin depuis 63 ans, Fabien Paoli prendra place derrière son vieux bureau. Il ne saurait en être autrement. Lui l'a toujours su. Et personne n'en doute plus depuis longtemps. 

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