Hier et aujourd'hui, à Bastia, Ajaccio et Porto-Vecchio, une cérémonie publique s'est tenue pour l'allumage de la menorah, le candélabre de la fête de Hanouka. Une nouveauté pour une communauté longtemps très discrète à Bastia, en l'absence de chef religieux.
Michèle arrive en avance, s'assoit sur un banc qui longe la place du Marché de Bastia, et attend patiemment que les préparatifs soient terminés. Quelques mètres plus loin, le rabbin Chneor Zalman Teboul installe la menorah, le grand candélabre qui sera allumé ce soir, tandis que son épouse dispose des beignets frits sur une table, comme le veut la tradition.
Michèle est rejointe par sa meilleure amie, qui n'est pas juive, mais qui a voulu partager ce moment. "C'est l'occasion d'en savoir un peu plus sur sa religion, on n'en parle pas souvent", reconnaît la pétulante sexagénaire.
Michèle est ravie de l'initiative prise par le jeune rabbin de 27 ans, qui est arrivé à Bastia en 2020. "Moi je n'en ai jamais connu, de rabbin, à Bastia. Pendant longtemps, il n'y en avait pas. Alors je me contentais d'allumer la menorah, chaque soir, à la maison. Mais ce n'est pas pareil. Une fête, c'est fait pour être partagée".
La fête des lumières
Cette fête, c'est Hanouka, ou "la fête des lumières". Une fête qui commémore la lutte menée en terre d'Israël il y a plus de 2.000 ans par un petit groupe de juifs dirigés par Juda Maccabée contre les envahisseurs Séleucides, qui voulaient abolir leur foi.
"Une lutte disproportionnée qui dura des années et des années, et qui se termina par la défaite des Grecs. Quand les juifs revinrent à Jérusalem et qu'ils voulurent consacrer de nouveau le temple, ils découvrirent que les Grecs avaient souillé les huiles sacrées bénies par le grand rabbin, à l'exception d'une fiole", nous explique Gilbert Sicsic, venu également prendre part à la cérémonie sur la place du Marché de Bastia.
"C'était une fiole qui ne pouvait durer qu'une seule journée, et qui pourtant a duré huit jours, par miracle". Cela a permis de donner le temps aux juifs de fabriquer une nouvelle huile, et de relancer le culte.
C'est de cet épisode qu'est née la fête de Hanouka.
Bienveillance
Face à l'imposante église de Saint Jean-Baptiste, une grande menorah dorée, à neuf branches, attend d'être illuminée, comme le veut le rite. Ils sont quelques dizaines à s'être donné rendez-vous sur la place, pour y assister. Une assistance bien plus modeste que les centaines de fidèles qui se réuniront au même endroit le 24 décembre, pour Noël.
Les pratiques religieuses du Judaïsme sont peu visibles en France, face à l'omniprésente des célébrations catholiques. Mais cela n'a rien de choquant, pour Gilbert Sicsic. "Nous sommes dans un pays qui est chrétien, cela nous semble donc normal. Si cela ne convient pas, il faut aller ailleurs. Nous ne nous sommes jamais sentis exclus, on nous laisse vivre nos coutumes avec une grande bienveillance".
Je fête Noël avec ma belle-famille, qui n'est pas Juive. Elle me transmets ses valeurs, et je lui transmets les miennes.
Gilbert Sicsic
Gilbert réfléchit quelques instants, avant d'ajouter : "J'aime Noël, vous savez. J'avais un sapin à la maison, quand j'étais petit, même si mes parents étaient religieux. Et je fête Noël avec ma belle-famille, qui n'est pas Juive. Elle me transmets ses valeurs, et je lui transmets les miennes. C'est un échange, et c'est bien comme ça. Si le monde pouvait tourner dans ce sens-là..."
200 Juifs dans la région bastiaise
A Bastia, la communauté juive est peu visible. Et pour cause. "Vous savez, sans rabbin, on ne peut pas avancer, estime Chneor Zalman Teboul. "C'est comme une classe qui n'a pas de professeur. Même si les élèves y sont excellents, elle ne peut pas être cadrée. Chaque communauté a besoin d'un guide, qui doit faire en sorte de perpétuer la tradition".
Le rabbin a 25 ans lorsqu'il arrive à Bastia en 2020. Avec "une grande responsabilité, et une mission magnifique : faire prendre conscience aux Juifs vivant en Corse qu'en même temps qu'être Corses, ils sont également Juifs".
Deux ans plus tard, il est très étonné du succès de la démarche. "Aujourd'hui, on a rencontré plus de 200 juifs dans la région bastiaise, un chiffre bien supérieur à ce que l'on imaginait". La plupart, nous confirme-t-il, ne sont pas pour autant pratiquants. Mais, selon le rabbin Zalman, "le judaïsme est plus encore une identité qu'une religion. Tu nais Juif, tu restes Juif. Même si pratiquer, bien sûr, alimente le judaïsme".
On continue la bataille positive que nos ancêtres ont mené pour perpétuer nos valeurs.
Rabbin Zalman
"Notre travail, c'est de recréer une vraie communauté. Je vais rendre visite aux gens, chaque semaine, avec mon épouse. On leur amène de la chaleur humaine, on tisse des liens. Il y a du boulot mais c'est très beau de construire quelque chose. On continue la bataille positive que nos ancêtres ont mené pour perpétuer nos valeurs".
Un centre a été ouvert, boulevard Giraud, dans le giron du centre régional, à Ajaccio. C'est là que "tout ce passe, office, repas, réunions, pour des raisons pratiques". Mais le rabbin Zalman l'affirme, il faudra bientôt un plus grand centre, pour être à la hauteur de ce que mérite le renouveau de la communauté juive bastiaise.