Aujourd'hui étaient installés six magistrats de la cour d'appel de Bastia, dans l'attente de l'installation de la première présidente, prévue dans les prochaines semaines. L'occasion de souligner le peu d'intérêt des magistrats continentaux pour les juridictions de Corse.
"La justice est la condition première de l'humanité, a écrit Wole Soyinka, le prix Nobel de littérature". Lors de son adresse aux six magistrats qui lui font face, et qui sont installés aujourd'hui dans leurs fonctions à la cour d'appel de Bastia, Jean-Jacques Gilland met l'accent sur le poids de la tâche qui les attend.
Le président de chambre assure l'intérim à la première présidence, alors qu'Hélène Davo, qui a été nommée en juin dernier, non sans que cette nomination ne suscite certains remous (voir plus bas), ne sera installée pour sa part que dans les prochaines semaines.
Expérience
Parmi les six magistrats installés, Pierre Bernard, président de la chambre de l'instruction, Valérie Lebreton, présidente de chambre.
Le premier était auparavant à la cour d'appel d'Aix-en-Provence où il a traité "de nombreux contentieux corses, pour les dossiers que l'on appelle Jirsés ,[dépendant de la JIRS, la juridiction interrégionale spécialisée - NDLR] qui relèvent de la grande criminalité, de la criminalité en bande organisée", comme il nous le confirmera plus tard dans la cour du palais de justice de Bastia.
La deuxième, Valérie Lebreton, était pour sa part, jusqu'au printemps dernier, présidente du tribunal judiciaire à Saint-Pierre de la Réunion.
Jean-Jacques Fagni, le procureur général près la cour d'appel de Bastia, a souligné, lors de son intervention devant une salle des assises remplie d'élus, d'officiels en uniforme et d'avocats, "que nombre de chantiers vont se présenter à nous, au premier chef desquels la déclinaison des recommandations issues des états généraux de la justice, dont le caractère pour le moins substantiel devraient nous mobiliser sur une longue période, avec des évolutions prévisibles des justices civile et pénale notamment".
Cette cour est déficitaire de plus de 15 % de ses effectifs.
Jean-Jacques Gilland
Jean-Jacques Gilland a de son côté profité de cette installation pour rappeler une réalité : "il y a deux postes actuellement vacants, qui rendent cette cour déficitaire de plus de 15 % de ses effectifs théoriques, ce qui est difficilement soutenable dans cette petite juridiction".
Et selon le magistrat, cela va au-delà des difficultés récurrentes auxquelles doit faire face le monde judiciaire français dans son ensemble. "Nous devons nous interroger sur le manque d'attractivité des juridictions corses, tribunal judiciaire comme cour d'appel".
Corse, Outre-mer, même combat ?
"Nos collègues ont apparemment peu d'appétence pour un territoire qui fait peur de l'extérieur, et qui est réduit à une destination de loisirs uniquement estivale", continue Jean-Jacques Gilland qui a consacré une bonne partie de son intervention à cette question. "On ne vient pas en Corse par hasard, pour faire carrière, mais pour découvrir la sincérité d’un peuple qui ne se livre pas facilement au premier venu, mais qui se laisse découvrir petit a petit par ceux qui savent faire preuve de respect et de patience. La Corse n’est pas faite pour ceux qui la survolent, il faut prendre le temps de la découvrir".
La Corse, comme l'Outre-mer, ont des cultures très fortes, qui ont certaines implications au quotidien.
Pierre Bernard
Heureusement, "cette crainte des spécificités corses n'est pas celle de tous les magistrats". Et le président par intérim de souligner le profil des différents magistrats qui lui font face, qui sont Corses d'origine, ou qui ont "tous ou presque pour point commun des expériences ultramarines".
Nous avons interrogé Pierre Bernard, qui vient d'être installé à la cour d'appel de Bastia, mais qui a accumulé les expériences insulaires, à Nouméa ou dans l'Océan indien, sur cette appétence supposée pour les îles. Le nouveau président de la chambre de l'instruction hésite : "c'est très difficile de répondre... Mais une chose est sûre, la Corse, comme l'Outre-mer, ont des cultures très fortes, qui ont certaines implications au quotidien. On retrouve des correspondances, sans doute. Pour autant, il n'y a pas de spécificité, il n'y a qu'un seul code pénal, et nous l'appliquons de la même manière partout".
Pierre Bernard s'interrompt un instant, avant de conclure, sourire aux lèvres : "il est néanmoins possible que les ultramarins aient plus le goût d'une certaine forme d'aventure judiciaire que les magistrats purement continentaux, à qui tout cela peut parfois faire un peu peur !"
Hélène Davo, une nomination contestée
L'arrivée en Corse de la nouvelle première présidente de la cour d'appel de Bastia a été précédée d'une polémique plutôt inhabituelle. Il faut dire qu'Hélène Davo n'est pas vraiment une habituée des tribunaux. Elle n'a jamais présidé aucun tribunal, et était la moins bien classée des onze candidats au poste, selon l'hebdomadaire Le Point, qui a révélé l'affaire.
Le caractère politique de cette décision interroge.
Céline Parisot, USM
Avant cette nomination Hélène Davo a certes été juge d'instruction a Paris, entre 2003 et 2005, mais l'essentiel de sa carrière a été fait dans les bureaux. A Madrid, où elle était magistrate de liaison, au cabinet de Nicole Belloubet, en tant que directrice adjointe, lorsque cette dernière était ministre de la Justice. Et puis conseillère justice d'Emmanuel Macron, jusqu'en avril dernier...
La proximité d'Hélène Davo avec le président de la République a suscité nombre de commentaires acerbes. Pour Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), "le caractère de cette décision politique interroge", même si ces nominations n'émanent pas du gouvernement, comme celle des procureurs et des procureurs généraux, mais du Conseil supérieur de la magistrature, qui se veut garant de l'indépendance de la justice.
Dans la Voix du Nord, en juin dernier, une source judiciaire estimait pour sa part que "Bastia est une petite cour d’appel, mais importante par sa sensibilité politique. Tout le monde continuera de voir en elle la conseillère du président ».
Et à Bastia, dans les allées du palais de justice, l'arrivée d'Hélène Davo est très largement commentée, depuis le retour des vacances.
Bref, il ne serait pas étonnant qu'il y ait beaucoup plus de monde qu'aujourd'hui dans la salle d'assises bastiaise, à l'occasion de l'installation de la nouvelle première présidente de la cour d'appel.