Bastia et ses environs vivent, durant trois semaines, au rythme des travaux du tunnel, d'une ampleur peu commune. Nous avons voulu en savoir plus sur le déroulement des opérations, au-delà des barrières de sécurité.
A 5h30, Olivier et ses collègues rejoignent l'un des préfabriqués qui font face au port de commerce, en contrebas de la place Saint-Nicolas. Lui vient de Nancy, et les trois personnes qui l'accompagnent de Valenciennes. Quelques minutes plus tard, ils ressortent, vêtus de combinaisons telles qu'on les voit habituellement dans les films catastrophe hollywoodiens. Prêts à débuter leur journée. Au loin, on aperçoit d'autres techniciens descendre de la cabine d'un semi-remorque. Eux terminent leur nuit.
Sur le chantier du tunnel de Bastia, pas de répit, ou presque. "C'est quasiment les trois-huit, explique Loïc Morvan, directeur des routes de la Collectivité de Corse, maître d'ouvrage. En raison de l'exiguïté du site, et surtout de la fibre d'amiante, on est en opération commando. Et sur le chantier, le rythme est continu, ou presque". Au cœur de la nuit, si la journée a été productive, les équipes s'accordent une ou deux heures de pause.
Automatismes
En tout, près de 80 personnes sont mobilisées durant trois semaines. Un effectif important, qui s'explique par l'ampleur de la tâche, mais également en raison "des tranches horaires réduites", raconte Olivier. "Il y a beaucoup plus de rotations que sur un chantier habituel, pour respecter le code du travail amiante". Un code de travail qui prend en compte les combinaisons, les équipements respiratoires, les risques d'exposition, l'attention à tous les détails et la concentration requises...
Le groupement d'entreprises qui a décroché l'appel d'offres l'année dernière travaille depuis juillet 2021 sur le dossier. Et a mobilisé la presque totalité de ses effectifs. "Ce sont des gens qui doivent à la fois maîtriser parfaitement la technique des chaussées et savoir travailler en milieu amiantifère en respectant des protocoles extrêmement précis", précise Loïc Morvan. "Ils sont habitués à travailler ensemble, et font preuve de beaucoup de calme".
Il y a très peu d'opérations comparables à celle du tunnel de Bastia. Même dans le tunnel du Mont-Blanc, il y avait moins d'amiante à enlever.
Loïc Morvan, CdC
Il est 7h30, le jour s'est levé, et le long du 173ème, les premiers curieux ont déjà pris place le long de la rambarde, comme chaque matin. La place St Nicolas surplombe le chantier, ce qui leur permet d'avoir une vue imprenable sur le chantier. Ou en tout cas sur le va-et-vient des semi-remorques qui transportent les débris d'amiante du tunnel jusqu'au bateau où ils vont embarquer. Chaque jour, ce sont 50 camions qui prennent la mer pour évacuer l'amiante dans deux sites agréés, dans l'est et sud de la France. "C'est l'une des caractéristiques de ce chantier, raconte Loïc Morvan. Rien n'est stocké sur place".
Mur d'eau
Impossible de s'approcher plus. Les mesures de sécurité sont draconiennes. Une dizaine de personnes sont chargées de la surveillance du site, et de l'encadrement. Des grillages ont été montés tout autour, et la passerelle qui mène de la place au quai des martyrs a été condamnée. "C'est l'une de nos préoccupations principales, mettre les badauds à distance, pour éviter toute mise en danger".
C'est 4.000 tonnes d'enrobé, au total, qui vont être enlevées dans le tunnel. Ce qui ne signifie pas pour autant 4.000 tonnes d'amiante. "Une chaussée, c'est similaire à un mille-feuilles, selon le directeur des routes de la CdC. Des couches de cailloux, et de bitume. On sait que des cailloux utilisés à l'époque contenaient de l'amiante, mais cela ne signifie pas que c'est le cas pour la totalité".
Quoi qu'il en soit, tout sera enlevé, et la plus grande prudence reste de mise. Tout est contrôlé méticuleusement, et toute étape est méticuleusement scrutée par les cadres sur place. A quelques mètres du tunnel, une station de lavage a été installée. Tout véhicule qui en sort doit passer par ce "mur d'eau", pour enlever toute fibre d'amiante éventuelle qui se serait répandue lorsque des cailloux ont été cassés.
Contrat moral
L'amiante, "prisonnier" à l'intérieur de la chaussée, ne présentait pas de danger pour les usagers. Alors pourquoi se lancer dans un tel chantier ? "Ce n'est que la première partie de la régénération du tunnel, qui va durer quatre ans". Un projet, qui représente en tout 40 millions d'euros, et qui doit redonner un coup de jeune à un ouvrage vieux d'une quarantaine d'années. "Le tunnel est très sollicité, et puis le contexte réglementaire a évolué. Il mérite une rénovation. Le but, au final, c'est de rendre aux Bastiaises et aux Bastiais un ouvrage moderne et rassurant". Et pour cela, il faudra triturer l'enrobé, ce qui aurait provoqué des risques d'apparition de fibres d'amiante. D'où cette première phase de travaux.
La Collectivité de Corse l'assure, pour la suite du chantier, les travaux se feront la nuit et la circulation sera rendue aux automobilistes chaque matin. Mais Loïc Morvan est conscient que la réussite de cette première phase sera néanmoins primordiale pour la bonne suite des opérations. "On sait la gêne importante que la fermeture provoque, et les usagers ont consenti à faire un effort. A nous, de notre côté, de tenir nos engagements. C'est une question de crédibilité, un contrat moral". En clair, terminer le chantier dans les temps. "Sinon, pour les prochaines étapes, on risque d'être embêtés..."
La patience et la compréhension des Insulaires ont des limites. A la CdC, on en est conscients. Alors on fera tout pour tenir les délais, et rouvrir le tunnel le 11 mars. Pour l'instant, le timing est respecté. La Collectivité espère juste que les intempéries ne viendront pas chambouler le programme dans les prochains jours...