Durant deux ans et demi, le théâtre de Bastia va faire l'objet d'importants travaux de rénovation. Mais ce n'est pas la première fois que le théâtre fermera ses portes, et qu'il fera peau neuve. Retour sur plus de 250 ans d'histoire
Le 12 mai 1872, Andrea Scala arrive dans le port de Bastia, précédé d'une flatteuse réputation. L'architecte italien a signé les plans de nombreux théâtres italiens réputés, à Florence, Pise, Trieste, Catane ou Milan.
L'Udinese, âgé d'une cinquantaine d'années, a fait le voyage jusqu'en Corse à la demande du Conseil municipal de Bastia, qui, après plus d'interminables tergiversations, a décidé de doter la ville d'une enceinte culturelle digne de ce nom.
Un théâtre de bois, place du Marché
Un siècle plus tôt, à la fin de l'année 1772, le comte Louis-Charles-René de Marbeuf, représentant du roi Louis XV en Corse, avait doté la ville de son premier théâtre, à l'ombre de l'église Saint-Jean-Baptiste. Une salle faite de bois, de dimensions modestes, dont le succès témoigne vite de l'amour des Bastiaises et des Bastiais pour l'art lyrique italien.
Les troupes venues de Toscane, et parfois de plus loin encore, interprètent les opéras de Rossini, Gazzaniga, Piccini, Donizetti, Bellini, devant un public de connaisseurs, qui n'hésite pas à faire montre de son enthousiasme, avec passion, ou de sa déception, de manière véhémente.
En 1825, la Corse est française depuis plus d'un demi-siècle, mais c'est encore et toujours les représentations en langue italienne qui suscitent l'emballement des Bastiaises et des Bastiais.
Cela malgré les efforts répétés de l'administration pour promouvoir le répertoire français, comme le montre cette correspondance signée du sous-préfet de Bastia : "Il n'y a que les fonctionnaires, les employés du gouvernement et les habitants aisés qui ont reçu une certaine éducation qui sont à même de comprendre le récitatif français. Le peuple ne le comprend que peu ou point et il a toujours manifesté un goût pour l'opéra italien".
Il faudra attendre les lendemains de la Première guerre mondiale, dont la France sort victorieuse, alimentant un sentiment patriotique, mais peut-être plus encore l'éclosion du ténor bastiais Cesar Vezzani, formé à Paris et chantant presque uniquement le répertoire français, pour que Bizet, Gounod ou Massenet trouvent enfin grâce aux yeux des amateurs de Bel Canto insulaires. Même si l'opéra italien continue de garder leurs faveurs.
40 ans de projets avortés
En 1835, quoi qu'il en soit, la vétusté du théâtre bastiais incite la municipalité bastiaise à envisager la reconstruction du théâtre. Elle confie le projet à deux architectes bastiais, Antoine Sisco et Louis Guasco. Le préfet, qui juge le projet trop ambitieux, refuse. C'est le premier d'une longue série de projets avortés.
Dès 1839, c'est du privé, cette fois-ci, qu'émerge la volonté de doter la ville d'une salle digne de son rang. Sans plus de succès.
En 1843, un plan d'urbanisme de la municipalité envisage de détruire le théâtre actuel. C'est abandonné.
En 1846, un nouveau plan projette une destruction, suivie d'une reconstruction. Là encore, cela finira aux oubliettes.
Les représentations, elles, continuent de rencontrer le même succès, dans un bâtiment chaque année plus délabré, et menaçant de prendre feu à la moindre étincelle, incitant la municipalité à interdire de fumer à l'intérieur.
C'est à cette époque qu'éclôt l'un des plus grands compositeurs d'opéra italiens, Giuseppe Verdi. L'auteur de Nabucco, de La Traviata ou de Rigoletto rencontre un immense succès, sur l'île comme ailleurs en Europe. Et occupe aujourd'hui encore une place à part dans le cœur des amateurs de chant lyrique insulaires.
Durant plus de vingt ans, les choses vont en rester là. Et puis, en 1863, Bastia annonce à nouveau vouloir ériger un nouveau théâtre, mais les finances ne lui permettent pas de tenir sa promesse.
C'est en 1869 que le Conseil municipal va, enfin, se donner les moyens de ses ambitions, et voter la construction de ce nouveau théâtre. Pour témoignage de sa bonne volonté, il ne fera pas appel à n'importe qui, et s'attachera les services de l'architecte Andrea Scala.
Après sa première venue en ville en 1872, à l'occasion de laquelle il examinera le lieu choisi pour le chantier, surplombant ce que l'on appellera bientôt la rue de l'Opéra, puis la rue César Campinchi. Andrea Scala livre ses plans début 1873.
Fleuron
En 1879, après cinq années de travaux, le nouveau théâtre de Bastia ouvre enfin ses portes. Il vaudra ce compliment du maire de l'époque, Ignace Bonelli, à l'architecte : "vous pouvez être fier de votre travail car dans les temps à venir ce sera l'un des fleurons de la couronne que les amateurs des beaux-arts ne manqueront pas de vous décerner".
La presse rivalise d'articles élogieux pour vanter un théâtre "majestueux", "élégant", "moderne", "grandiose", solennel". Un théâtre que certains esprits plus chagrins s'aventurent néanmoins à trouver bien trop démesuré dans une ville d'à peine 25.000 habitants.
Ils ont tort. Le succès est toujours au rendez-vous. En 1905, le vaste édifice accueillera la bibliothèque municipale, à l'étage, dans ce que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de salle Prelà. Et dès le 25 mai 1907, préambule charmant à tous les festivals de cinéma qui s'y dérouleront plus tard, s'y tient la première projection cinématographique.
Entre 1906 et 1914, et l'entrée en Guerre de la France, qui interrompra, durant quatre ans, l'activité du théâtre, on compte près de 280 représentations, soit une moyenne de 35 par an.
En 1935, alors que le palais de justice est en travaux, le théâtre accueillera la cour d'assises pour le procès du célèbre bandit Spada, qui sera condamné à la guillotine.
Mais le passage des années s'avère rude pour le théâtre conçu par Andrea Scala, qui commence à montrer des signes de délabrement, et en 1939, la municipalité le fait fermer, pour lui redonner un peu de son éclat passé. Hyacinthe de Montera, le maire de l'époque, ne se doutait pas que l'édifice, qui était devenu le poumon culturel de toute la Corse, vivait ses dernières heures.
Eventré par les bombes
La Seconde guerre mondiale n'a pas épargné la Corse. En septembre 1943, l'armée de libération et les Résistants insulaires mènent une campagne victorieuse pour libérer l'île du joug des troupes d'occupation.
Par deux fois, le 22 septembre et le 4 octobre, lors des combats pour reprendre Bastia, les bombardements, dont certains alliés, opérés par l'US Air Force, vont faire des ravages en ville, tuant de nombreux Bastiais et Bastiaises, mais détruisant également plusieurs bâtiments. Le théâtre paiera également un lourd tribut.
Le toit vole en éclats, et la salle n'est plus que ruines...
Un coup du sort qui va sceller, pour longtemps, le destin de la salle de l'enceinte de spectacles.
Une nouvelle parenthèse de 40 ans
Les moyens manquent pour rebâtir le théâtre, qui ne fait pas partie des priorités, alors que la ville est en partie détruite. Pendant plusieurs décennies, le bâtiment, à ciel ouvert, et abandonné, sera le terrain de jeu des enfants du quartier.
C'est à l'orée des années 60 qu'un architecte, Raymond Borelly, est chargé de repenser l'endroit. Mais comme toujours avec le théâtre de Bastia, les choses prendront bien plus de temps que prévu.
Il faut attendre encore une vingtaine d'années, et le 16 décembre 1981, pour que le théâtre rouvre de nouveau ses portes, presque entièrement reconstruit.
Il n'a plus rien à voir avec celui que les Bastiais et les Bastiais avaient connu à la fin du XIXe et durant la première moitié du XXe siècles.
Mais sans surprise, ce sera la Traviata, de Verdi, qui sera l'un des premiers opéras à se donner sur la nouvelle scène, manière élégante de renouer avec son passé...
Un peu plus de 40 ans plus tard, le théâtre de Bastia, si cher au cœur des Corses, s'apprête à vivre une nouvelle histoire...
Suivez l'une de nos équipes, dans les coulisses du théâtre de Bastia, avant sa rénovation, en compagnie de sa directrice, Frédérique Balbinot :