En début de semaine, deux magistrates du tribunal judiciaire de Bastia et un policier qui travaille régulièrement avec les plus jeunes sont allés à la rencontre des élèves du Fango, et de Saint-Joseph. Le but, leur faire prendre conscience, très tôt, de ce qui est acceptable ou pas.
Les lumières se rallument, et le silence qui s'installe dans la salle en dit long.
C'est comme si la petite centaine d'élèves venaient de prendre conscience de la réalité du sujet qui les réunit ce mardi matin dans l'amphithéâtre du lycée Giocante de Casabianca..
Sur le grand écran défile le générique de fin du court métrage 3919. Durant quatre petites minutes, les élèves ont assisté à un condensé, d'une brutale intelligence, de l'horreur des violences conjugales et intrafamiliales.
Ce mardi 22 novembre, Aurélie Giocondi et Mélanie Martinent, deux des trois magistrates du tribunal judiciaire de Bastia qui sont à l'origine de ce court métrage, sont venus au lycée pour présenter le film aux élèves, et plus largement, les sensibiliser à la question des violences conjugales.
Le mal à la racine
Aurélie Giocondi explique comment est née cette initiative : "le phénomène des violences conjugales prend une place extrêmement importante dans nos tribunaux. Et parfois, on se rend compte, avec une certaine tristesse, que le mécanisme de violence était bien ancré dans la relation de couple. Et que s'il y avait eu plus de prévention, ce sont des choses que l'on aurait pu empêcher. Ou, au moins, le nombre de dossiers que l'on traite serait moins important..."
Elles ont réfléchi à ce film avec trois publics en tête, nous explique Mélanie Martinent : "on voulait d'abord parler aux victimes, les encourager à libérer leur parole, mais également s'adresser aux auteurs, parce qu'on ne peut pas prendre en charge correctement les victimes si l'on ne s'occupe pas des auteurs, et enfin, sensibiliser les plus jeunes, agir dans les établissements pour faire de la prévention.".
Il ne faut pas attendre, il ne faut accepter aucune violence.
Aurélie Giocondi, magistrate
"Notre propos, lors de nos venues dans les établissements scolaires", précise la juge d'application des peines, "c'est de parler aux adolescents des choses à accepter, ou pas, dans le cadre de leurs premières relations amoureuses, mais c'est aussi de leur rappeler les signaux d'alerte à prendre en compte dans leur cellule familiale, avec leurs proches. C'est une intervention à plusieurs niveaux, pour les encourager à parler, pour échapper à la spirale de ces phénomènes-là".
De nombreuses formes de violence
Olivier Ciano, le policier référent du commissariat pour l'éducation nationale, a fait le déplacement avec Aurélie Giocondi et Mélanie Martinent, les deux magistrates.
Après le film, les trois intervenants invitent les élèves à participer à un quizz. Et ces derniers se prennent au jeu. Lorsqu'on leur demande quelles peuvent être les violences à l'intérieur de la cellule familiale, au-delà de la violence physique, Marie, élève de terminale, lève la main : "il y a l'humiliation, quand on rabaisse l'autre. Tous ces trucs toxiques".
Ses camarades complètent, en proposant "les insultes", "les réseaux sociaux", "les menaces, le chantage", "la violence sexuelle"...
L'occasion, pour Aurélie Giocondi, d'aborder la question, douloureuse, des victimes collatérales de ces violences intrafamiliales. Les enfants.
"On peut penser que comme ils ne sont que les témoins, qu'ils ne reçoivent pas les coups, ils ne sont pas des victimes. Mais regarder ses parents se battre, c'est un traumatisme équivalent à assister à une scène de guerre".
Le risque, c'est que la violence devienne pour les enfants un mode de communication normal.
Mélanie Martinent, magistrate
Mélanie Martinent complète : "le risque, dans ces cas-là, c'est que la violence devienne pour les enfants un mode de communication normal. Il faut que vous sachiez que commettre des violences devant des mineurs, c'est une conséquence aggravante".
Au fil des échanges, les questions fusent, de plus en plus précises, sur les récidives ("12 en en Haute-Corse au 1er semestre 2022, sur les 114 affaires traitées"), sur les peines infligées aux agresseurs, jugées par beaucoup d'élèves comme "trop légères" et "pas dissuasives", sur le nombre d'hommes agressés par des femmes ("20 % des victimes")...
Discrétion
Après deux heures d'échanges animés, le brigadier Olivier Ciano clôt les débats. Et prend soin de préciser que, lui comme Aurélie Giocondi et Mélanie Martinent, resteront sur place quelques temps, si les élèves ont "des questions plus personnelles", ou des choses qu'ils ne voudraient pas "dire devant tout ce monde".
On réalise alors que, parmi les dizaines d'élèves qui prennent place dans l'assistance, lors de ces journées de sensibilisation, certains pourraient être concernés au premier chef...
L'officier de police le confirme : "on a un accord avec pas mal d'établissements. On arrête la date de la rencontre deux ou trois semaines en amont, comme ça les élèves savent que l'on va venir les voir, et s'ils sont en proie à des problèmes personnels, ou familiaux, ça leur laisse le temps de réfléchir, afin de décider s'ils vont venir ou non, et comment ils vont aborder le sujet..."
Certains sont venus me voir dès la fin de l'intervention, d'autres au commissariat, quelques jours plus tard.
Olivier Ciano, policier
Olivier Ciano travaille depuis près de dix ans en partenariat avec l'éducation nationale. Et il le reconnaît, le cas s'est présenté à de nombreuses reprises : "certains sont venus me voir dès la fin de l'intervention, d'autres au commissariat, quelques jours plus tard. D'autres attendent un peu, et vont voir l'infirmière ou l'assistante sociale qui reprend contact avec moi. il arrive que ce soit pour faits extrêmement graves, que l'on traite avec mes collègues spécialisés dans ces services".