À l'occasion de la Nuit du droit, le 4 octobre, dans tous les palais de justice de France, nous vous proposons de nous suivre dans les couloirs du palais de justice de Bastia afin de découvrir le quotidien des hommes et des femmes qui y travaillent. Aujourd'hui, Francesca Seatelli, avocate au pénal.
"Le pénal, la plupart du temps, ce sont des histoires tragiques. Mais je fais tout pour garder la distance nécessaire. Mes clients ont besoin d'aide. Ils ont besoin d'une écoute, ils n'ont pas besoin d'une épaule sur laquelle pleurer. Bien sûr, que je peux être ébranlée par un dossier. Mais dans ce métier, si on laisse l'émotion, les sentiments, l'empathie prendre le dessus, on se fait bouffer. Et puis, surtout, on perd la lucidité, l'objectivité sur laquelle on doit s'appuyer pour défendre leurs intérêts".
Francesca Seatelli s'excuse, se lève et quitte les bancs de la partie civile, alors que les jurés de la cour d'assises viennent de se retirer pour délibérer.
L'avocate cherche du regard sa cliente, qui a rejoint ses proches à l'extérieur. Elle va rester avec elle, pour l'aider à vivre du mieux possible l'angoisse de l'attente, et de l'incertitude, avant que la cour d'assises ne rende sa décision. Dans deux, cinq ou huit heures...
Conviction
Lors de la plaidoirie de Maître Seatelli, un peu plus tôt, deux confrères se sont glissés dans la salle d'audience, pour y assister. Ce n'est pas rare. Les avocats, quand ils se trouvent au palais de justice, et que leur agenda le permet, viennent assister aux dernières heures des procès d'assises.
L'un d'eux ne cachait pas son estime pour l'avocate. "C'est toujours un plaisir de l'écouter plaider", soufflait-il à voix basse alors que Francesca Seatelli s'adressait à la cour.
Pour autant, pas d'éclats de voix, pas de tournure de phrase alambiquée, pas d'envolée lyrique chez l'avocate. Fermement plantée derrière son pupitre, durant plus d'une heure, elle a parlé d'un ton mesuré, pesant ses mots, comme à son habitude. Mais chacun d'entre eux a fait mouche.
"La conviction, c'est toujours mieux que le pathos", lâche son confrère en sortant de la salle d'audience.
Héritage
Depuis sa prestation de serment, il y a une dizaine d'années, Francesca Seatelli s'est taillé une solide réputation au palais de justice de Bastia. Et, plus important peut-être, elle s'y est fait un prénom.
Ce n'était pas gagné.
Ses parents, Jean-Louis Seatelli et Marie-Hélène Mattei, sont deux figures marquantes du barreau insulaire, qui ont régulièrement fait la Une de la presse, à l'intérieur et hors des prétoires.
Une ombre qui a de quoi intimider, lorsque l'on s'apprête à embrasser la même carrière.
"Ce serait ridicule d'être en compétition avec mes parents. La barre est un peu haut". L'avocate marque une pause. "Et puis on ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable. C'était une autre époque, et je ne pense pas, de toute manière, que l'on pourrait revoir, aujourd'hui, des carrières comme la leur".
Des gens en garde à vue réclamaient Seatelli, et c'est moi qu'ils voyaient arriver. Ils avaient du mal à réfréner un mouvement de recul...
Francesca Seatelli
De compétition, il en était d'autant moins question qu'à l'origine, Francesca Seatelli ne se destinait pas au métier d'avocat.
"Quand j'étais ado, ils faisaient tout pour que je ne suive pas leurs traces", s'amuse-t-elle. "Ils me répétaient de ne surtout pas faire avocat, et encore moins dans le pénal. Tout en étant totalement accaparés, et passionnés, par ce travail..."
Des précautions qui semblaient superflues, la jeune fille n'envisageant pas cette voie. "Je ne savais que faire, pour dire la vérité. Ressentant le vif désir de m'en aller très loin, j'ai choisi de suivre la prépa Science-Po à Paris. Très vite, j'ai su que je n'étais pas faite pour ça. Mais je n'aurais jamais admis que j'étais malheureuse comme les pierres. Alors j'ai fini mon année, et ensuite je me suis inscrite en fac de droit. Il fallait bien faire quelque chose".
Se faire un nom
Là, tout change. "Après une semaine de cours, je n'avais plus aucun doute. Je voulais être avocate. J'avais baigné toute ma vie dans le monde judiciaire. Alors j'avais des facilités, dans le raisonnement, dans la dialectique juridique. Je ne découvrais pas un univers nouveau. Et puis, j'ai vraiment aimé ça".
Durant une partie de son cursus universitaire, Francesca envisage d'exercer ailleurs qu'en Corse. Mais elle l'assure, ce n'était pas pour exercer dans un palais de justice où son nom ne dirait rien à personne.
Les années passent, les contacts se font, les stages se multiplient, les habitudes se prennent, et la Bastiaise s'acclimate à la vie dans la capitale. "Je me suis posé la question de rester, mais je ne me voyais pas exercer ma profession de la manière dont on l'exerçait à Paris. La profession peut être ingrate, mais là-bas, c'était encore plus ingrat qu'ailleurs. Je voyais, autour de moi, des collaborateurs et des collaboratrices qui avaient quinze ans de métier, et qui faisaient le même boulot que les stagiaires. Ça ne donnait pas très envie..."
Alors, quand son père lui propose de rentrer travailler avec lui, "il le niera, évidemment !", Francesca accepte.
"Il n'était pas loin de la retraite, déjà, et je me suis dit que si je voulais avoir l'opportunité d'apprendre de lui, c'était le moment ou jamais. J'aurais pu prolonger mon séjour parisien de quelques années, mais je n'ai jamais regretté mon choix. D'autant que je voulais que ma vie personnelle se construise en Corse".
Je ne sais pas comment ma famille arrive à me supporter pendant les procès d'assises
Mais la collaboration, fructueuse, demande parfois de ravaler sa fierté. "J'ai vécu quelques situations assez drôles, à l'époque. Des gens en garde à vue réclamaient Seatelli, et c'est moi qu'ils voyaient arriver. Ils avaient du mal à réfréner un mouvement de recul..."
L'avocate en rit encore. "Je les comprends ! Vous demandez Jean-Louis Seatelli, vous ne voulez pas de la petite Franceca. Sincèrement, je n'ai pas de problème avec ça. Il fallait simplement que je démontre que je n'étais pas uniquement la fille de mon père, que j'apportais une valeur ajoutée. Alors j'ai essayé d'être la plus consciencieuse possible, et de m'appuyer sur mes atouts".
L'amour du métier
Francesca Seatelli, assise sur l'un des bancs du premier étage du palais de justice de Bastia, jette un coup d'œil à son téléphone portable. C'est par SMS qu'on la préviendra que le jury d'assises a pris sa décision."A chaque début d'assises je me demande pourquoi j'ai accepté, pourquoi je suis là, pourquoi je m'inflige ça. Au pénal, on voit des choses qu'on n'est pas forcément prêts à affronter. Des choses qu'on n'imaginait même pas, avant de débuter dans le métier..."
On ne peut pas faire correctement ce métier si on ne l'aime pas vraiment
L'avocate le reconnaît, il est difficile de cloisonner sa vie personnelle et sa vie professionnelle. "On peine à déconnecter. Quand on rentre chez soi, il faut arriver à passer à autre chose, à être là pour les siens. Je ne sais pas comment ma famille arrive à me supporter pendant les procès d'assises. Même quand je suis là, je ne suis pas vraiment là. C'est compliqué, mais à chaque fois, j'y retourne. Parce que j'aime ça".
À quelques mètres de nous, dans la cour intérieure du palais de justice de Bastia, le ballet des greffiers poussant des chariots remplis de dossiers, les avocats au téléphone, les prévenus qui font les cent pas au pied des escaliers, les policiers qui vont chercher un café au distributeur de boissons offrent une photographie du quotidien d'un palais de justice, un monde à part, dont les codes échappent au plus grand nombre.
"On ne peut pas faire correctement ce métier si on ne l'aime pas vraiment. Ce n'est pas possible. Sur le continent il y a 60 % des jeunes avocats qui changent de profession au bout de trois ans. Ça en dit long. Il faut arrêter de fantasmer ce métier. Il est exigeant, il demande trop d'investissement, et il est moins rémunérateur qu'on l'imagine souvent".
La jeune avocate réfléchit un instant, hésite, avant de conclure, en souriant : "C'est épuisant, inconfortable, mais bon... Je dois reconnaître que si on l'aime, c'est un métier incroyable".