À l'occasion de la Nuit du droit, le 4 octobre, dans tous les palais de justice de France, nous vous proposons de nous suivre dans les couloirs du palais de justice de Bastia afin de découvrir le quotidien des hommes et des femmes qui y travaillent. Aujourd'hui, Frédérique Laplaneta, directrice de greffe.
"Quand je parle de mon métier à des étudiants de droit qui sont en master, ils me regardent avec des yeux ronds. La magistrature, les avocats, ça leur parle. Mais directeur de greffe, ils ne savent même pas que cela existe !"
Dans le ton de Frédérique Laplaneta, on ne décèle pas la moindre note d'agacement, ou de frustration. Elle l'a accepté depuis longtemps. Son métier, c'est dans l'ombre qu'il l'exerce. Loin des prétoires et des caméras. Mais la jeune femme aux mèches rousses qui nous fait face le sait, sans elle, au palais de justice de Bastia, tout tournerait moins rond.
Quelques minutes plus tôt, alors que nous patientions dans la salle d'attente du greffe, au premier étage du tribunal, un avocat bastiais, habitué des procès médiatisés, nous avait interpellé en passant, une pile de dossiers sous le bras : "c'est rare de croiser un journaliste dans le coin. Mais vous faites bien de vous intéresser au greffe. Ici, vous êtes dans le cœur du réacteur !"
Frédérique Laplaneta sourit à l'évocation de l'anecdote. "Je ne sais pas si on est le cœur du réacteur, mais en tout cas, tout ce qui se passe au tribunal judiciaire passe par ici, à un moment ou à un autre".
La définition du métier de directeur de greffe offerte sur le site du ministère de la Justice est intimidante pour un non-initié : "Il occupe des fonctions d’encadrement, de direction, d’administration, de conception, et de coordination. Responsable du management des personnels des greffes, il travaille aussi aux côtés des chefs de juridiction ou des chefs de cour dans différents domaines : élaboration du budget, marchés publics, informatique, formation…"
Aucune routine
Frédérique Laplaneta se fait un plaisir de nous résumer tout ça : "On ne va pas se mentir, je suis une DRH de la fonction publique. Je gère les humains, je gère les plannings, je gère l'argent".
Notre interlocutrice marque un temps d'arrêt, avant de reprendre, sur un ton malicieux, "Ce que je ne gère pas, en revanche, c'est le droit. C'est peut-être le seul domaine où je n'interviens pas, au palais".
La directrice de greffe jette un coup d'œil discret à sa montre. Dans quelques minutes, elle devra s'absenter pour se joindre à une réunion où sera abordée la question de l'accueil prochain d'une stagiaire. Et elle devra veiller à lui proposer une mission qui conviendra à ses attentes.
"Il n'y a pas de place pour la routine. Ce matin, je suis arrivée, j'ai vérifié que le ménage avait bien été fait, ensuite je me suis assurée que les toilettes étaient correctement alimentées en consommables. Ça, c'est avant que j'arrive à mon bureau. Une fois assise, je lis mon premier mail : un collègue qui n'arrive pas à accéder à telle application, une demande de congé à valider, une absence imprévue pour maladie, un souci du côté des véhicules de service..."
Dans les services, il est primordial de créer un collectif qui fonctionne. Sinon, très vite, la machine peut se gripper.
En tout, sous sa direction, seulement 45 agents titulaires, "et de plus en plus de contractuels". Des moyens qui ne permettent pas une gestion souple, et qui demandent souvent de trouver des solutions d'urgence.
"Au tribunal correctionnel, par exemple, j'ai en tout et pour tout deux greffiers et demi. Si une collègue est à l'audience, qu'une autre est en congés, et que la dernière est malade, la machine se grippe. Avec des conséquences immédiates sur le bon déroulement du fonctionnement du tribunal. C'est pourquoi il est primordial, pour une directrice de greffe, de créer un collectif qui fonctionne."
Pompier de service
Et Frédérique Laplaneta doit donner l'exemple. Récemment, elle s'est retrouvée à l'accueil, dans le hall d'entrée du tribunal de Bastia, pour pallier l'absence de dernière minute de l'agent qui devait assurer ce poste. "Vous n'avez pas le choix, vous vous asseyez derrière la vitre, et vous attendez que quelqu'un veuille bien descendre prendre le relais", s'amuse la directrice de greffe.
Elle reçoit entre 100 et 120 mails par jour, qui concernent les sujets les plus variés. "On fait un peu office de pompier de service", reconnaît Frédérique Laplaneta. "Notre travail, c'est de trouver des solutions à des problèmes de toute sorte. Le plus rapidement possible".
J'ai très vite compris qu'il était impossible de faire plaisir tout le temps à 45 personnes
"J'ai très vite compris qu'il était impossible de faire plaisir tout le temps à 45 personnes. Les directeurs de greffe sont pris dans un étau entre les chefs de juridiction et les agents, qui ont des besoins et des demandes inconciliables. Pour être honnête, je pense que dans 10, 15 ans, je ferai complètement autre chose. C'est un peu usant, intellectuellement, la multiplicité des dossiers à gérer, et ce sentiment d'urgence permanent", reconnaît Frédérique Laplaneta.
Parcours atypique
On la croit sans peine. Ce ne serait pas la première fois que la jeune femme opérerait un virage professionnel inattendu.
"Je suis arrivée à la direction de greffe par la petite porte", confie Frédérique Laplaneta au cours de l'entretien. "Tous mes collègues ont au moins un master en droit. Pas moi. Je n'ai pas fait d'études de droit. J'étais libraire. Et ça reste mon métier de cœur.Encore aujourd'hui, il ne faut pas me lâcher dans une librairie !"
À l’origine, Frédérique Laplaneta avait suivi un DUT en métiers du livre, avant de travailler dans une petite librairie indépendante du Vaucluse, la région dont elle est originaire. Lorsque la boutique a fermé, la libraire aurait bien aimé la reprendre, mais cela ne s'est pas fait. Alors elle a rejoint une maison de la presse, mais très vite, elle a donné sa démission. "Ça ne m'a absolument pas plu. On n'avait pas la même vision de la librairie".
À l’époque, elle a trente ans. Et elle est la jeune maman d'un petit garçon d'un an. "Je me suis dit. : OK. Et maintenant, tu fais quoi ?"
À la maison, on n'avait pas trop d'argent, et je ne voulais pas être une charge pour mes parents pendant cinq ou six ans
Quand elle était adolescente, Frédérique avait envisagé de faire du droit. "Mais j'avais renoncé. Ça signifiait faire des études longues. À la maison, on n'avait pas trop d'argent, et je ne voulais pas être une charge pour mes parents pendant cinq ou six ans".
Des années plus tard, la situation est un peu différente.
Alors elle va sur le site du ministère de la justice, pour passer en revue les métiers du droit, et se penche plus particulièrement sur celui de greffier. "Je ne pouvais pas me lancer dans des études longues, vu ma situation. Et puis j'aimais bien l'idée de ne pas être dans la prise de décision, mais plutôt dans l'assistance. Alors je me suis inscrite dans une école privée, pour acquérir les bases, et j'ai décidé de passer le concours de greffier. Juste pour me faire une idée du niveau requis".
Il y a trois ans, je posais mes valises à Bastia
Mais, contre toute attente, cette première tentative sera la bonne. "J'ai beaucoup travaillé, c'est vrai. Mais j'avais la chance d'avoir un bébé qui était un gros dormeur, et qui faisait cinq heures de sieste par après-midi ! Ça m'a sauvée", se souvient Frédérique.
La jeune trentenaire quitte le Vaucluse pour rejoindre l'école des greffes à Dijon, où elle passe trois mois. Ensuite, elle exercera quelques années à Ajaccio, puis à Béziers, avant de décider de passer le concours de directeur de greffe. "Je voulais avoir plus de responsabilités, d'autonomie. J'aimais bien l'idée de gérer plein de choses différentes. Je ne me voyais pas être greffière dans la durée. Après le concours, j'ai obtenu un premier poste de directrice à Paris, et puis, il y a trois ans, je posais mes valises à Bastia".
Aujourd'hui, Frédérique Laplaneta est un des rouages indispensables du palais de justice de Bastia. Un pan de mur, derrière, elle témoigne du rythme trépidant auquel est soumise une directrice de greffe.
"Ne pas déranger, merci !", "En entretien", "aux archives du rez-de-chaussée", "en assemblée générale", "au 3e étage", "au greffe", "à l'audience"... Des dizaines de post-it, déjà prêts à être collés sur la porte d'entrée, lorsqu'elle doit se rendre, parfois en urgence, dans les autres services.
Mais la directrice de greffe sait que pour tenir la cadence, il faut savoir se ménager des pauses. Au moment de quitter son bureau, un dernier post-it, couleur lavande, attire notre attention. Dessus, elle a tracé, au feutre noir, "je fais un tour en ville".
Frédérique Laplaneta sourit : "J'ai une chance folle, il y a une librairie pas loin..."