Un rapport de l'inspection générale de l'administration pointe la vulnérabilité de plusieurs Services d'incendie et de secours (SIS), dont celui de Haute-Corse. Afin d'y remédier, le document évoque plusieurs pistes, dont l'application de la directive européenne sur le temps de travail. Ce qui aurait des conséquences sur le statut des pompiers volontaires. En Corse, les directions des deux SIS craignent d'importantes répercussions sur les capacités opérationnelles des structures, notamment dans le rural.
Le statut des sapeurs-pompiers volontaires (SPV) va-t-il être repensé ? La question se pose de nouveau depuis la publication d’un rapport confidentiel de l'inspection générale de l'administration (IGA) remis à Gérald Darmanin en décembre dernier.
"L'enjeu d’une assimilation des sapeurs-pompiers volontaires à des travailleurs apparaît réellement considérable", peut-on lire en conclusion du document consacré à "l’activité des sapeurs-pompiers volontaires".
Dans le rapport d'une soixantaine de pages, qui traite de "la lancinante question du temps de travail" des pompiers volontaires, l'Inspection générale de l'administration fait état de 19 services d'incendie et de secours (SIS) où la "vulnérabilité" est qualifiée de "forte". Le SIS de Haute-Corse en fait partie.
Afin de remédier à cette situation, le rapport préconise de "saisir les SIS les plus vulnérables à une application de la directive européenne sur le temps de travail (DETT) afin qu’ils établissent un plan de réduction de cette vulnérabilité". Ce qui ne serait pas sans conséquences sur les structures.
Environ 2 200 volontaires en Corse
À ce jour, la France compte 197 800 sapeurs-pompiers volontaires. Les volontaires composent la grande majorité des effectifs. Dans l’île, ils sont actuellement 1102 en Corse-du-Sud (pour 209 pompiers professionnels) et 1174 en Haute-Corse (pour environ 220 professionnels).
Selon le rapport, le SIS 2B est soumis à une "forte vulnérabilité" avec "d’autres SIS des départements du Sud-Est, des Alpes, d’outre-mer ou de la région parisienne ou assumant le choix d’une organisation fondée sur la garde postée des volontaires".
En clair, des centres où des sapeurs-pompiers volontaires assurent un grand nombre d’heures de garde postée. L’Inspection générale de l’administration préconise donc de limiter cette garde à 600 heures par an. En Haute-Corse, les volontaires oscilleraient entre 600 et 800 heures annuelles.
Cette éventuelle application de la DETT aux pompiers volontaires impliquerait donc qu’ils soient considérés comme des travailleurs à part entière. Pour l’heure, ce sont des citoyens qui s’engagent dans les services de secours, en plus de leur activité professionnelle. Ils ne sont pas rémunérés mais indemnisés. Le volontaire est défrayé à hauteur de 8 euros de l’heure en intervention. Il perçoit 6 euros de l’heure en garde postée (3 euros la nuit).
En plus de cette directive européenne, qui impose un repos journalier d’au moins 11 heures consécutives et pas plus de 48 heures de travail par semaine, s’ajoute un cas qui a fait jurisprudence.
En 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt considérant qu’un pompier volontaire belge était bien un travailleur. La Cour avait accédé à sa requête : l’indemnisation ses heures de garde à domicile comme si c’étaient des heures de travail.
"Technocratique, hors sol et décorrélé des réalités"
Dans un communiqué, Hyacinthe Vanni, le président du Service d’incendie et de secours du Cismonti, a notamment critiqué un rapport réalisé "sans consultation des élus légitimes que nous sommes".
"Ce rapport, au demeurant détaillé et exhaustif quant aux constats, se gâche au moment d’apporter des solutions qui pourraient apparaître légalistes et faciles au premier abord mais qui seraient assurément mortifères à moyen terme."
Pour le président Vanni, qui s’exprime ici avec l’ensemble du conseil d’administration du SIS 2B, "considérer les sapeurs-pompiers volontaires comme des travailleurs" s’apparente à "un concept technocratique, hors sol et complètement décorrélé de nos réalités".
Tout en rendant hommage aux volontaires qu’ils qualifient de "citoyens dévoués et altruistes", il estime "qu'utiliser l’artifice du droit du travail pour les protéger, c’est au contraire les condamner".
"Mettre en difficulté le volontariat aurait des conséquences terribles dans nos territoires et singulièrement en zone rurale."
Véronique ArrighiPrésidente du SIS 2A
Au niveau des directions des SIS de l’île, pointe l’inquiétude d’une restructuration opérationnelle des secours qui pourrait être préjudiciable au maillage territorial. Le président Vanni rappelle les engagements pris "pour ne jamais reculer sur la défense du rural et de ne jamais pénaliser les populations qui vivent dans nos territoires où nous sommes les derniers remparts de la vie publique."
Même son de cloche au SIS de Corse-du-Sud. Si la direction n’a pas répondu à l’enquête de l’IGA, sa présidente, Véronique Arrighi, a également réagi par voie de communiqué au rapport :
"Ces préconisations interviennent de manière incompréhensible alors même que le ministre de l’intérieur avait marqué en octobre dernier au congrès national des sapeurs-pompiers à Toulouse, sa volonté de renforcer le volontariat dans le cadre d’un plan national d’action 2024-2027, s’étonne-t-elle. Elles mettent en péril le modèle de sécurité civile actuel. Un modèle basé sur la complémentarité entre les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Mettre en difficulté le volontariat, lequel mêle activité professionnelle et engagement citoyen, aurait des conséquences terribles dans nos territoires et singulièrement en zone rurale."
Un surcoût estimé à 24 millions d'euros
Jeudi dernier, le Partitu di a Nazione Corsa a "apporté son soutien aux deux Unions de Corse".
"Les instructions de l’IGA conduisent mécaniquement à un tarissement des effectifs volontaires, indique le parti nationaliste. Les deux SIS de Corse se verront contraints de recourir à des contrats à durée déterminée et non plus à des contrats d’engagement quinquennaux ou saisonniers." Le parti nationaliste soulève des "incidences directes", dont "une explosion des coûts de fonctionnement des SIS" et "un impact financier qui ne sera pas neutre".
𝗖𝗨𝗠𝗨𝗡𝗜𝗖𝗔𝗧𝗨
— Partitu di a Nazione Corsa (@PNazioneCorsa) February 29, 2024
Le volontariat des sapeurs-pompiers volontaires est la cible d’attaques en règle.
Le PNC propose que les deux SIS de Corse puissent être intégrés dans le projet d’autonomie actuellement négocié et qu’ils soient dotés d’une capacité d’auto-organisation.
Le… pic.twitter.com/L1DlrP8LS2
Dans son rapport, l’IGA mentionne le fait que l’application de la DETT entraînerait pour les SIS en situation de "forte vulnérabilité une charge annuelle de plusieurs millions d’euros (jusqu’à plus de 20 millions d'euros), souvent insupportable et qui compromettrait gravement leur fonctionnement".
Selon le SIS 2A, "l’application des directives de l’IGA et de la direction de la générale de la Sécurité civile impliquerait une professionnalisation d’environ 460 sapeurs-pompiers". Le surcoût pour l’établissement est estimé à "24 millions d’euros par an pour l’établissement, en dehors du dispositif feux de forêt", précise Véronique Arrighi.
Hyacinthe Vanni a indiqué qu’il "prendra très vite une initiative pour réunir l’ensemble des acteurs politiques locaux", tout en se "rapprochant également des départements de Sud Méditerranée".
Tout en disant "compter sur les préfets de Corse", le président du SIS 2B conclut en affirmant qu’il ne "laissera pas démanteler le dispositif de secours que les élus ont choisi pour leur territoire".
Le reportage de Sybille Broomberg et Océane Da Cunha :