Raoul Locatelli : "depuis le début, notre but est d'amener une frange du public des Musicales de Bastia à s'élever"

Les Musicales de Bastia se tiendront dans les prochains jours. Leur créateur, Raoul Locatelli, tirera sa révérence lors de cette 34e édition. Il revient pour nous sur cette belle aventure.

Les Musicales, cette année, se parent d'un air printanier. L'un des plus vieux festivals insulaires, qui fait habituellement danser les Bastiaises et les Bastiais à l'automne, se tiendra cette année les 5, 8, 9, 10 et 11 juin prochains. 

Une nouvelle fois, la programmation témoigne de l'éclectisme et de la curiosité insatiable de l'équipe des Musicales, entre rap, musique tzigane, folk et musiques du monde. A travers les décennies, Raoul Locatelli et les siens n'ont jamais rien cédé aux modes passagères et aux saveurs du jour. Et les plus grands noms, de Léo Ferré à Nougaro en passant par Luz Casal, Dionysos, Manu Di Bango, Nina Simone ou Luther Allison, Jacques Higelin ou Michel Petrucciani, ont défilé sur la scène du théâtre de Bastia. 

Cette 34e édition aura un goût un peu particulier. Raoul Locatelli, âme et cheville ouvrière des Musicales, tirera sa révérence, et laissera la place à de possibles successeurs, alors que l'époque lui semble bien moins propice à des festivals tels que celui qu'il a créé. 

Nous sommes revenus avec lui sur 4 décennies d'une histoire d'amour peu commune, faite de rencontres, de frustrations, de joies et de déceptions. 

Pourquoi ce changement de date ? 
On était traditionnellement en octobre, puis en novembre. Mais au fil des ans, le trimestre est devenu de plus en plus chargé, avec Arte Mare, Bastia Ville Digitale, les Rencontres Musicales de Méditerranée... Ca se bouscule, il y a plus d'artistes que de spectateurs, à Bastia (sourire). Il faut bien sûr jouer le jeu de la concurrence, mais personne ne se concerte, ça prolifère de manière un peu anarchique. On s'est dit qu'on allait essayer l'avant-saison, afin de se positionner en amont des grandes manifestations de l'été. 

Ca doit vous changer de vos débuts...
Il y a 34 ans, on était pratiquement les seuls ! Et puis c'était une autre époque. Les artistes étaient encore financièrement abordables. En remplissant le théâtre, on était tranquilles financièrement. La vie culturelle a beaucoup changé,  ces dernières années, avec le téléchargement, qui a signé quasiment la fin des royalties sur les ventes de disques. Alors les prix ne cessent d'augmenter pour les concerts. A l'époque, Lavilliers, c'était 15.000 euros. Aujourd'hui, on ne le toucherait plus. On peut se permettre Ayo, qui est une immense artiste, et qui fait son retour sur les planches, mais qui a connu son pic de popularité il y a de nombreuses années, à l'époque de Down on my knees.

Aujourd'hui, il y a un rétrécissement des goûts du public.

Comment on trouve son public, dans la profusion d'offres ? 
C'est tout le problème. D'autant que la masse du public qui remplit les salles, c'est le public populaire, le grand public. Et je ne dis pas cela de manière péjorative. Mais malheureusement, de plus en plus souvent, il ne connait que quelques noms d'artistes. On peut les compter sur les doigts des deux mains. Et ceux-là, si tu les contactes, c'est 100.000 euros minimum. Je pense qu'en 2022, tu peux faire tous les festivals de France avec ces dix artistes. Ca ne gênera personne. Tout le monde me parle de Jul ! Jul, jul, jul... Mais c'est d'une platitude ! Alors qu'il y a tellement de rap de grande qualité. [Les Musicales proposent cette année une soirée Rap, avec Nalla et Kikesa - NDLR]
Au début des Musicales, ce public avait une culture relativement vaste. Même les gens qui ne s'intéressaient pas au classique ou au jazz avaient entendu parler de Rostropovitch ou de Petrucciani. Grâce au service public, à des émissions comme Le grand échiquier. Aujourd'hui, il y a un rétrécissement du goût du public. 

C'est ce bilan-là, qui vous a fait prendre la décision de vous retirer après cette édition ? 
Mon départ était programmé depuis quelques temps déjà. D'abord parce que je viens d'avoir 75 ans... J'ai commencé le bénévolat associatif, je dirais même le militantisme, en 71. Il y a plus de 50 ans. J'ai commencé par le cinéma, à l'époque j'y voyais encore. Je m'occupais de la communication de la section Art & Essai du Studio, avec René Viale... Alors je me suis dit qu'à 75 ans, je commençais à m'essouffler. Et puis, au-delà de l'évolution négative du monde du spectacle dont on vient de parler, les dernières années ont été compliquées. On commençait à être moins nombreux, les bénévoles ont vieilli, ceux qui étaient les piliers ont commencé à quitter l'association. Il est très difficile de renouveler un potentiel humain. 

Qui va prendre la suite ? 
Ca, je ne peux pas le savoir. Je m'investis jusqu'à l'Assemblée générale qui se tiendra en automne, à l'heure du bilan 2022. Je vais quitter toute la structure à cette occasion, et ce que ça va devenir, c'est ce que d'autres en feront. Il faudra un président qui s'intéresse à tous les styles musicaux, mais il faudra surtout qu'il s'attache à trouver une personnalité au festival, à faire quelque chose qui lui ressemble. Il ne faut pas répéter ce que c'était jusque-là, c'est une nouvelle aventure. 

On a beaucoup abordé les aspects négatifs, mais Les Musicales, on imagine qua ça a été un parcours semé de joies et de satisfactions, non ?
Bien sûr ! Mis à part les galères d'organisation, ça a été des rencontres humaines fabuleuses, avec Nougaro, Lavilliers, Lucky peterson, Stephane Grapelli, Lenny Escudero, Moustaki.... La liste serait longue. On a créé des liens, le festival est à taille humaine, on prend soin d'eux. Certains musiciens, comme William Sheller, qu'on nous avait présenté sous un aspect peu engageant, a été adorable, fantastique, par exemple. 

Amener une partie du public à l'élever.

Pouvez-vous nous citer trois concerts qui ont marqué les Musicales ? 
Le dernier concert de Léo Ferré, en 91, avec un orchestre symphonique de 75 musiciens. Sous cette forme, il n'a donné que deux concerts, à Marseille et à Bastia. C'était unique, même s'il était âgé, qu'il avait faibli sur le plan de la mémoire, qu'il mélangeait les pages des partitions... (sourire)
Ensuite, Michel Petrucciani, dont les musiciens avaient raté l'avion. Mike, enfin, Michel, n'avait plus donné de concert solo depuis des années. Et il a joué tout seul, ce soir-là. Le concert a été... Les gens étaient envoutés. 
Et puis A Filetta, en première partie de Nilda Fernandez, un artiste d'exception, qui venait passer ses vacances chez moi, à Luri. Il s'est joint à une polyphonie d'A Filetta, avec sa voix très haute. Un moment fabuleux. Mais il y en aurait tellement d'autres.

Le bilan est donc plutôt positif, au terme de ces 34 ans ? 
Evidemment. On a toujours eu une exigence de qualité, on a pu se tromper deux ou trois fois, mais aussi bien avec les artistes reconnus qu'avec les découvertes, on  a offert de beaux spectacles. Mon regret, c'est que tant de spectateurs soient passés à côté d'artistes uniquement parce qu'ils ne les connaissaient pas. Et que donc, ils ne sont pas venus. La curiosité, c'est primordial. On a fait découvrir quand même de grands artistes. Juliette, en première partie de Nougaro, c'était quelque chose ! 
Depuis le début, c'était cela notre but. amener une frange du public à s'élever. Comme à l'époque du Théâtre populaire de Jean Vilar, ou de la naissance des MJC, dans les années 60. On me dit que je suis élitiste mais c'est l'élitisme pour tous, merde, quoi ! (rires)

Ca ne va pas vous manquer ? 
Mais je ne compte pas prendre ma retraite, croyez-moi. Parole Vive va continuer, et puis, je ne l'ai encore dit à personne, mais ma prochaine folie, c'est de monter, pour le mois de décembre, un spectacle avec des comédiens et des musiciens professionnels, et moi, le seul amateur, au milieu, à l'occasion des cent ans de la naissance de Bobby Lapointe. Et ça va s'appeler Le monde fou, fou, fou de Bobby Lapointe. J'aime être passeur d'idées, échanger. C'est une passion. 

Le programme :

    • Dimanche 5 juin à 18h, centre culturel Alb'Oru
      - Compagnie Rassegna
    • Mercredi 8 juin à 21h au théâtre municipal de Bastia
      - Ensemble instrumental de Corse, avec Sandrine Luigi / guitare, Glen rouxel / violon, Yann Molenat / Direction
    • Jeudi 9 juin à 21h au centre culturel Alb'Oru
      Soirée Rap
      - Kikesa, avec en première partie, Nalla
    • Vendredi 10 juin à 21h au théâtre municipal
      - Ayo, avec en première partie, Nicolas Torracinta 
    • Samedi 11 juin à 21h au théâtre municipal
      - Florin Niculescu Gipsy All Stars, en hommage à Stéphane Grappelli. Avec, en première partie, le Jean-Jacques Gristi trio, en hommage à Django Reinhardt
    • Dimanche 5 juin
      - A 14h30, itinérance musicale autour de l'Alb'Oru
      - A 18h30, chants et musiques de Méditerranée avec la compagnie Rassegna

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