Ristorante Suciale de Bastia : "On ne veut pas donner l'impression qu'on fait la charité, alors on demande un euro par repas. A ceux qui peuvent... Mais c'est de plus en plus dur"

Comme la plupart des associations solidaires, le restaurant social, qui sert des repas pour 1 euro aux personnes dans le besoin, a pris de plein fouet la hausse des prix liée à l'inflation. Et peine à trouver les moyens de continuer à exister.

Le panneau, coloré, qui marque l'entrée du restaurant social, est parfois masqué par les grappes de collégiennes et de collégiens qui rejoignent Giraud, et par les parents qui viennent déposer leurs enfants à l'école primaire de Jeanne-d'Arc.

La plupart d'entre eux ignorent l'existence du petit réfectoire qui accueille, au fond de la cour, les nécessiteux, pour leur donner un repas chaud. Mais celles et ceux qui sont dans le besoin, pour leur part, connaissent parfaitement l'adresse.

6 ans d'existence

U ristorante suciale a ouvert ses portes en novembre 2017. Une douzaine de bénévoles, la plupart à la retraite, se relaient pour assurer une présence, du lundi au vendredi, de 8 heures du matin à 15 heures. Et pour réceptionner les repas qui sont livrés, quotidiennement, par Corse Centrale Restauration, en camion réfrigéré.

Cette centrale, qui prépare jusqu'à 7.000 repas par jour, livre habituellement les collectivités, les entreprises, les établissements scolaires, les crèches et les résidences médico-sociales. Mais tous les jours, ils font un détour par le boulevard Giraud.

"Ils nous font bénéficier de tout ce qui n'a pas été distribué, et qui peut encore être consommé. Le délai est de 72 heures. Nous, on participe simplement aux frais de livraison. Et on ne paie que la moitié du tarif normal de livraison". La dame qui nous explique tout ça, c'est Danièle Drag, la trésorière de l'association.

Elle est l'une des chevilles ouvrières du Ristorante suciale, et elle nous en explique le principe : "ici, on sert à manger aux gens en difficulté. Aux SDF, mais pas seulement. Les bénéficiaires sont souvent envoyés par d'autres associations, comme Fratellanza, avec laquelle on travaille en étroite collaboration, mais ils peuvent aussi se présenter tous seuls. On leur demande leur nom, leur date de naissance, et un euro, s'ils peuvent payer. Mais s'ils ne peuvent pas, on les sert quand même... Bien qu'en ce moment, ce soit..."

Danièle Drag marque une pause, hésitant à aller plus loin, de peur d'être mal comprise. "Il y a des gens qui viennent et qui ne vivent pas dans la rue, mais qui ont un appartement, on le sait. S'ils ont les moyens de payer un petit loyer, ils peuvent donner un euro pour un repas".

Si on demande un euro, c'est pour ne pas donner l'impression aux bénéficiaires, la plupart du temps fragiles, qu'on leur fait la charité

Ce n'est pas par mesquinerie ou méfiance excessive que Danièle s'exprime ainsi. "Si on demande un euro, c'est pour ne pas donner l'impression aux bénéficiaires, la plupart du temps fragiles, qu'on leur fait la charité. Ceux qui ne peuvent pas payer jettent parfois les poubelles du restaurant dans un container en partant, ou balaient la cour. Ce n'est pas cher payé, mais c'est comme de payer le repas, d'une manière ou d'une autre".

Si les bénévoles du Ristorante Suciale sont vigilants, c'est parce que la situation financière est de plus en plus compliquée. Et que toute rentrée d'argent est bienvenue. "Il n'y a pas si longtemps, on récoltait 3.000 à 3.500 euros, sur l'année, grâce à cette participation symbolique. L'année dernière, à peine plus de 2.000 euros. Tout le monde a du mal à joindre les deux bouts, et ça se ressent".

Difficile de joindre les deux bouts

U ristorante suciale, contrairement à d'autres associations solidaires, ne compte pas sur la générosité de la population. Pas de récolte dans les supermarchés, ou d'appel aux dons. Le restaurant bénéficie de 40.000 à 45.000 euros de budget par an, à travers des subventions de l'Etat, de la CPAM, de la CdC. Et, en raison de l'inflation, difficile de joindre les deux bouts.

"On doit régulièrement compléter les repas qu'on nous livre. On ne sait jamais ce que ça va être, et bien souvent il n'y a pas de dessert, alors on doit acheter du fromage, des yaourts, du pain, et les tarifs ont explosé". Danièle se lève et jette un coup d'œil par la porte, afin de s'assurer que tout se passe bien dans le réfectoire.

Les gens sont plus attirés vers les Restos du cœur. C'est plus connu, c'est très médiatisé...

"Et je ne vous parle pas des produits d'entretien... Alors on fait attention à ne rien gâcher. Sur notre budget global, on a déjà 18.000 euros de salaire pour notre seule employée. Et pas question que l'on s'en passe. C'est un petit salaire, et elle est indispensable, elle s'occupe de réchauffer les plats, tous les jours. Tout le reste, le service, le ménage, ce sont les bénévoles qui en ont la charge".

De surcroît, pour ne rien arranger, cet été, la climatisation est tombée en panne, et il a fallu la remplacer. Alors les caisses sont vides. "Il nous manque un peu de sous pour payer la salariée. On a demandé un petit arrangement à la banque, qui nous a accordé un crédit de quelques mois, jusqu'à la prochaine subvention".

Pas sûr que cela suffise toujours."On essaie de demander plus, mais ce n'est pas évident. On a sollicité les mairies, mais la plupart ne répondent pas. Les gens sont plus attirés vers les Restos du cœur. C'est plus connu, c'est très médiatisé..."

Comme de nombreuses autres associations solidaires, U ristorante suciale peine à subsister, dans l'ombre de l'association créée par Coluche, qui représente 35 % des repas distribués chaque année, et qui, elle aussi, est confrontée à de nombreux soucis financiers.

Mais une chose est sûre, Danièle Drag et les autres bénévoles, eux, continueront de répondre présent, tant qu'il restera des repas à distribuer...

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