Marie-Jeanne Fedi aura bientôt 60 ans. Et elle voit s'éloigner sa retraite, avec la réforme qui s'annonce. Alors, celle qui milite depuis des décennies est très remontée. Et décidée à faire plier le gouvernement. Nous l'avons rencontrée.
Orange, blanc, bleu, rouge... Aux grilles de la préfecture de Bastia, ils sont une poignée à accrocher le drapeau de leur syndicat, formant un patchwork coloré.
Finies (pour un temps du moins...) les querelles de clocher. Face au gouvernement et à sa réforme des retraites, les différents syndicats ont fait taire leurs divergences. Et Marie-Jeanne Fedi ne cache pas sa satisfaction. "En Corse, ça fait douze ans que cela n'était pas arrivé ! C'est dire l'importance du combat que l'on est en train de mener".
Braver le froid
Alors que militants et sympathisants commencent à affluer pour assister à la conférence de presse censée raviver la mobilisation avant la grande manifestation de samedi prochain, Marie-Jeanne glisse son écharpe dans sa parka, avant de remonter la fermeture éclair. Elle a été de toutes les mobilisations depuis le début, et ce ne sont pas les températures glaciales de ce début février qui vont l'arrêter.
Tout mis bout à bout, on finira par partir à la retraite à 70 ans... Voire 75, si on a fait un peu d'études.
Elle est ravie de constater qu'elle n'est pas la seule à avoir bravé le froid. Plus de cent personnes se sont déplacées ce mercredi soir. Elle veut y voir un signe de bon augure pour la mobilisation de samedi. "Il n'y a pas que des travailleurs, Il y a des petits jeunes, aussi. A quel âge ils vont partir à la retraite, les pauvres ?"
La réforme des retraites concernera les générations nées à partir du 1er septembre 1961. Marie-Jeanne, qui est secrétaire dans le privé, est née en 1963. Et elle a conscience, comme elle le dit, "qu'elle est en plein dedans !"
Trimestres en moins
La situation l'inquiète, d'autant qu'avant la réforme, elle savait déjà que la retraite à 62 ans ne serait pas pour elle. "J'ai eu des ennuis de santé, qui m'ont contrainte à m'arrêter de travailler durant plus d'un an. Et puis, quand j'étais jeune, j'ai passé deux années au chômage. Tous les trimestres ne seront pas pris en compte. Alors deux ans de plus, ça va faire lourd".
Si tout va bien, je partirai à 65 ans ! Et encore, peut-être. Si je suis toujours en vie.
Quand on lui demande si elle a une idée de l'âge où elle pourra cesser de travailler, Marie-Jeanne Fedi éclate de rire : "si tout va bien, je partirai à 65 ans ! Et encore, peut-être. Si je suis toujours en vie".
Son rire, on le comprend vite, c'est une manière comme une autre de dédramatiser une situation qu'elle estime inquiétante. Pour elle comme pour les autres. "C'est une réalité, vous savez. Regardez le stress permanent dans lequel on vit, pour le travail, la santé, l'environnement... Ce climat d'angoisse, il aura des conséquences, et ça non plus, du côté de ceux qui décident, on ne le prend pas en compte..."
Double peine
A cela vient s'ajouter la situation des femmes, qui s'est enfin invitée dans le débat, après la maladresse de Franck Riester, le ministre des relations avec le Parlement, qui a reconnu qu'elles sont un peu pénalisées par le report de l'âge légal.
Pour Marie-Jeanne Fedi, "on n'aura jamais les cotisations suffisantes ! Il y a les enfants, les congés maternité, et le mi-temps que l'on impose souvent aux femmes, alors que ce n'est pas le cas pour les hommes ! Tout cela bout à bout, on finira par partir à la retraite à 70 ans... Voire 75, si on a fait un peu d'études...C'est de la folie, de la folie".
Pour Marie-Jeanne, l'attitude d'Elisabeth Borne et de son gouvernement témoigne d'un mépris "scandaleux" pour le peuple. "Madame Borne n'est pas que bornée. Elle est aveugle, en plus. La vie est de plus en plus chère. Et ce sont les petites gens qui vont être pénalisées, pas ceux du CAC 40. Eux, ils ont leur parachute doré, et même s'ils ne l'ont pas, avec leur salaire, ils vivent très largement. Alors que nous, quand on a payé le loyer, les charges, l'assurance de la voiture... Et ne je parle même pas de l'essence !"
On ne va pas couper des têtes, même si on en a bien envie !
Marie-Jeanne Fedi
Et pourtant, Marie-Jeanne pense que la mobilisation ne s'essoufflera pas, malgré la perte financière que représentent les jours de grève. "Les gens en ont marre, de toutes ces décisions injustes. Ils sont prêts à perdre une partie de leur salaire pour qu'on arrive enfin à quelque chose".
Durcir le ton
Malgré le sourire qu'elle affiche en permanence, en allant d'un groupe de militants en l'autre, on sent Marie-Jeanne Fedi très déterminée. Et prête à durcir le ton, s'il le faut. "Pour se faire entendre, il faut qu'on monte d'un cran. Il faut veiller à rester raisonnables, dans la légalité. On ne va pas couper des têtes, même si on en a bien envie !"
Mais durcir le ton, cela signifie prendre le risque de s'aliéner une partie de la population, qui soutient le mouvement, mais pourrait s'agacer. On l'a vu lors de la récente passe d'armes entre syndicats, au niveau national, au sujet d'un éventuel blocage des transports au cours des vacances de février.
Marie-Jeanne en est consciente : "on n'est pas là pour emmerder les gens, on le sait. Mais il faudrait que tout le pays soit bloqué durant 24, 48, ou même 72 heures. C'est à ce prix que le gouvernement pourrait prendre en compte la revendication de la rue".
L'ampleur de la mobilisation de samedi prochain, en Corse comme dans le reste du pays, est très attendue, et pourrait donner une idée des orientations à venir de la lutte syndicale. Marie-Jeanne Fedi, en tout cas, sera fidèle au poste, bonnet enfoncé sur la tête, et drapeau à la main.