Corsica Pruspettiva : "dans cinquante ans, en Corse, moins d'un habitant sur deux sera en âge de travailler"

Réfléchir à la Corse de demain, en s'appuyant sur l'expertise des chercheurs, pour anticiper les tendances qui se dessinent. C'est l'objectif de Corsica Pruspettiva, une initiative de la présidente de l'Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis. Cette semaine se tenait à Bastia une première conférence, dédiée aux questions démographiques.

La salle de l'auditorium du musée de Bastia affichait complet, mardi soir, pour la première des conférences du cycle Corsica Pruspettiva. Au programme, une question majeure concernant le futur de l'île : les perspectives démographiques de la Corse au cours du demi-siècle à venir.

À la tribune, trois spécialistes ont partagé le fruit de leurs recherches les plus récentes. Les deux premiers se sont appliqués à dresser un panorama des tendances qui se dégagent au niveau mondial, avant que le dernier ne se concentre sur le cas de la Corse.

Migrations climatiques

François Gemenne, codirecteur de l’Observatoire Défense et Climat du Ministère des Armées en France, se concentre sur ce qui devrait durablement chambouler la démographie des pays occidentaux au cours des prochaines décennies : les migrations climatiques.

Mais celui qui est également rédacteur au GIEC prend soin de préciser en préambule : "très souvent, on parle de ces migrations au futur, comme si c'était une menace que nous pourrions encore éviter. La vérité, c'est que c'est quelque chose qui existe déjà aujourd'hui. En 2022, les événements climatiques ont déplacé 32 millions de personnes dans le monde. Soit plus de gens que ne l'ont fait les conflits ou les tensions politiques".

Nous sommes à l'aube d'une transformation majeure des conditions de vie

François Gemenne

À en croire François Gemenne, "le changement climatique va impliquer une distribution géographique différente, et cela, parfois à l'intérieur d'un pays. Nous sommes à l'aube d'une transformation majeure des conditions de vie, qui va induire une redistribution géographique de la population".

"Cela, conclut le chercheur en se tournant vers Marie-Antoinette Maupertuis, assise à sa gauche, il faut l'anticiper. Et cela, ce n'est pas notre rôle. C'est le rôle des politiques".

Baisse de la natalité

Sébastien Oliveau, lui, fait un point de la situation démographique dans le pourtour méditerranéen, en s'appuyant sur une série de graphiques. Une région où une grande tendance se dégage : un vieillissement de la population, lié à une espérance de vie en forte augmentation, mais également à un taux de fécondité qui a tendance à diminuer, même dans les pays où il était très élevé il y a quelques années.

"Dans trente ans, la plupart des pays de Méditerranée, en Europe du Sud, dans les Balkans, au Moyen-Orient ou au Maghreb, auront un taux de fécondité inférieure à 2,1 enfants par femme", précise l'universitaire. 2,1 enfants, c'est le taux de fécondité qui garantit la stabilité de la population d'un pays.

Si la Corse n'est pas son sujet, Sébastien Oliveau précise néanmoins que l'île, elle, a déjà un taux de fécondité bien plus bas, de 1,36 enfant par femme.

Solde migratoire

Enfin, c'est au tour d'Antonin Bretel de prendre la parole, pour l'intervention la plus attendue : celle qui est consacrée à la Corse.

Une intervention qui commence par un rappel de la situation actuelle. En 2020, l'île comptait 343.700 habitants. Elle a enregistré 1 % de croissance par an entre 2014 et 2020, soit la croissance la plus importante de la métropole.

Néanmoins, il prend soin de préciser, dans le sillage de Sébastien Oliveau, que, depuis 2013, le solde naturel est négatif. On enregistre en Corse plus de décès que de naissances. Cette dynamique de la population est donc due au poids du solde migratoire.

En Corse, les plus de 65 ans étaient 78.500 en 2020, ils seront 134.600 en 2070

Antonin Bretel

À la lumière de ces tendances, et en prenant appui sur l'outil de projection de l'Insee, Antonin Bretel a imaginé à quoi ressemblerait la Corse en 2070.

Premier élément, le nombre d'habitants. Nous serions 371.000, soit une hausse très relative, au regard des poussées des années qui viennent de s'écouler. Cela s'explique par une croissance bien plus faible que celle d'aujourd'hui : 0,18 %.

Plus spectaculaire, selon ces projections, en 2070, "la Corse serait la première région de France pour la contribution  du solde migratoire à la croissance, et la première également pour la contribution, négative cette fois, du solde naturel..."

Autre élément, que l'on voit déjà se dessiner, le vieillissement de la population. "Les plus de 65 ans étaient 78.500 en 2020, ils seront 134.600 en 2070". Dans cinquante ans, moins d'un habitant sur deux sera en âge de travailler.

Anticiper

"Cette projection ne prend pas en compte les mobilités que l'on envisageait en début de débat", prend soin de préciser Antonin Bretel.

Plutôt qu'une idée de la situation en 2070, à l'aune des migrations climatiques inévitables, ces trois interventions concises, claires et pédagogiques, ont proposé un éventail d'hypothèses de travail, précieuses pour les élus et les institutionnels présents en nombre, mais frustrantes pour les béotiens. Ce dont sont conscients les trois chercheurs, qui précisent que "la prospective, ce n'est pas de la prévision. Nous ne sommes pas Nostradamus".

Comment la culture corse, la langue, vont-elles pouvoir faire face à ce solde migratoire important ?

Mais au vu des questions qui ont suivi les exposés des trois intervenants, le sujet qui préoccupe le plus l'assistance, c'est "comment la culture corse, la langue, vont-elles pouvoir faire face à ce solde migratoire important ?".

Ce qui se dessine, selon Michel Castellani, "c'est une agrégation d'individus, un mélange de Sarcelles et de St-Tropez, avec des communautés qui s'ignorent". "Si on ne trouve pas un sens commun, un projet commun qui fera le liant", assure le député de Haute-Corse.

Derrière lui, un jeune homme s'inquiète de ce que, face à cette globalisation culturelle, "les codes moraux et sociaux, dans le Niolu, soient égaux à ceux que l'on trouve partout ailleurs dans le monde", et s'interroge sur la capacité économique d'une région pauvre comme la Corse de faire face à un tel afflux migratoire.

Proposer une offre culturelle, et linguistique, aux Corses et à ceux qui arrivent

Marie-Antoinette Maupertuis

Marie-Antoinette Maupertuis, en conclusion, affirme que, lorsque l'on est élu, "il y a des projets de court, de moyen, et de long terme. Et, pour éclairer les sujets de long terme, nous avons besoin, dans un premier temps, de cette analyse prospective, avant de proposer un projet politique".

Un projet, assure la présidente de l'Assemblée de Corse, qui se penchera sur les enjeux d'aménagement du territoire, d'investissements, de logement, de connectivité, de mobilités internes et externes, d'emploi, de circuits courts, mais qui laissera toute sa place à l'offre qu'il convient de proposer, en matière de langue et de culture, "aux Corses et à ceux qui arrivent".

 Pour aller plus loin : revoir l'émission Sucetà du 9 décembre 2022 sur la démographie insulaire.

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