Comment s'organise la régulation de la pêche sur l'île ? Surpêche, réchauffement climatique, face à une raréfaction de la ressource, et à partir de constat dressés en amont par les scientifiques, les services de l'Etat ont mis en place plusieurs restrictions.
La pêche, au-delà de la carte postale… Dans un contexte de changement climatique et de raréfaction de la ressource, la filière fait aujourd’hui l’objet d’un suivi continu. Un secteur contrôlé de près par les affaires maritimes, et ce, du filet aux poissonneries.
De déplacement, ce jour-là, dans un supermarché de la région bastiaise, Pierre Tardi, inspecteur principal des affaires maritimes, ressort sur une bonne note : l'inspection n'aura révélé aucune anomalie. L'établissement en question avait déjà été contrôlé un an plus tôt, indique-t-il.
"Et en un an, nous avons pu constater une grande prise en compte des différentes remarques que nous avons effectuées, et à partir de là, constater aujourd'hui qu'ils sont parfaitement dans les clous par rapport à la réglementation en vigueur", se félicite l'inspecteur.
Sur les étals, les points de contrôle sont nombreux. Les étiquettes, par exemple, doivent comporter le nom latin de l’espèce, mais aussi la zone de pêche du poisson et sa provenance. C’est-à-dire où et par qui il a été pêché.
Les inspecteurs vérifient aussi le respect des politiques environnementales. Car certaines espèces, comme le thon et l’espadon, sont protégées par des quotas, ou par la saisonnalité, comme pour la langouste par exemple.
Le but ? Lutter contre le braconnage. L’année dernière, ainsi, toutes filières confondues, les affaires maritimes ont effectué 181 contrôles sur la pêche professionnelle et dressé 8 procès-verbaux en Corse.
Suivi de ressources halieutiques
Dans les bureaux annexes, au service économie bleue de la direction de la Mer, on ne contrôle pas, mais on compile des données pour suivre la ressource à partir de documents fournis par les socioprofessionnels.
À savoir les fiches de pêche, envoyées toutes les semaines, et les journaux de pêche, transmis toutes les 48 heures, pour le suivi des espèces soumises à quotas.
"Les professionnels de la pêche sont soumis à une obligation de déclarer leurs captures, indique Ryiad Djaffar, directeur de la mer et du littoral de la Corse. La raison : "Ces déclarations sont utilisées par les instituts d’études scientifiques pour venir déterminer notamment les quotas. Donc ça, c’est primordial. Et quelque part, on a aussi besoin de ces déclarations pour que chaque professionnel puisse disposer on va dire d’antériorité, c’est-à-dire une sorte de droit à pêcher qui est créé année après année."
Des pêcheurs professionnels de plus en plus investis dans le suivi des ressources halieutiques. Sur le port d’Ajaccio, Michel Serreri embarque ce jour Lucie Borrossi, une chercheuse de la Stareso… Pour ce patron pêcheur, le travail des scientifiques est primordial. Et il accepte toujours de les recevoir à bord.
"Ils vont venir et vont savoir le nombre de filets qu’on a, le maillage qu’on a, les profondeurs qu’on travaille, avec les espèces qu’on va prendre et qui vont être mesurées et analysées, détaille-t-il. Je pense que ces opérations devraient se multiplier, que ce soit avec Stella mare, avec Stareso ou Ifremer peu importe, mais ça devrait être plus important."
Captage de données
Comme Lucie Borrossi, ils sont une quinzaine de chercheurs à travailler à l’année à la Stareso, la station de recherche située à la pointe de la Revellata. Au programme du jour, sortie en mer pour poser des hydrophones.
Ces appareils, équipés de deux micros enregistreurs, de systèmes de stockage et de batteries, peuvent être immergés pendant quelques jours, ou plusieurs années, à des endroits stratégiques, comme l'explique Michel Marengo, le directeur de la Stareso : "Ce sont des endroits où il y a des hauts lieux de la biodiversité, à proximité de l’herbier de posidonie, en bordure à près de 40 mètres de profondeur, ou à 12 mètres de profondeur au milieu, où il y a des espaces et où il y a beaucoup d’espèces qui viennent se reproduire des zones de nurserie des zones d’alimentation. Donc ce sont des zones d’intérêt pour nous."
Mis en place par les plongeurs, les hydrophones vont capter tous les bruits à 20 mètres à la ronde, des antennes des langoustes aux parades nuptiales des mérous ou encore les sons des corbs.
Sous l’eau, les chercheurs utilisent aussi des capteurs d’ADN environnemental qui filtrent l’eau de mer pour détecter quelles espèces sont passées dans la zone au cours des dernières 24 heures. Des données qui sont ensuite toutes étudiées minutieusement par les scientifiques, de retour à la station.
Vision globale des écosystèmes
Depuis 30 ans, la Stareso a engrangé 14 millions de données. De quoi permettre aux scientifiques d’avoir une vision globale des écosystèmes. C’est sur ces informations, et sur les observations de leurs confrères dans le monde entier que les chercheurs se basent pour rendre leurs avis. Comme leur préconisation de renouveler les moratoires de 10 ans sur la pêche au corb et au mérou.
"On est une quinzaine de scientifiques à avoir travaillé sur ces moratoires, rappelle Michel Marengo. Le mérou, c’est une espèce dite parapluie. Si on la protège, on protège tout un cortège d’espèces en dessous, ses proies potentielles, d’autres différents prédateurs. Donc protéger le mérou, c’est protéger tous les écosystèmes aussi."
Les rapports scientifiques ont une valeur consultative et servent de base aux décideurs. Que ce soit l’Etat, pour les interdictions de pêche par exemple, ou les prud’homies pour les dates d’ouverture de la pêche à l’oursin ou la langouste.
L’année dernière, suite au rapport publié par la Stareso, les pêcheurs de la prud’homie de Calvi ont décidé de laisser un mois supplémentaire aux langoustes pour pondre, en décalant l’ouverture de la pêche au 1er avril…
Une mesure prise main dans la main avec les scientifiques, pour que le métier de pêcheur ait encore de l’avenir sur les côtes de Corse.
Le reportage de Maïa Graziani, Typhaine Urtizverea, Lionel Luciani, Julian Bonnington et Mélissa Maitrel :