Faut-il tou.s.tes se mettre à l'écriture inclusive ?

Le Sénat a adopté, lundi, une proposition de loi visant à interdire l'usage de l'écriture inclusive dans la langue française. Un texte pour lequel les deux sénateurs corses se sont prononcés de façon opposée - l'un pour l'autre contre -. Des avis divergents, à l'image de ceux de la société insulaire.

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Faut-il tou.s.tes se mettre à l'écriture inclusive ? Pour Alain, 71 ans, la réponse ne souffre d'aucune hésitation, "c'est hors de question". Ancien professeur des écoles, désormais retraité, ce septuagénaire bastiais revendique fièrement son attachement à la "belle langue", celle qu'il a apprise étant petit puis enseignée pendant de longues années.

Une langue riche de plus de 300.000 mots - le français courant n'en utiliserait qu'autour de 30.000 -, avec ses règles, sa syntaxe, sa grammaire et son orthographe déjà déterminées. "On ne change pas une équipe qui gagne, et on ne vient pas bouleverser un langage qui existe depuis des siècles entiers", insiste-t-il. Et tant pis pour ceux qui appelleraient à un renouveau et une plus grande inclusivité.

Hier, lundi 30 octobre, c'est sur cette même ligne que le Sénat a choisi de se positionner. La proposition de loi "visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive", déposée par la sénatrice de droite Pascale Gruny, a ainsi été adoptée à une large majorité : 221 voix pour, 82 voix contre.

"Le masculin fait le neutre, on n'a pas besoin de rajouter des points au milieu des mots ou des tirets."

Emmanuel Macron

Plus tôt dans la même journée, c'est le président de la République lui-même qui a appelé lors d'un déplacement à Villers-Cotterêts pour l'inauguration de la Cité de la langue française, "à ne pas céder aux airs du temps" à ce sujet.

"Il faut permettre à cette langue de vivre, de s'inspirer des autres, de voler des mots, y compris a l'autre bout du monde, de continuer à inventer, mais d'en garder aussi les fondements, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe, a insisté Emmanuel Macron. Dans cette langue, le masculin fait le neutre, on n'a pas besoin de rajouter des points au milieu des mots ou des tirets."

Une écriture qui entend lutter contre l'invisibilisation du genre féminin...

Mais pourquoi donc une telle levée de boucliers face à l'écriture inclusive ? Née dans les années 2000-2010, elle est définie dans une circulaire de 2017 comme une pratique "rédactionnelle et typographique visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine". Pour ses créateurs et ses usagers, elle est le fruit d'un constat : celui de l'invisibilisation du genre féminin dans la grammaire française, notamment dans l'usage du pluriel.

En pratique, comme l'indique le manuel de l'écriture inclusive du linguiste Raphaël Haddad, elle fait appel au point - ou tiret, ou point médian, selon - pour marquer le féminin et le masculin dans un groupe, avec des termes comme les directeur.rice.s ou acheteur.euse.s, par exemple.

L'écriture inclusive invite également à faire le choix de mots épicènes (en parlant de droits humains plutôt que droits de l'Homme, par exemple), de mots "neutres" (le parent plutôt que la mère ou le père, les élèves du lycée plutôt que lycéens ou lycéennes), ou encore à accorder les fonctions, métiers, grades et titres selon le sexe (la docteure, Madame la ministre, la professeure...).

...mais dont l'usage fait débat

Poussé par les réseaux sociaux et des groupes militants, son usage s'est développé au cours des dernières années... mais reste globalement assez marginal. Pour autant, le vote de cette proposition de loi dévoile un sujet de société, qui interroge au-delà du Parlement.

Car en Corse comme dans le reste du territoire national, les avis ne sont pas unifiés. En traduit d'ailleurs le vote des deux sénateurs insulaires concernant la proposition de loi contre l'écriture inclusive : Jean-Jacques Panunzi, sénateur de Corse-du-Sud, s'est exprimé pour la proposition de loi, et Paulu-Santu Parigi, sénateur de Haute-Corse, contre.

Dans les rues de Bastia, il y a ceux qui, comme Alain, le professeur des écoles retraité, se disent fermement opposés : "Ce sera quoi la prochaine étape ? Arrêter de conjuguer les verbes pour que ce soit plus inclusif pour ceux qui n'aiment pas conjuguer ?", raille Christophe, la quarantaine. "Et puis après on commence à tout écrire au pluriel pour ne pas vexer ceux qui estiment qu'ils ne sont pas un mais plusieurs ?"

Louana, 17 ans, en première année de faculté, y voit "du grand n'importe quoi". "La langue française est déjà assez compliquée comme, alors si on y rajoute des points et des virgules..."

"Quand on voit tous ces gens qui font des fautes à tous les mots dans toutes phrases, est-ce que c'est vraiment sérieux ?"

Plus loin, Aline, en promenade avec son petit-fils, s'inquiète des difficultés d'apprentissage que cela pourrait engendrer pour les plus jeunes... et les autres. "Quand on voit tous ces gens qui font des fautes à tous les mots dans toutes phrases, est-ce que c'est vraiment sérieux ?"

D'autres, comme Julia*, sont plus modérés. "L'écriture inclusive me dérange parce qu'on n'y est pas forcément habitués, et du coup, dans la situation où les gens l'utilisent en public, je trouve que ce n'est pas fluide dans la conversation, que ça crée un malaise. Après, je reste ouverte à son utilisation, mais ça ne me viendrait pas personnellement."

Reste ce couple de jeunes lycéens, inscrit au lycée maritime de Bastia, qui admet "ne pas trop avoir suivi ce dont il s'agit", mais voit l'idée d'un langage plus inclusif d'un bon œil. "Je suis plutôt pour, parce que si dans une phrase, on dit "tous" et que parmi ces "tous", il y a des femmes, cela minorise leur présence", glisse Laetitia, 16 ans.

"Après, commence la jeune fille, je suis dyslexique, alors tout ce qui est point en plus, ça peut-être dur pour moi...", "moi aussi je suis dyslexique, intervient son ami Pierre-Paul, 18 ans, mais j'y arrive quand même. C'est peut-être un peu plus compliqué, mais ce n'est pas impossible si on fait l'effort."

Rémi*, journaliste corse, ne se dit enfin pas opposé à l'utilisation, au moins en partie, de l'écriture inclusive. Surtout que des changements dans les mots, termes et règles françaises sont déjà survenus dans le passé, souligne-t-il. "Il y a des X qui sont tombés, des S qui sont tombés... Alors qu'on utilise des points pour signifier des pluriels masculins et féminins - qui peuvent aussi permettre de raccourcir des phrases -, ça ne me choque pas du tout. Le tout c'est que la compréhension de lecture reste."

La société pour trancher

L'histoire dira si l'écriture inclusive ne restera finalement qu'un "épisode" temporaire de la longue histoire du français, ou l'apanage de seulement quelques groupes militants. Mais le débat devrait encore perdurer pour au moins quelque temps encore.

Car après tout, comme souffle Rémi, le journaliste : "Un président de la République peut bien dire ce qu'il veut, la lame de fond reste sociétale. C'est la société qui décidera si elle utilisera ou non l'écriture inclusive. Les possibilités d'interdiction pour le gouvernement sont très limitées. Il ne peut pas contrôler les médias qui sont libres de l'utiliser s'ils le souhaitent, ni les personnes sur les réseaux sociaux ou dans la vie de tous les jours qui peuvent bien écrire comme elles le veulent. Et puis un Etat qui interdit une forme d'expression - car c'est une forme d'expression -, ça n'a pas de sens." 

(*les prénoms ont été modifiés)

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