Avec l'été, les corps se dévoilent et les complexes physiques grandissent aussi : selon une récente étude IFOP, un Français sur deux n'aime pas son corps, et ne se sent pas à l'aise en maillot de bain. Des statistiques qui se retrouvent sur les plages insulaires.
La température frôle les 30 degrés, ce dimanche 25 juin, et Léa s'est avancée dans la mer jusqu'aux genoux. À quelques mètres de là, sur la plage de la Marana, à Furiani, ses enfants et son mari ont déjà plongé la tête sous l'eau, mais elle n'ira pas plus loin : pas question de mouiller son paréo noué autour de sa taille, qu'elle refuse d'enlever.
"Je n'aime pas trop me mettre en maillot, d'autant plus dans les espaces publics, souffle-t-elle. J'ai des formes dont je ne suis pas très fière et que je préfère camoufler. Si je viens, c'est pour faire plaisir aux enfants. Sinon, je m'en passerais bien."
Les températures qui grimpent, les tenues qui se font plus légères, et le redoutable maillot de bain : saison propice à l'exposition des corps, l'été est pour nombre de personnes en proie à des complexes physiques un passage difficile à traverser.
Et alors que les discours d'acceptation de soi et l'appel à une plus large représentation de physiques variés dans les films, les séries, les podiums ou encore les publicités, l'image de soi des Français et des Françaises aurait chuté au cours de la dernière décennie : selon une récente étude IFOP consacrée au "Summer Body", 47 % des Français n'aiment pas leur corps, et 53 % ne se sentent pas à l'aise en maillot de bain. Des chiffres en hausse par rapport à une enquête similaire menée 10 ans plus tôt.
Réalisée sur un échantillon national de 1006 personnes âgées de 15 ans ou plus au début du mois de juin, cette nouvelle étude s'attache notamment à déterminer le rapport qu'ils ont avec leur corps, et les conséquences des injonctions sociales et de la quête d'un corps "parfait" sur leur santé mentale.
Car bien plus qu'un désir d'apparaître sous son meilleur jour, ils sont 49 % à faire état de troubles anxieux à l'approche de l'été, 29 % indiquant en avoir même pleuré, et 28 % ont vécu dans ce cadre des épisodes de dépression.
6 femmes sur 10 n'aiment pas leur corps
Premier constat : les femmes sont plus nombreuses à signifier une mésappréciation corporelle (60 %, contre 46 % en 2013). Dans le détail, les femmes de 65 ans et plus sont les plus nombreuses à ne pas aimer leur corps (76 % sur le panel interrogé, contre 30 % des hommes de 65 ans plus), quand les adolescentes de 15 à 17 ans sont à l'inverse celles qui s'acceptent le plus (19 % n'aiment pas leur corps). Plus encore, la perspective de s'exposer au regard des autres en maillot de bain, sur la plage ou à la piscine, met mal à l'aise 67 % d'entre elles (20 % pas du tout à l'aise, et 47 % pas vraiment à l'aise).
Des malaises qui persistent quelle que soit la corpulence, mais s'accentuent plus l'IMC est elevé, précise l'étude : 33 % des femmes à l'indice de masse corporelle en maigreur disent ne pas aimer leur corps, 46 % à l'IMC normal, 71 % en surpoids, et 86 % en obésité.
"Je ne me cache pas, mais je me dis que j'aurais été un peu mieux un peu plus fine et tonique"
Barbara, 26 ans, n'a pas de problème de poids. Cette habitante de Lucciana se dit pour autant également mal à l'aise, en maillot sur la plage, faute d'avoir un physique assez tonifié à son goût. "J'essaie de me mettre au sport, mais j'aime trop manger ! plaisante-t-elle. Ça ne m'empêche pas de venir en maillot, et je ne me cache pas, mais je me dis que j'aurais été un peu mieux un peu plus fine et tonique peut-être".
Plus jeune, elle se souvient avoir été plus complexée, au point de refuser les sorties plages dès lors que des garçons étaient invités. "Je n'y allais pas parce que j'avais honte, ou alors je disais à mes copines qu'on serait mieux sans eux."
Maman d'une petite fille de 4 ans, Barbara entend "l'obliger à faire du sport, pour faire en sorte qu'elle se sente bien dans sa peau en grandissant. Je mise tout sur elle ! Qu'elle soit un peu complexée plus tard, ce n'est pas grave, ça nous arrive tous. Mais je ne veux pas qu'elle s'empêche de vivre, qu'elle s'interdise des plages comme ça a pu être mon cas."
Côté masculin, ils seraient, selon l'étude IFOP, 33 % à ne pas aimer leur corps, et 39 % à ne pas se sentir à l'aise en maillot de bain (6 % pas du tout à l'aise, 33 % pas vraiment à l'aise).
Pierre fait partie de cette majorité en paix avec soi-même : à 60 ans passés, il défile sur le sable "sans la moindre honte, et je ne vois pas pourquoi je devrais en avoir. J'ai un peu de ventre, j'ai moins de muscles qu'à une époque, et alors ? Je n'ai plus 20 ans, c'est comme ça."
"Il y a quelque chose que je dis souvent aux jeunes, c'est que "j'étais ce que vous êtes, et vous serez ce que je suis"
Même philosophie pour Sauveur, 78 ans : "Je me sens très bien comme je suis". Si les années passent, il n'en tire pour autant aucun complexe : "Il y a quelque chose que je dis souvent aux jeunes, c'est que "j'étais ce que vous êtes, et vous serez ce que je suis"." Une citation directement empruntée à la marquise de Corneille, et pour laquelle il insiste : "Cela n'apporte rien de se sentir gêné." "Et puis quand c'est beau, il faut le montrer", sourit son partenaire de discussion.
Plus loin, Charles-François, la trentaine, revendique la même confiance en lui... Avant de reconnaître, un peu penaud, se sentir parfois obligé de "rentrer le ventre et bomber le torse" quand il voit des femmes à son goût passer. "La plage, ce n'est pas un endroit de pudique, et on a envie d'être le mieux possible. Mais bon, globalement, je ne suis pas mal à l'aise du tout, je ne me compare pas vraiment."
La pression des réseaux sociaux
Thomas et Mareva, respectivement âgés de 37 et 27 ans, habitants de Furiani, illustrent bien ces vraisemblables différences d'amour de son corps entre les femmes et les hommes, observées plage de la Marana, ce dimanche.
S'ils sont tous deux venus lézarder en maillot de bain, lui se dit totalement décomplexé, et elle, plus mal à l'aise. "Quand j'avais 25 ans, j'ai pu être mal à l'aise, se souvient Thomas. Mais depuis je me suis mis au sport, et surtout, avec l'âge, je m'en moque de plus en plus du regard des autres."
Mareva n'est, elle, pas encore arrivée à ce stade : "Je ne suis pas à l'aise avec mon corps depuis toujours. C'est plus un regard de moi par rapport à moi-même que celui des gens autour." Un malaise nourri, entre autres, par les photos de corps "parfaits" sur Instagram. "On sait très bien que les photos sont retouchées, que c'est travaillé, mais on a quand même tendance à se persuader soi-même qu'on devrait ressembler à ça."
Ces comparaisons, elle n'est pas seule à effectuer : à en croire l'étude, parmi celles et ceux qui n'aiment pas du tout leur corps, 40 % estiment "les photos dans les magazines et sur les réseaux sociaux mettant en scène des corps parfaits" ont joué un rôle dans le développement de complexes (41 % des femmes interrogées, 33 % des hommes).
"Quand je prends des photos, je vais toutes les regarder en détail, et bien vérifier que ça me va avant d'en poster une."
Alors avant de poster elle-même une photo sur ses réseaux sociaux, Mareva indique devoir faire jusqu'à 50 prises avant de trouver "la bonne". "Je vais toutes les regarder en détail, et bien vérifier que ça me va avant d'en poster une." Pour Thomas, en revanche, "il suffit d’un coup et c'est bon. Je sais à quoi je ressemble et ça me convient."
La dangereuse quête d'un bronzage "parfait"
Les pieds dans l'eau, les lunettes de soleil sur le nez et la capeline sur la tête, Emma, 22 ans, est justement en plein shooting photo pour son compte Instagram. En bikini deux-pièces, la jeune femme assure n'avoir "aucun souci" avec son corps, si ce n'est son teint : elle qui part prochainement en vacances avec des amies se trouve trop pâle. Alors pour accélérer le processus de bronzage, elle a décidé de sauter la case crème solaire.
Comme Emma, et toujours selon l'étude Ifop, ce sont 42 % des Français interrogés et âgés de plus de 15 ans (38 % d'hommes, 47 % de femmes) qui indiquent avoir déjà "préparé leur bronzage" en vue d'être "le ou la plus séduisant(e) possible pendant les vacances d'été".
"J'ai le sentiment de paraître plus mince quand je suis bronzée. Et puis ça me donne meilleure mine. Je n'ai pas envie de ressembler toute l'année à un cachet d'aspirine", plaisante la jeune femme.
Allongée un peu plus loin, Laurence, 52 ans, est d'un tout autre avis. Avant de répondre, elle prend le temps de saisir son tube de crème solaire et de s'en appliquer une couche généreuse sur le visage, les jambes et les bras. "Je fais très attention d'en remettre toutes les deux heures. À défaut de l'adorer, j'essaie au moins de prendre soin de mon corps !"
Un de ses cousins s'est vu dépister un mélanome cutané il y a quatre ans, raconte-t-elle. "On l'a découvert relativement tôt, mais il a quand même dû se le faire enlever, et suivre de lourds traitements médicamenteux. Ce n'était pas anodin."
"Quand j'avais la vingtaine, j'étais une grande adepte du monoï et du topless pour avoir le moins de marques possibles."
Un diagnostic tombé comme une prise de conscience pour cette maman, qui ne s'était alors jusqu’alors jamais vraiment intéressée aux dangers d'une trop grande exposition au soleil pour sa peau. "Avant, pour moi, être bien sur la plage, c'était bien sûr perdre 4 ou 5 kilos avant de venir, mais c'était aussi avoir un beau bronzage bien uniforme. Quand j'avais la vingtaine, j'étais une grande adepte du monoï et du topless pour avoir le moins de marques possibles."
Aujourd'hui, cette course à la peau caramel est terminée pour Laurence : elle assure privilégier les recoins d'ombre autant que possible, et prendre toutes les précautions pour ne pas trop chauffer sous les UVs. C'est d'ailleurs sous un grand parasol qu'elle et ses enfants se reposent sur le sable, et vêtus d'un tee-shirt de nage pour se baigner. "Ce n'est peut-être pas le plus élégant, mais comme nous avons la peau très blanche, c'est plus sécuritaire. Le "Summer body", c'est déjà un corps en bonne santé."
Le mot de la fin revient à ce couple de nonagénaires, venu se promener - habillés - sur le sable avant de passer à table. "On peut passer des années à se haïr, à vouloir être comme ceci ou comme cela. Mais ça n'empêchera pas le fait qu'un jour, on vieillit et on en vient à se demander pourquoi on a détesté ce corps qui nous a fait avancer."