Fièvre catarrhale en Corse : réunion de crise sur fond de polémique

Une réunion s'est tenue ce mardi entre les acteurs du monde agricole et les services de l'Etat. Au centre des discussions, la découverte et la gestion des deux foyers de fièvre catarrhale ovine en Corse. Avec la question notamment de l'accès au vaccin et de son prix.

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Campé dans son bureau au sein de la chambre d'agriculture départementale à Vescovato, Joseph Colombani, président de la chambre d'agriculture de la Haute-Corse, donne d'entrée de jeu le ton : face à la récente découverte de foyers de fièvres catarrhale ovine (FCO) - ou maladie de la langue bleue - en Corse, "chacun doit tirer ses responsabilités". En commençant par la directrice de la Draaf (Direction régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt), Sabine Hofferer : "Vous n'êtes pas à la hauteur de vos fonctions. Vous n'avez pas su être à la hauteur de la crise. Je demande votre démission."

Vous n'êtes pas à la hauteur de vos fonctions. [...] Je demande votre démission.

Joseph Colombani, à Sabine Hofferer

Tous deux ont pris part, ce mardi 19 octobre matin, à une visioconférence réunissant également des représentants de la préfecture régionale, du groupement de défense sanitaire, l'interprofession ovine (Ilocc) et des vétérinaires. Depuis le recensement des premières bêtes atteintes de FCO, le 13 octobre dernier, on compte 80 brebis décédées : 70 dans un élevage de Ghisonaccia, sur un troupeau de 950 bêtes, et 10 dans un élevage de 100 têtes de Bonifacio.

Plus encore, 2 cas suspicieux sont actuellement étudiés en Haute-Corse, et 3 en Corse-du-Sud. Des chiffres qui restent relativement bas au vu de l'ensemble des bêtes répertoriées en Corse, mais qui appellent à un renforcement de la surveillance déjà effectuée.

Prélèvements mensuels sur des bovins

Une surveillance qui repose "en premier lieu sur la détection des symptômes cliniques par l'éleveur. Après quoi le vétérinaire est prévenu, et des prélèvements sont effectués", indique la Draaf. L'agence régionale précise effectuer des prélèvements sanguins mensuels "sur une soixante de bovins par département en abattoir", un programme de surveillance unique à la Corse, qui permet notamment de détecter la circulation de la maladie et de son sérotype.

"Depuis plusieurs années, nous répertorions ponctuellement le sérotype 4 parmi les bovins", ajoute la Draaf qui l'assure : depuis son apparition sur l'île, la circulation de la maladie en sérotype 4 n'a "jamais cessé". "Depuis le début de l'année, nous avons détecté 9 cas par ce biais."

Problème, pour Joseph Colombani, l'aspect prévention de la crise n'a justement pas été suffisant : "Aujourd'hui, on réagit lorsqu'il y a des signes cliniques de la maladie déjà installés. Nous avions d'autres moyens de prévention", a insisté le président de la chambre d'agriculture de la Haute-Corse. Ce dernier a rappelé avoir alerté sur la situation en Sardaigne, où plus de 1400 cas de fièvres catarrhales sont actuellement dénombrés, et plus de 10.000 bêtes décédées en une année. 

Demande d'une surveillance "plus poussée"

Du fait de la courte distance - 14km en mer - et des imports et exports fréquents entre les deux îles, "nous étions en droit d'espérer qu'il y ait une hausse du système de contrôle. Est-ce-que tout a été fait et amplifié cette année au niveau des contrôles aux abattoirs et dans le piégeage des moucherons [porteurs de la FCO, ndrl] ?" Une demande de mise en place d'un réseau de surveillance "plus poussé" également reprise, dans des termes plus modérés, par la représentante du groupement de défense sanitaire.

Est-ce-que tout a été fait et amplifié cette année au niveau des contrôles aux abattoirs et dans le piégeage des moucherons ?

Joseph Colombani

François Sargentini [ex-président de l'Odarc (Office du Développement Agricole et Rural de Corse) entre 2015 et 2017] avait demandé un renfort des communications avec la Sardaigne pour prévenir en amont de pareilles situations sanitaires, a insisté Joseph Colombani. 

Une demande qui, plus de quatre ans après, n'est toujours pas effective. "Je veux que les responsabilités soient établies, à commencer par celles de la Draaf. Que comptez-vous faire pour nous sortir de la panade dans laquelle vous nous avez mis ?"

Que comptez-vous faire pour nous sortir de la panade dans laquelle vous nous avez mis ?

Joseph Colombani, à Sabine Hofferer

Faible couverture vaccinale

Directement interpellée, Sabine Hofferer a indiqué être nommée par le ministre de l'Agriculture, "c'est à lui qu'il faut s'adresser pour demander mon départ, et ce n'est pour moi pas le sujet". "C'est bien grâce à la surveillance effective que nous avons pu détecter ces foyers", argue cette dernière, vétérinaire de formation.

Pour la direction régionale de l'agriculture, "le FCO, c'est un peu comme la Covid, il faut apprendre à vivre avec et développer les actions de préventions." En premier lieu, un recours aux insecticides, et la mise en place d'une "immunité la plus poussée possible", notamment par le vaccin.

Car la couverture vaccinale des ovins, bovins et caprins contre le FCO est mineure en Corse : l'an dernier, avec la fin du remboursement par l'Etat des vaccins, ils n'étaient, selon les chiffres de la chambre de l'agriculture de Haute-Corse, que 23% des éleveurs à avoir vacciné leur troupeau en Haute-Corse, et 18% en Corse-du-Sud.

"Le vaccin n'est pas très populaire parmi les éleveurs, constate Joseph Colombani. Lui-même se dit "favorable à son utilisation", mais estime le moment compliqué : "Nous sommes en période de gestation". "On nous propose un vaccin bivalent [pour les sérotypes 4 et 8], et on ne sait pas en période de gestation quelle va être la réaction des bêtes face au traitement du 8".  "Oui, la vaccination, c'est la solution, mais la question c'est quand, à quel prix et dans quelles conditions".

"Les éleveurs ne sont en moyenne pas très chauds pour se vacciner, alors si en plus il faut qu'ils paient le vaccin...", renchérit la représentante du groupement de défense sanitaire. "Ils faut qu'ils aient confiance dans ce vaccin."

À qui revient la facture ?

Vaccin et désinsectisation, reste la question de qui paiera la facture. Dominique Livrelli, président de l'Odarc, dit l'office "prêt à participer", à condition que l'Etat en fasse de même. "On ne va pas assumer ce qu'on n'a pas à assumer. Le sanitaire, c'est du ressort de l'Etat. À partir du moment où tout le monde fait un pas : la profession, l'Etat, la région, nous ferons un pas."

Sabine Hofferer, rappelle de son côté que "jusqu'en 2020, l'Etat remboursait les vaccins. Malheureusement, cette offre n'a pas eu beaucoup de succès auprès des éleveurs. Cela a conduit le ministère à ne pas reconduire sa prise en charge. [...] J'ai demandé à l'interprofession, au groupement de défense sanitaire et aux vétérinaires, de réfléchir dans la journée sur un plan collectif, sérieux, pour voir ce qu'on déploie, parce qu'il est urgent de vacciner et désinsectiser pour porter au niveau national une demande de concours financier. Mais je pense que dans cette demande il faudra que d'autres partenaires prennent leur part, la filière, les éleveurs...".

Le ministère, assure la directrice régionale de l'agriculture, se montre pour l'heure "assez réticent". "Il va falloir beaucoup de persuasion pour les convaincre de participer au financement de cette campagne."

Le montant total pourrait se chiffrer à plusieurs centaines de milliers d'euros. Reste désormais à poursuivre les discussions entre la Draaf, l'Odarc et l'interprofession, afin d'aboutir sur un de financement de la campagne préventive et vaccinale contre le FCO.

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