Répondre à un mail sur le chemin du retour du bureau, passer un dernier coup de fil à un client avant de se coucher... Si la loi travail de 2016 prévoit un droit à la déconnexion pour les salariés, il est rare qu'ils le fassent valoir. Un comportement qui n'est pas sans risque pour la santé.
Les journées de travail à rallonge, qui continuent même une fois sorti du bureau, avec l’article 55 de la "loi Travail", en théorie, c’était fini. Car cette loi, portée en août 2016 par l’alors ministre du Travail Myriam El Khomri, introduisait une notion toute nouvelle : le droit à la déconnexion.
Celui-ci assure aux salariés le droit de ne pas être joignable sur leurs outils numériques professionnels – internet, email, smartphone… - en dehors de leurs heures de travail. Il est régimenté par une charte, propre à chaque entreprise, et décidée par le biais d’un accord employeurs-salariés.
Un droit en vigueur depuis janvier 2017, qui, dans l’idée, permettrait de "protéger les temps de repos et de congés des salariés en vue d’assurer le respect de leur vie personnelle et familiale". C’est tout du moins ce que la loi prévoyait. Le problème, c’est que dans la réalité, trop peu de salariés encore font valoir leur droit à la déconnexion.
Métro, boulot, boulot
Guillaume, 27 ans, raconte ainsi rester « toujours en alerte ». Depuis deux ans qu’il travaille dans un cabinet, ce jeune avocat ne compte pas ses heures de boulot. "J’arrive généralement au bureau à 9h, et je pars souvent aux alentours de 21h, 22h"
Sauf que voilà, aussitôt levé, Guillaume se rue sur ses mails pour "faire le tri dans ses dossiers". En voiture pour aller au bureau, il passe des coups de fils à ses clients.
Même rituel pendant sa pause déjeuner, et le soir, en rentrant chez lui. "Et dès que j’arrive chez moi je rallume mon ordinateur pour travailler encore un peu…et je garde mon téléphone pro à portée de main au cas-où on essaierait de me contacter."
Résultat, sur du réveil au couché, Guillaume n’a quasiment la tête qu’au boulot. L'avocat confie même avoir déjà répondu à des appels professionnels en pleine nuit.
Une situation qui nuit sévèrement à sa vie personnelle : "Je n’ai pas vraiment le temps de voir des amis, et une copine, je n’y pense même pas. J’ai pris une semaine de vacances cet hiver, pour décompresser…La première chose que j’ai mis dans ma valise, c’est mon ordinateur de boulot et mes dossiers en attente."
Epuisement professionnel
Faute à trop de boulot, à trop de pression externe ou personnelle ou à une mentalité omniprésente du bon travailleur « toujours disponible », les raisons invoquées pour justifier cette difficulté à décrocher du boulot sont nombreuses.
Mais ce comportement peut présenter des risques sévères pour la santé.
Selon une enquête menée par la CFDT en 2017, 36% des Français auraient déjà fait un burn-out.
Alexandre*, 37 ans, fait partie de ceux-là. " Un matin, en arrivant au travail, quand j’ai vu tous mes messages en attente alors que j’avais passé la soirée entière à travailler, j’ai fondu en larmes. J’ai eu comme l’impression de tomber dans un gros trou noir. Et quand je me suis réveillé, j’étais à l’hôpital."
Un matin, en arrivant au travail, quand j’ai vu tous mes messages en attente alors que j’avais passé la soirée entière à travailler, j’ai fondu en larmes.
Charge de travail trop importante, vie sociale quasi inexistante et horaires de travail à rallonge… Pour ce responsable marketing dans une grande entreprise en Corse, les signes avant-coureur d’un burn-out étaient presque tous réunis. "Je faisais des insomnies, j’étais irritable. Ma vie tournait autour de mon boulot, et j’avais en permanence l’impression de mal faire les choses."
Lui qui n’avait jamais été migraineux se souvient avoir développé dans les mois précédents son malaise des "maux de têtes atroces", qui lui donnait l’impression de se faire « percer le crâne à la scie ».
Et, plus inquiétant encore, Alexandre raconte avoir ressenti des épisodes de "fortes palpitations cardiaques" : "Les premières fois, j’ai même cru que je faisais une crise cardiaque. Mais comme elles duraient seulement quelques minutes, je me disais que j’étais juste fatigué, et qu’il me fallait plus de café. "
Un "mal du siècle"
Deux ans déjà ont passé, mais son burn-out, Alexandre ne s’en est toujours pas complètement remis.
« Après mon malaise, j’ai passé presque deux semaines sur un lit d’hôpital, dans un état complètement catatonique. Et même après ma sortie, je n’étais que l’ombre de moi-même. Je m’enfermais chez moi pour ne voir personne et je dormais toute la journée. La moindre activité monopolisait toute mon énergie. Je ne trouvais plus de sens à rien. Encore maintenant, j'ai du mal », raconte-il.
Le cas d’Alexandre, quoi que sévère, n’est pas isolé. Certains le qualifieraient même de "mal du siècle", tant il aurait tendance à être de plus en plus commun : selon un bilan publié par l’Assurance maladie en janvier 2018, le nombre de cas d’épuisement psychique reconnu comme maladie professionnelle aurait été multiplié par 7 entre 2011 et 2016.
Alors pour éviter d’en arriver là, des initiatives se mettent en place. Jean-François Paoli, directeur d'une concession automobile bastiaise, dispose ainsi d'un logiciel sur son téléphone qui ne lui permet plus de répondre aux dossiers professionnels en dehors du boulot. Même chose pour son conseiller commercial, qui ne peut même pas accéder à ses mails.
Detox digitale
Pour d'autres, la solution viendrait d'une "détox digitale". C'est en tous cas le titre qu'à choisi Maeva Clément-Santimi, professeure de management et de communication, pour la conférence qu'elle organisait, hier, jeudi 18 juillet, au CCI formation à Borgo.
L'auditrice sociale chez ACE partners, qui a elle-même été victime d'un burn-out par le passé, s'est employée à dénoncer le "tourbillon digital" devant des entrepreneurs locaux, et des effets psychosociaux néfastes qu'il peut provoquer. Si elle ne nie pas les avantages que peuvent apporter les outils numériques - rapidité, partage aisé d'information, transversalité notamment -, elle considère que l'hyperconnexion, plutôt que de rapprocher les gens, les a cloisonné.
Le besoin d'être connecté de manière permanente serait devenu tel, analyse Maeva Clément-Santini, que certaines personnes n'oseraient plus se éteindre leurs outils numériques professionnels, de peur de paraitre incompétentes.
En 2018, une étude estimait que 68% des Français continuent à répondre à leurs mails et appels professionnels pendant leur temps libre. Un chiffre qui n'étonne pas l'auditrice sociale, qui considère que l'entrée en vigueur du droit à la déconnexion n'a pas engendré de réels changements ni dans les mentalités, ni dans le fonctionnement des entreprises.
Avec cette courte formation, co-animée avec un sportif de haut niveau, elle souhaite inviter les salariés à reconsidérer leur utilisation des outils numériques professionnels. Objectif pour Maeva Clément-Santini, aider les professionnels à "décrocher". A voir s’ils accepteront de laisser un peu leur téléphone de côté une fois la conférence terminée…
* le prénom a été modifié