Faut-il condamner les attentats survenus au cours des dernières semaines ? La salle du conseil municipal de Bastia, a été le théâtre d'échanges appuyés, hier, jeudi 13 avril, autour de cette question. Au centre, trois motions de soutien proposées, dont une, par la majorité, n'incluant pas le terme de "condamnation".
Faut-il condamner les récents attentats commis à l'encontre, notamment, des mairies d'Afa et d'Appietto, et du domicile de Simone Guerrini, adjointe à la mairie d'Ajaccio, route des sanguinaires ?
La question a animé la fin du conseil municipal de Bastia, ce jeudi 13 avril. La raison : l'examen de trois motions, l'une émanant de la majorité municipale nationaliste, portée par Didier Grassi ; la seconde du groupe Bastia social et solidaire, soit l'aile gauche de la majorité, présentée par Emmanuelle de Gentili ; et la dernière de Jean Zuccarelli, pour l'opposition.
Trois motions déplorant toutes ces actions. Mais pas dans les mêmes termes : là où celle de Jean Zuccarelli "condamne fermement ces attentats", celle d'Emmanuelle de Gentili évoque des actes "inadmissibles et condamnables", quand Didier Grassi fait état "d'actes injustifiables", et mentionne "un soutien et une solidarité".
"Moi, je n'ai jamais essayé de dire où sont les bons et où sont les mauvais"
Une dernière approche trop timide pour l'opposition. "J'aimerais, pour la lisibilité de ce débat qui est important, savoir si le fait de ne pas condamner fait partie de votre ADN", lance ainsi Jean-Martin Mondoloni au maire.
"Je suis militant nationaliste depuis 1975. Soit l'un des plus anciens de cette salle, rappelle en réponse Pierre Savelli. Au cours de ma vie militante, j'ai eu l'occasion de croiser beaucoup de militants nationalistes qui pratiquaient la violence, d'autres non. Moi, je sais pourquoi j'ai choisi très tôt dans ma vie le choix de la démocratie. Et les élections qui se sont succédé et auxquelles j'ai souvent eu des défaites cuisantes ne m'ont jamais empêché de rester sur ce chemin."
Selon le maire, il y a le risque que les condamnations nourrissent les attentats, et inversement, comme cela a déjà été le cas par le passé. "Comme c'est frustrant d'en arriver là, de dire un attentat, je condamne fermement, et ainsi de suite. Un moment donné, on se disait même, est-ce-que certains ne font pas les attentats pour les condamner ? Moi, je n'ai jamais essayé de dire où sont les bons et où sont les mauvais. J'ai essayé avec les miens de toujours rester sur ce chemin démocratique, de rejeter la violence, de dire que les actes sont inacceptables, intolérables, point. Ça, c'est mon ADN, une partie de ce que je suis, de ce que nous sommes."
"Vous donnez le sentiment d'avoir la condamnation un peu sélective et inconstante"
"Il y a une gêne qu'on sent palpable, dans ce conseil municipal, ce soir, pour beaucoup d'entre vous", rétorque Jean-Martin Mondoloni, immédiatement interrompu par le maire, moqueur : "Je ne pense pas, non, vous palpez mal."
"Vous donnez quand même le sentiment d'avoir la condamnation un peu sélective et inconstante", reprend l'élu d'opposition. "Dans ces histoires, on répond d'abord à l'attente des victimes. Et ce qu'elles attendent, c'est qu'on condamne. Vous avez le droit de ne pas y répondre", tance-t-il.
Lui-même proviseur d'un établissement scolaire bastiais, Jean-Martin Mondoloni décrit un milieu "où les esprits ne sont pas aussi matures que le nôtre, des "esprits captifs" qui nous regardent, qui nous écoutent, et interprètent nos gestes et nos propos, et se disent pour certains : si eux ne condamnent pas, quelque part, c'est qu'on cautionne. Je ne suis pas en train de dire de façon court-circuitée que votre mutisme en terme de condamnation vaut complicité ou caution. Pas dans mon esprit mature. Mais je pense aux esprits captifs pour qui cela vaut autorisation, caution ou complicité. Ce sont mes raisons pour lesquelles nous croyons que c'est un devoir de condamner de tels actes."
"Le chemin, c'est la démocratie"
"Le chemin, c'est la démocratie, et ce n'est pas des mots choisis ou non qui vont changer les choses, tranche en retour Mattea Lacave, adjointe au maire déléguée à la culture. Et ce n'est pas aujourd'hui nous mettre au pilori et nous accuser de certaines choses comme vous le faites maintenant, instrumentaliser ce débat pour faire votre politique, qui va nous faire changer d'avis. Nous assumons notre motion, je ne me sens coupable de rien, et je n'ai pas envie de retourner 20 ans en arrière où la Corse était coupée en deux, ce temps-là est fini. Vous n'êtes pas d'accord, conclut-elle en haussant le ton, c'est votre droit, mais par pitié, ne nous accusez pas !"
"Il n'est pas question de clouer qui que ce soit au pilori, reprend Jean Zuccarelli, élu d'opposition. Ni de nous accuser de vouloir instrumentaliser. Il y aurait eu une condamnation de ces faits-là, il n'y aurait pas eu de sujet, souffle-t-il. Il est quand même déplorable qu'on ne puisse pas condamner des actes qui sont condamnables, répréhensibles. [...] Là, vous nous expliquez votre histoire, le comment et le pourquoi, les interprétations, mais dans une société en perte de repères, à un moment donné, il y a des signaux très clairs à donner, il faut appeler un chat un chat et un chien un chien. [...]"
"Quel signal renvoyez-vous à la population, aux plus jeunes, qui attendent de la majorité, d'un président du conseil exécutif, qu'il donne un cap pour une société apaisé, surtout pour des choses qui ne devraient pas souffrir la moindre discussion ?", interroge-t-il enfin.
Pas de motion commune
Après une brève interruption de séance - qui a notamment permis de définir, pour les élus de la majorité, les consignes de vote - le vote des trois motions s'est finalement tenu aux environs de 22h.
Toutes ont été adoptées, sans qu'aucune n'obtienne l'aval de l'ensemble des élus municipaux, la majorité ayant choisi de ne valider que la sienne et de s'abstenir pour les autres, et l'opposition ayant à l'inverse validé la sienne et celle d'Emmanuelle de Gentili, tout en s'abstenant pour celle de la majorité.
Un budget primitif "raisonnable" pour la majorité, "défaillant" pour l'opposition
Ces débats relatifs aux motions sur les attentats ont conclu un conseil municipal animé. L'examen du dossier phare de la soirée, à savoir le vote du budget primitif de la ville, a ainsi également occasionné une série d'escarmouches entre majorité et opposition.
Décliné dans ses grands axes par Jean-Joseph Massoni, il s'élève, pour 2023, à 91.948.865 euros, contre 91.194.000 € en 2022. Une progression de l'ordre de 1% "fortement liée au contexte inflationniste", justifie le rapport, précisant que "la section de fonctionnement est particulièrement concernée avec une progression de 5%."
Les impôts d'aujourd'hui se paient aujourd'hui, et les emprunts d'aujourd'hui se paieront demain
Jean-Martin Mondoloni, élu d'opposition
Un budget dans son ensemble "raisonnable" et ambitieux, estime la majorité. Mais aux choix de financement "contestables", critique l'opposition, qui reproche un recours à l'emprunt, en lieu d'une augmentation des impôts.
"Les Bastiais doivent comprendre que lorsqu'on leur dit : "On ne va pas augmenter les impôts en temps réel", et lorsqu'on emprunte, on va les augmenter en temps différé, et que les impôts d'aujourd'hui se paient aujourd'hui, et que les emprunts d'aujourd'hui se paieront demain", avertit ainsi Jean-Martin Mondoloni.
Bastia est une ville pauvre, avec une population trop importante qui souffre au quotidien
Pierre Savelli, maire de Bastia
Une décision pour autant assumée par le maire : "La réalité de notre ville, tout le monde la connaît, l'opposition peut-être pas autant que nous, mais Bastia est une ville pauvre, avec une population trop importante qui souffre au quotidien", se défend Pierre Savelli, qui détaille : "il y a peut-être 25 % de notre population qui vit avec moins de 10.000 euros par an".
Une frange importante qui n'est de fait pas imposable, mais pour laquelle "il y a beaucoup d'actions à faire en terme de politique éducative, culturelle, d'action sociale... Et malgré tout cela, nous arrivons à avoir des programmes d'investissements comme il n'y en a pas d'autres en Corse au niveau communal."
Le budget primitif a sans surprise été adopté par les voix de la majorité, l'opposition ayant voté contre.