Marie-Lou a fêté ses cent ans vendredi 24 février à Furiani, dans la résidence pour seniors où elle vit. Un siècle d'une vie riche en bouleversements, qu'elle a traversée avec une force peu commune, et qu'elle évoque avec autant de franchise que d'élégance.

"C'était merveilleux, là-bas, vous savez. Ca ressemblait un peu à la Corse. La mer, la montagne, la chaleur des gens... Mais en 1957, tout a changé". Marie-Louise Mercier, Marie-Lou, comme tout le monde l'appelle ici, écarte les bras, l'air navré. "On n'avait pas le choix, vous savez. Si on voulait mettre les enfants à l'abri, il fallait quitter l'Algérie". 

Marie-Lou pose sa main sur notre bras. "j'avais 34 ans, à l'époque. Et déjà quatre enfants ! Mon mari était dans l'enseignement. Il était directeur d'école. On a chargé toutes nos affaires dans un bateau, et on est monté dans un avion. On a eu de la chance. Pour d'autres, ça a été beaucoup plus compliqué..." Marie-Lou marque une pause, perdue dans ses pensées. Elle prend le temps d'ajuster l'écharpe colorée qui glisse le long de sa robe à fleurs, avant de reprendre : "On a atterri à Bordeaux. Des chambres d'hôtel avaient été réservées pour nous dans un hôtel. L'Ours blanc, il s'appelait".

Mille vies

Une résidente de la résidence du Soleil s'excuse de nous interrompre, et se penche vers Marie-Lou pour l'embrasser, et lui souhaiter un joyeux anniversaire. "Cent ans, vous vous rendez compte ? Qui pourrait y croire ? Regardez ça comme elle est belle ! C'est une vedette, Marie-Lou, vous savez !" 

A travers la porte du petit salon où nous nous sommes réfugiés pour faire connaissance nous parviennent, étouffés, des bruits de chaises qu'on installe, et les notes d'un accordéon qu'on accorde. Dans quelques minutes, les Macchjaghjoli donneront un spectacle devant les résidentes et les résidents, pour célébrer la centenaire. 

Je n'ai jamais eu un caractère à me laisser dominer par les événements

Mais Marie-Lou, pour l'heure, est à des centaines de kilomètres de cela. Elle est de nouveau la jeune mère de famille qui, avec les siens, doit faire face à un brutal changement de vie, loin des environs d'Alger, où elle avait passé toute sa vie. "C'était différent, c'est vrai. Mais on s'est vite adaptés. Et puis je n'ai pas un caractère à me laisser dominer par les événements". En plongeant dans le regard vif et déterminée de la centenaire, on n'a pas de peine à la croire.

Mais Marie-Lou s'empresse de préciser : "pour d'autres, cela a été plus dur, je le sais bien. Il y en a qui pleurent encore. Mon père, il en est mort de chagrin. Il fumait la pipe à longueur de journée, assis à la fenêtre, en pensant à ce qu'il avait laissé là-bas"

La directrice de la résidence passe la tête par la porte entrebâillée, pour s'assurer que tout va bien. Et nous faire comprendre, délicatement, que tout est prêt à côté pour débuter les festivités. Mais la reine du bal est intarissable. "Ce qui m'a manqué, vous savez ce que c'est ? Le lien familial qu'il y avait là-bas, avec les amis, les gens autour de nous...." 

J'étais lycéenne à Alger quand mon lycée à été bombardé, lors du débarquement de 1942

Son visage ne s'illumine, au souvenir d'une anecdote : "un jour, deux Algériens sont venus taper à notre porte, à Lannemazan, où nous vivions. Vous connaissez, Lannemazan ? C'est entre Tarbes et Lourdes. Ils voulaient voir mon père, qui était mort. Ils nous avaient cherché partout, depuis des jours, dans la région, à la demande de leur père, qui leur avait demandé, sur son lit de mort, de venir rembourser la dette qu'il avait contractée auprès du mien. Mon père, qui était receveur des Postes, prêtait beaucoup d'argent à l'époque, pour aider les autochtones... Et ce monsieur avait monté une entreprise, grâce à ça, ce qui lui avait permis d'élever ses enfants, et de leur donner une situation".  

Marie-Lou marque une pause, avant de conclure, en hochant la tête : "il y a des gens honnêtes, vous savez..."

Inébranlable

Avant d'arriver en France, où elle s'est consacrée à élever ses quatre enfants, Marie-Lou a travaillé à la Poste en Algérie. Elle n'a guère eu le choix. C'est la guerre, une fois de plus, qui est venu mettre son grain de sel dans la vie de la jeune femme. "J'étais lycéenne à Alger quand mon lycée à été bombardé, lors du débarquement de 1942. J'étais interne, parce que le lycée était à plusieurs centaines de kilomètres de la maison familiale. J'ai dû retourner chez mes parents. C'en était fini de mes études. Alors mon père m'a conseillé de passer le concours des postes, pour avoir un métier, et j'ai été reçue"

Les premières notes de "Joyeux Anniversaire" nous parviennent du hall où va se tenir la fête, mais Marie-Lou, dont la mémoire est prodigieuse, n'en a pas fini avec ses souvenirs. Elle se rappelle avec un rire enfantin des farces qu'elle avait l'habitude de faire à l'époque. "Les téléphones portables, à l'époque, c'était de la science-fiction ! A la Poste, on avait l'appareil à manivelle, et les fiches, pour connecter un interlocuteur à un autre. Et quand quelqu'un m'appelait, pour le demander la mairie ou une administration, par exemple, je lui passais un café, ou un numéro au hasard ! Ca provoquait des tas de quiproquos, et moi, j'écoutais en riant !" 

Ici, tout le monde a une peine, un regret, une perte avec laquelle il doit vivre. Et on se soutient les uns les autres...

Marie-Lou ne tarit pas d'éloges sur l'ambiance à la résidence Saint André, qui lui a concocté une fête d'anniversaire spectaculaire. "Ils sont adorables, ici, vous savez".

Mais ce n'est pas facile, au jour le jour, pour cette femme qui a toujours été indépendante, et entourée des siens. "J'ai un caractère assez fort, mais il m'arrive, la nuit, de pleurer comme une madeleine. Je pense à mon fils, mon frère qui sont morts à cause du Covid, et que je n'ai pas pu aller voir... C'est une catastrophe, de voir un fils partir avant soi. Une catastrophe. Mais les autres résidents sont tellement gentils. Ici, tout le monde a une peine, un regret, une perte avec laquelle il doit vivre. Et on se soutient les uns les autres..."  

Indépendance

En 1992, quand son mari est décédé, Marie-Lou a quitté les Pyrénées pour Paris, afin de se rapprocher de ses enfants. Et elle y a vécu jusqu'en 2010, seule, dans un appartement du 13e arrondissement, près de Tolbiac. A près de 90 ans, elle faisait ses courses toute seule, dans le quartier, sans aucun problème. 

"Quand le mari de ma fille est mort, en 2010, nous avons décidé de vivre ensemble, dans la maison qu'elle possède à l'Ile Rousse, rue Notre Dame. On avait deux appartements côte à côte, et puis du jour au lendemain, ma fille m'a dit qu'elle avait besoin de vivre sa vie. Elle avait rencontré un monsieur à Saint-Jean de Luz, et elle craignait de me laisser seule à l'Ile Rousse. Je l'ai compris, elle a 70 ans, elle est bien, jolie fille, et je n'aurais jamais pu exiger qu'elle reste avec moi". 

Depuis, la résidence de Furiani est devenue sa maison, mais sa famille l'entoure, l'appelle tous les jours, lui rend visite aussi souvent que possible, malgré les longues distances. Ce matin, elle a reçu d'énormes bouquets de fleurs de ses petits enfants. 

Et demain, elle va mettre le cap vers l'Ile Rousse, où toutes les générations vont célébrer dignement les cents ans de la doyenne de la famille, qui se réjouit de retrouver ses proches.

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Marie-Lou Mercier fête ses cent ans. ©S;Bonifay

En attendant, Marie-Lou se lève, prend notre bras et se dirige d'un pas assuré vers la salle où l'attendent les autres pensionnaires, caméscope en main, et les musiciens des Macchjaghjoli. A entendre l'ovation qui lui est réservée à son arrivée, il ne fait guère de doute que la centenaire au caractère bien trempé, à la franchise rafraichissante et à l'énergie communicative a conquis une place à part dans le cœur des résidents et des employés de Saint-André.

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