Uniforme à l'école : en Corse, "c'est à celui qui arrive en Louis Vuitton, à celui qui a la nouvelle paire de Balenciaga..."

Une proposition de loi déposée par le Rassemblement national visant au port obligatoire de l'uniforme dans les écoles et collèges publics a été examinée ce jeudi 12 janvier au palais Bourbon. Un sujet régulièrement abordé dans le débat sociétal comme politique, avec parfois des positions très tranchées sur la question.

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La même chemise, la même jupe ou le même pantalon que tous ses camarades de classe ? Très peu pour Lelia, 15 ans. Lycéenne à Bastia, cette fashionista depuis le berceau voit dans sa penderie une véritable extension de sa personnalité.

Chaque soir avant de se coucher, l’assemblage de sa tenue du lendemain est un rituel bien huilé, presque thérapeutique, auquel elle n’entend pas renoncer. Alors passer à l’uniforme à l’école ? "C'est hors de question. On n'a déjà pas beaucoup l'occasion de s'exprimer sur les choses qui nous plaisent et qui nous concernent au collège et au lycée, alors si même le droit de s'habiller comme on veut, on nous l'enlève..."

Si même le droit de s'habiller comme on veut, on nous l'enlève...

Même réticence pour ses copines, qui se disent même prêtes à manifester pour leur liberté vestimentaire, si la situation venait à basculer du mauvais côté. "C'est une manière de nous démarquer, d'annoncer directement la couleur en quelque sorte, insiste Marie, élève de première. Juste en regardant comment quelqu'un s'habille, tu peux à peu près déterminer quels sont ses goûts, le genre de personnes avec qui il ou elle va traîner, ce qu'il écoute comme musique..."

Serpent de mer de la Ve République

Bien au-delà des salles de classe et des cours de récréation insulaires, la question du port de l'uniforme scolaire est un serpent de mer de la Ve République.

Ce jeudi 12 janvier, le sujet était à nouveau abordé à l'Assemblée nationale, avec l'examen d'un projet de loi pour son retour à l'école, porté par le Rassemblement national. Un texte rejeté par les députés. En décembre dernier, le parti avait déjà avancé la même proposition, sans convaincre là encore l'hémicycle. 

Mais au sein de la société, l'idée fait bien débat. Il y a bien sûr ceux qui se disent résolument contre, comme les lycéennes Lelia et Marie, qui crient à la négation de leur individualité.

Ceux qui y voient "du bon et du mauvais". "Il n'y aurait plus de crise le matin pour savoir comment les habiller, et plus de cohésion et d'esprit d'appartenance à un groupe, considère ainsi Mélanie, maman de deux petites filles de 8 et 6 ans, mais en même temps elles n'auront plus l'occasion de montrer leurs nouvelles robes ou tenues à leurs amies, et je sais qu'elles aiment beaucoup ça."

Aujourd'hui, vous regardez les enfants et adolescents, c'est à celui qui arrive en Louis Vuitton, à celui qui a la nouvelle paire de Balenciaga...

Et puis ceux qui s'en disent fervents partisans : c'est le cas de Stephan, père de deux garçons de 11 et 7 ans et d'une petite fille de 4 ans. "J'aime bien l'idée de l'uniforme. Je pense que ce serait une manière de réduire les disparités. Aujourd'hui, vous regardez les enfants et adolescents, c'est à celui qui arrive en Louis Vuitton, à celui qui a la nouvelle paire de Balenciaga... Au moins, avec un uniforme, ça permettrait de rééquilibrer les choses."

En Corse, "la course aux marques" dans les cours de récré

Une analyse partagée par Denis Luciani, président de l'Associu di i Parenti Corsi. Si l'APC n'a pas clairement tranché la question du pour ou contre l'uniforme, l'association regrette des "dérives" en Corse quant aux choix vestimentaires des écoliers, collégiens et lycéens.

"Il y a une course aux marques, à l'équipement, et c'est un problème qui est particulièrement prégnant sur l'île. Évidemment, cela met le point sur les inégalités, et cela entraîne un changement des valeurs."

Lui prend pour exemple son passage à l'armée. "Là-bas, tout le monde a le même uniforme, et cela donne forcément un côté égalitaire, dans lequel on se retrouve. Cet aspect-là n'existe plus de nos jours. Et cela peut créer des situations de discrimination, surtout maintenant que la situation économique devient de plus en plus précaire..."

L'appel à une réflexion globale sur l'exclusion scolaire

Le port de l'uniforme à l'école comme moyen de gommer les inégalités, certains restent peu convaincus.

"Qu'on acte un uniforme, d'accord. Mais dans quelles conditions ? Est-ce qu'on impose juste une couleur de blouse et de bas, et on laisse les parents le choix de l'acheter, au risque du coup de les voir prendre des tissus de très différentes qualités, ce qui annule tout son sens ? Ou est ce qu'on le fait fabriquer pour tous, mais avec un prix qui reste à débourser par des parents qui n'en auront pas forcément tous les moyens ?", s'interroge Paul, professeur d'histoire bastiais.

Des élèves, j'en ai vu passer. Les disparités économiques sont bien plus profondes que la simple tenue vestimentaire.

"J'enseigne depuis des années. Des élèves, j'en ai vu passer. Les disparités économiques sont bien plus profondes que la simple tenue vestimentaire. Pour parler simplement, quand vous venez d'une bonne famille, nouveau pull de marque à la mode ou pas, les autres le savent", reprend-il.

Avant de conclure : "Il y a sans doute une réflexion plus globale à faire, plus que l'uniforme, pour savoir comment assurer un meilleur système éducatif, qui n'exclurait aucun enfant ou adolescent.

Contacté sur le sujet, Laurent Marcangeli, député de la première circonscription de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons à l’Assemblée, s’est déclaré personnellement contre le port de l’uniforme à l’école. Jean-Félix Acquaviva, député de la seconde circonscription de Haute-Corse, n’a lui pas souhaité, ce jeudi 12 janvier, faire de commentaires. 

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