L'INP Toulouse est à nouveau au coeur d'une crise de gouvernance au sujet de l'arrivée d'une école Centrale. L'une de ses composantes, l'Enseeiht, continue de porter le projet, contre l'avis du conseil d'administration de son établissement de rattachement.
Y aura-t-il une école Centrale à Toulouse ? À l'heure de l'ouverture de la plateforme Parcoursup, la question pourrait intéresser les ingénieurs en devenir. Prestigieuse, la marque "Centrale" fait en effet partie du haut du panier des écoles du domaine.
Mais la discussion autour des conditions de cette arrivée, en négociation depuis plusieurs années, vire de nouveau à la crise de nerfs en ce mois de décembre 2024, après les résultats contradictoires d'une consultation des personnels. Car si l'affaire peut sembler au départ dédiée à l'attention des initiés des arcanes du monde universitaire, elle soulève de nombreuses questions fondamentales quant à la gestion et la gouvernance des établissements d'enseignement supérieur publics.
Oui mais non
Vu de loin, les choses paraissent pourtant simples. En 2021, la direction de l'Institut National Polytechnique de Toulouse (INP) propose de quitter le groupe INP national pour rejoindre le réseau des écoles Centrale. Au-delà d'un changement de marque, cette bascule implique également une adhésion à des valeurs différentes. Réputées plus généralistes, les formations de Centrale font craindre à une partie des enseignants une perte des spécialisations des diplômes alors délivrés par les différentes écoles internes de l'INP (génie mécanique, matériaux, agronomie...).
Lettre de cadrage du projet, consultation, vote en conseil d'administration pour l'étude d'une phase 2... les discussions suivent leurs cours jusqu'en mai 2023. Le conseil d'administration de l'INP, instance décisionnaire pour l'ensemble des composantes, vote alors pour l'abandon du projet, contre l'avis de sa présidente à l'origine des discussions.
Insatisfaite de cette décision issue des instances élues du CA de l'INP, l'une de ses écoles, l'Enseeiht (N7), décide de faire cavalier seule et fait voter par son conseil d'école, la transformation de "tout ou partie" de l'établissement en école Centrale. Vous suivez toujours ?
Démocratie universitaire
Si l'on osait tenter une analogie, c'est un peu comme si le conseil d'une mairie de quartier décidait seul de rejoindre la commune limitrophe avec une partie de ses moyens, contre l'avis du conseil municipal. "Dans cette histoire, ce qui est le plus choquant n'est pas la question de rejoindre Centrale mais la façon dont on essaie de contourner la démocratie universitaire par tous les moyens", tente ainsi de résumer Gishlaine Bertrand, professeure d'université, vice-présidente du CA de l'INP et opposée au projet Centrale.
Déjà vice-présidente élue lors de la précédente mandature, elle avait démissionné pour dénoncer "la méthode déployée pour ce projet qui n'avait pas d'ailleurs pas été un sujet lors des élections précédentes".
Suite au vote, la direction de N7 continue de travailler à son projet de transformation en Centrale et l'assume comme l'explique Jean-François Rouchon, le directeur de l'établissement : "Ce n'est pas une volonté d'autonomisation mais une opportunité pour grandir." Jusqu'à un coup d'arrêt en mai dernier après la remise des résultats d'une expertise pour "risque grave" au sein de Toulouse INP. Établi par un cabinet extérieur, le rapport pointe chez les personnels "une souffrance effective pouvant ouvrir à des passages à l'acte", en lien avec le projet de transformation.
C'est un choc dans les rangs des représentants du personnel qui demandent immédiatement la suspension du projet et déposent une alerte pour "danger grave et imminent". Dans la foulée, la présidence et le conseil d'administration de l'INP basculent vers une majorité opposée au projet Centrale. Un moratoire sur le rapprochement est décidé avec le rectorat qui entre dans la danse par l'intermédiaire du recteur délégué à l'enseignement supérieur, Khaled Bouabdallah.
Le rectorat, médiateur malmené
Se posant en médiateur, le représentant de l'Etat demande à N7 de prouver la faisabilité du projet à moyens constants, en divisant l'école en deux. Manière d'ouvrir une nouvelle fenêtre après avoir vu la porte plusieurs fois claquée sur la transformation. Sans surprise, les instances de l'INP jugent l'étude peu convaincante, notamment en raison d'un manque de visibilité sur le partage des disciplines entre l'INP-N7 et Centrale-N7. Un avis que ne partage pas les services de l'Etat qui jugent au contraire que "les conditions de la création et du fonctionnement d’une école Centrale […] semblent pouvoir être réunies".
Stupeur au conseil d'administration de l'INP qui tente alors de régler définitivement la question en organisant une consultation des personnels fonctionnaires de l'établissement sur l'opportunité de rejoindre Centrale. Mais les conditions de cette consultation ne conviennent pas à N7, les jugeant défavorables. Le recteur délégué propose alors de nouvelles conditions de consultation... rapidement adoptées par N7. Les deux votes sont menés en décembre et aboutissent bien sûr à des résultats contradictoires. "Étape clé dans la création d'une école Centrale Toulouse" se félicite la direction de N7, tandis que l'INP souligne "la volonté des titulaires de ne pas s'engager".
"Imposer la décroissance"
Au passage, la neutralité du recteur délégué est mise en doute par certains administrateurs de l'INP qui s'interrogent désormais à haute voix : "Mais comment le rectorat peut valider une telle démarche ? On est quoi nous au conseil d'administration ? Elles ont quel poids, nos décisions votées démocratiquement ?", s’étonne l'un d'entre eux.
Sollicité sur le sujet, Khaled Bouabdallah, le recteur délégué, se défend de toute prise de position : "La question que l'on doit traiter, c'est que nous avons une école en crise et des positions qui pour l'instant ne sont pas conciliables. Il y a bien sûr le fonctionnement théorique et statutaire mais également une réalité où des personnels continuent d'être en souffrance. Nous faisons donc tout ce que nous pouvons pour trouver une issue apaisée et que tout finisse bien".
Du côté de N7, on continue d'assumer la trajectoire et sa volonté de rejoindre Centrale : "un établissement avec des composantes, ce n'est pas un carcan ou une prison. Nous avons un degré d'autonomie régi par le code de l'Education. Et il ne faut pas oublier que derrière une institution, il y a des personnels qui souhaitent connaître leur avenir", explique Jean-François Rouchon, le directeur de N7
Jeudi 19 décembre, la tension est montée encore d'un cran après la prise de position du maire de Toulouse Jean Luc Moudenc, par ailleurs membre du CA de l'INP. Dans un texte publié sur Linkedin, l'élu regrette la situation en distribuant quelques tacles à la gouvernance de l'INP : "idéologie étriquée", "résistances sans vision", "petites manœuvres"... avant d'opposer "l'innovation contre ceux qui veulent imposer la décroissance".
Une manière de mettre la pression publiquement, quelques mois après avoir adressé un courrier à la ministre de l'enseignement supérieur de l'époque, Sylvie Retailleau. Dans la missive, Jean-Luc Moudenc regrettait la décision du CA de l'INP de rejeter le projet de transformation en Centrale. Dans sa réponse, la ministre avait rappelé que le préalable a cette transformation était l'acceptation du projet par les organes délibérant de l'INP, "dans le respect de l'autonomie des établissements".
"Personne ne dit: "je rêve de rentrer à l'INP" "
Alors pourquoi une telle insistance envers et contre des décisions prises dans le respect des statuts de l'INP. Agnès Plagneaux-Bertrand, adjointe à la mairie de Toulouse en charge des relations avec les acteurs économiques assume : "Malgré toutes les qualités de l'INP, que ce soit en termes de formation et de recherche, la marque n'évoque pas grand-chose. Personne ne dit, "Je rêve de rentrer à l'INP'". Ce qui n'est pas le cas de Centrale, qui est une marque qui pèse énormément."
Reste que si l'on peut comprendre les arguments visant à augmenter le prestige de la place toulousaine dans le secteur universitaire, on peut s'interroger jusqu'à quel point peut-on contourner des décisions d'instances justement prévues pour ça depuis la loi Pécresse sur l'autonomie des universités.
D'autant qu'une manœuvre de cet ordre et son possible succès pourraient donner à d'autres composantes universitaires, l'envie d'aller voir ailleurs et de complexifier, si c'était encore possible, la compréhension des instances de gouvernance du monde universitaire toulousain.