Crise à Polytechnique Toulouse : "Une transformation extrêmement dangereuse", l'ancien président de l'INP dénonce une attaque de l'autonomie des universités

L'Institut National Polytechnique (INP) de Toulouse est le théâtre d'une vive tension alors qu'une partie de l'ENSEEIHT exprime sa volonté de devenir autonome. Olivier Simonin, ancien président de l'INP, expose les raisons de son opposition à cette scission, pointant du doigt les méthodes employées et les conséquences potentielles sur le paysage universitaire local et national.

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La crise au sein de l’université Paris-Saclay, placée sous administration provisoire le 1er mars 2024 en raison de tensions internes et de divergences sur le modèle de gestion, est le dernier soubresaut d’une profonde crise touchant l’enseignement supérieur public. Toulouse (Haute-Garonne) n’est pas épargnée. Il y a 18 mois, l’Institut national de Polytechnique de Toulouse n’a pas cédé aux sirènes pour se transformer en École Centrale. Le projet n’est pourtant pas abandonné. L’une de ses composantes, l’École Nationale Supérieure d'électrotechnique, d'électronique, d'informatique, d'hydraulique et des télécommunications (ENSEEIHT) s’est portée candidate. Mais face à un nouveau refus du conseil d’administration de l’INP, l’ENSEEIHT veut désormais se dissocier de Polytechnique pour acquérir une personnalité morale et juridique indépendante. Une situation dénoncée par Olivier Simonin. L’ancien président de l’INP de 2012 à 2020 veut alerter sur les conséquences de cette évolution.

France 3 Occitanie : pourquoi vous opposez-vous à cette volonté de l’ENSEEIHT de devenir une École Centrale en devenant autonome ?

Olivier Simonin : l'INP est un établissement. Nous ne sommes pas des écoles les unes à côté des autres. Comme nous avons un statut d'université, nous avons un destin commun. Par exemple, le personnel n’est pas celui de l’ENSEEIHT, mais celui de l'INP. Tout d’un coup, nous nous retrouvons avec une école de l’INP qui décide de sortir de cet établissement, sans l'accord du conseil d'administration. Cette situation est assez fascinante. En raison de la loi LRU (libertés et responsabilités des universités) concernant l'autonomie des établissements, cela ne peut pas fonctionner de cette façon. Encore récemment, il y a eu le choix de créer une université technologique à Tarbes (Hautes-Pyrénées). Cela n’a pu se faire qu’avec l’accord du conseil d'administration de l'Université Paul Sabatier. Il y a donc une méthode de la part de l’ENSEEIHT qui nous surprend énormément. Le ministère de l’Enseignement supérieur pourrait décider de lui-même, manu militari, de sortir cette école de l'INP dans un périmètre qui, aujourd'hui, n'est pas défini, qui n'est pas clair. C’est d’autant plus problématique que les récentes consultations montrent que c’est une minorité du personnel qui veut que ce projet se fasse. Il y a un problème de respect des institutions et des personnels.

Cette solution, je pense, est extrêmement dangereuse pour le site de Toulouse. Car l'idée, aujourd’hui, serait de sortir l’ENSEEIHT et de l’associer à l’université Paul Sabatier et de créer un EPE, un établissement expérimental. Une telle option serait catastrophique. Alors qu’à Toulouse, nous avons toujours travaillé pour le projet de site sur la base du consensus, sur des projets construits collectivement entre les établissements, Paul Sabatier servirait de caution à une transformation, à un démembrement d'un autre établissement, contre son gré. Et j'espère que nos collègues des universités ne vont pas le laisser faire et ne vont pas l'accepter. Cela provoquerait par ailleurs un précédent au niveau national : cela signifierait que le ministère peut s'ingérer dans les stratégies et dans la vie des établissements. D'un point de vue purement pratique, je pense que ça n'a pas de sens. Aujourd'hui, l'enjeu de l'université de Toulouse, c'est de faire travailler ensemble le domaine des sciences et technologies, le domaine des sciences humaines et sociales, le domaine du droit. Ce n'est pas de fusionner une partie d'une école d'ingénieurs au sein de l’EPE de l’Université Paul Sabatier. D'autant plus qu'il n'y aura pas de plus-value. Cela remet en cause tout le travail de regroupement entrepris récemment, fait pour définir une stratégie globale et rayonner vers l'international et notamment dans les classements internationaux. Cette transformation institutionnelle est extrêmement dangereuse parce qu'elle crée un précédent national, qui est inacceptable au sujet du respect des universités. Elle démembre un établissement, l'INP, qui était un établissement qui fonctionnait bien. Ce n’est absolument pas un établissement à la dérive. C'est un établissement qui fonctionne bien, avec des écoles qui avaient appris à travailler ensemble et qui développaient cette collaboration et qui étaient très engagées dans la politique de site. Donc, en fait, on est en train de casser.

France 3 Occitanie : comment expliquez-vous ce passage en force ?

Olivier Simonin : nous avons en face de nous des personnes qui sont obstinées et qui, en fait, ne veulent pas se rendre compte que le projet qu'ils avaient, qui avait certaines qualités, n'est pas porté par l'établissement. Nous sommes dans un système universitaire qui est régi par certaines règles de démocratie. Nous avons un conseil d'administration avec des élus, des personnels et des personnalités extérieures. C'est ce conseil d’administration qui doit décider de l'avenir de l'établissement. Mme Catherine Xuereb, la présidente en fin de mandat de l'INP de Toulouse et M. Jean-François Rouchon, directeur de l’ENSEEIHT, qui est également en fin de mandat de son école, veulent la réalisation de ce projet à tout prix. Ils ont engagé de façon irréversible ce processus avant que leur mandat ne se termine, dans une forme de précipitation et de la pression de leur part sur les personnels. Une telle stratégie est encore plus inacceptable. Nous allons ouvrir la campagne électorale pour le remplacement de la présidente de l'INP dans quelques semaines, puisque le changement de gouvernance se fera au 1er juillet ou au 2 juillet. La campagne électorale est sur le point de démarrer. Ces sujets seront débattus. Ils veulent donc à tout prix que cette scission soit opérée avant les élections, de peur que la future gouvernance de l'INP, et plus tard de l’ENSEEIHT, ne veuille pas poursuivre leur projet.

France 3 Occitanie : Comment comptez-vous faire pour vous opposer à ce projet  ?

Olivier Simonin : la première est d'alerter tout autour de nous pour essayer de faire comprendre en quoi ce projet ne respecte pas les personnels et les institutions, et qu'en plus, s’il était mis en œuvre, il poserait un vrai problème, même au niveau national, c'est-à-dire aux autres établissements. Il nous faut alerter les médias, nos partenaires locaux, nos tutelles, la région et tous les autres, qui ont un rôle à jouer. Mais aussi le ministère, en leur soulignant le danger qu’il fait courir à l'INP et au site, dans une période où l’université de Paris Saclay et celle de Lyon sont dans des situations compliquées. Il n’est pas nécessaire de générer d'autres problèmes. Il nous faut aussi travailler avec nos partenaires du site de Toulouse. Il faut que, notamment l'Université Paul-Sabatier, qu’ils comprennent que cette histoire est un piège. Enfin, et c’est fondamental, il nous faut préparer l'avenir. Préparer l'avenir de notre établissement. Il nous faut nous préparer aux prochaines élections, construire des listes électorales avec des gens qui sont prêts à s'engager, construire un projet positif pour que les gens aient envie de se rassembler autour de quelque chose dont ils ont envie. Ils ont souffert.

Cela fait 9 mois qu'ils sont dans une situation de souffrance, avec ces projets qui reviennent en permanence. Ce sont encore aujourd'hui ces pressions qu’ils sont obligés de subir pour rejoindre ce projet et quitter l'INP. Il faut qu'on montre que l'INP, moi, j'en suis convaincu, a un avenir, que c'est un bel établissement, qu'il a sa place sur le site, qu'il sait travailler avec les autres établissements, qu'il sait s'engager dans la politique, dans la stratégie collective. La force de l'INP, avec les différentes écoles d'ingénieurs qui sont sur des thématiques très variées, depuis l'agronomie jusqu'à l'électronique, en passant par le numérique, c'est sa pluridisciplinarité. Nous avons besoin de cette pluridisciplinarité pour répondre aux enjeux complexes auxquels sont confrontés les nouveaux ingénieurs, avec les questions du dérèglement climatique, avec les questions de la réindustrialisation française. Donc, il nous faut à la fois empêcher ce projet d'avancer, qu’il tombe, et puis surtout donner à nos collègues de l'INP un projet, une perspective, quelque chose qui leur donne envie de continuer et de se réimpliquer dans l'établissement.

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