Procès de l’assassinat de Lucien Ansidei : « Vous imaginez vraiment que si je devais assassiner quelqu’un, j’irais avant arroser des plants de cannabis avec des toxicomanes ? »

Le procès de Christophe Pruneta s’est ouvert vendredi dernier devant les assises de Bastia. Il est accusé d’avoir assassiné Lucien Ansidei, conseiller municipal de Cagnano, alors qu’il était en cavale et habitait au-dessus de chez lui. Christophe Pruneta et l'homme qu'il désigne comme le tireur ont été invités à donner leur version des faits, ce mercredi 29 novembre.

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Son témoignage était attendu depuis le premier jour du procès. Luigi Bestetti a déroulé, ce mercredi matin, sa version des faits face à la cour d’assises de Bastia. De nationalité italienne, l’homme est incarcéré à Rome pour son implication dans des braquages à main armée en Italie. C’est donc par le biais de la visioconférence, et avec l’appui de traducteurs, qu’il est revenu sur cette affaire.

S’il se présente comme affaibli par la maladie, Luigi Bestetti, 77 ans, n’a pourtant pas manqué ni d’attention ni d’énergie pour se défendre dans cette affaire, dans laquelle il assure n’avoir joué aucun rôle. Recherché par les autorités italiennes, Luigi Bestetti est arrivé en 2008 en Corse, et travaillait avec un nom d’emprunt, jusqu’en 2018, en tant que pizzaïolo dans un établissement de Porticcio.

"C’était quelqu’un qui n’avait pas toute sa tête, qui n’était pas normal"

Le 18 juillet 2018, il est interpellé par les forces de l’ordre dans le cadre du mandat de recherche déployé à son encontre, puis placé au centre pénitentiaire de Borgo. C’est là, selon ses dires, qu’il fait la connaissance de Christophe Pruneta, surnommé "Tito", et également devenu quelques mois après lui pensionnaire de la prison.

Les deux hommes évoluent dans la même unité de vie du centre pénitentiaire, jouent parfois ensemble aux cartes, où se retrouvent pour faire la cuisine. Ils discutent aussi, développe Luigi Bestetti. Un peu, mais pas trop : "J’avais déjà mes problèmes, je ne pouvais pas m’occuper des siens. Et Tito, c’était quelqu’un qui n’avait pas toute sa tête, qui n’était pas normal".

"J’ai eu une réaction énervée, parce que je me suis dit : "Ce type-là, il a commis un truc et il m’accuse"."

Christophe Pruneta lui raconte néanmoins, assure Luigi Bestetti, la nuit du 3 février 2017, et l’assassinat de Lucien Ansidei. Le 10 avril 2019, l’Italien est placé en garde à vue dans le cadre de cette affaire, sur la base de nouvelles déclarations de Christophe Pruneta, qui le désigne comme le tireur.

À ce moment-là, se souvient Luigi Bestetti, "j’ai eu une réaction énervée, parce que je me suis dit : "Ce type-là, il a commis un truc et il m’accuse". D’ailleurs, la chose un peu drôle, c’est que quand je suis arrivé en prison, les gardiens, au lieu de l’isoler lui, m’ont isolé moi, parce qu’ils craignaient que je lui casse la tête."

"Vous dites alors aux gendarmes que, comme on dit en France, on veut vous faire porter le chapeau", relève le président de cour, Michel Bonifassi, sur le compte-rendu des auditions. "C’est vrai", confirme le témoin.

La volte-face et l’auto-implication du témoin

Mais quelque temps après, lors d'une nouvelle audition, Luigi Bestetti change du tout au tout sa version. Cette fois, il s’accuse d’être le tueur de Lucien Ansidei. Devant les enquêteurs, il raconte ainsi, rappelle le président, que le conflit serait né d’une histoire d’argent que la victime traînait à lui rembourser.

"Vous leur dites qu’il vous devait de l’argent, et qu'il avait reporté à plusieurs reprises le moment de vous le donner", note Michel Bonifassi. Des rencontres au cours desquelles se trouvait parfois également Christophe Pruneta.

Après quatre mois de réclamations de voir son prêt remboursé, Lucien Ansidei lui aurait fixé un nouveau rendez-vous pour s'acquitter de sa dette. La date : le soir du 3 février 2017, au domicile de Cagnano de la victime.

"Vous avez sonné, et vous avez vu dans l’entrebâillement de la porte un fusil, et que c’est à ce moment-là que vous avez tiré."

Luigi Bestetti aurait fait le déplacement. En arrivant, "vous dites que vous avez vu Christophe Pruneta et Lucien Ansidei, et que vous avez eu un mauvais pressentiment, retrace le président. Vous avez sonné, et vous avez vu dans l’entrebâillement de la porte un fusil, et que c’est à ce moment-là que vous avez tiré." Toujours selon le procès-verbal de cette audition, Luigi Bestetti se serait alors tourné vers Christophe Pruneta, qui avait un pistolet dans la main, mais l'accusé se serait enfui.

Puis l’Italien serait entré dans la cuisine de l’habitation, où se trouvait la victime allongée, lui aurait dit : "C’est comme ça que tu veux me rendre l’argent, charogne", et aurait eu la confirmation que Lucien Ansidei avait eu le projet de le tuer. Suite à quoi Luigi Bestetti serait rentré chez lui.

La lettre de menace

Une seconde version des faits que Luigi Bestetti finit rapidement par démentir. Tout était faux, affirme-t-il cette fois aux enquêteurs. Il n’a jamais connu Lucien Ansidei, et n'a rencontré Christophe Pruneta que plus d'un an après l’assassinat du premier. Plus encore, il ne s’est jamais rendu à Cagnano, village dont il n’avait d'ailleurs jamais entendu parler.

La raison qui l'aurait amené à s'incriminer : une lettre de menace qu’il indique avoir reçue, et dont il identifie l’auteur comme étant Christophe Pruneta. Un courrier relativement court, où trois munitions semblent avoir été dessinées, et l’encourageant à s’impliquer dans cette affaire, faute de quoi sa femme et son enfant pourraient "avoir des problèmes", se défend le témoin face à la cour.

C’est après s’être finalement renseigné sur Christophe Pruneta, et avoir déterminé qu’il s’agissait "d’un loup solitaire", que "je ne me suis plus trop fait de souci, et que je me suis dit qu’il ne va pas me faire croire ce qu’ils voudraient que les autres croient." Luigi Bestetti écrit alors une lettre au juge d’instruction, où il explique revenir sur ses propos, et lui transmet la lettre de menace en question.

"Je ne me suis plus trop fait de souci, et que je me suis dit qu’il ne va pas me faire croire ce qu’ils voudraient que les autres croient."

Depuis, Luigi Bestetti, malgré les accusations répétées de Christophe Pruneta, n’a pas changé de version. Ce mercredi, il reste ferme sur le sujet : il n’a rien à voir avec cet assassinat.

Le témoin dispose en parallèle d’un alibi solide : selon ses employeurs, interrogés au cours des investigations, il travaillait bien, le soir du 3 février, dans leur restaurant de Porticcio. Le service du soir s’étale typiquement de 18h à 23h, et empêche donc a priori l’homme de se rendre dans les temps à l’appartement de Lucien Ansidei de Cagnano, à 3h de route environ.

"Je l'aurais tué parce qu'il m'a mis dehors ?"

Invité à réagir aux propos de Bestetti, et plus largement à détailler sa version des faits, Christophe Pruneta persiste : "Jean-Luc [le surnom de Lucien Ansidei, ndlr], c’est mon ami d’enfance. Je l’aurais tué parce qu’il m’a mis dehors ? Vous imaginez comme c’est grave, Monsieur le président ?" Et puis dans tous les cas, lance-t-il, "vous imaginez vraiment qu’avec le pedigree que j’ai, si je devais assassiner quelqu’un, j’irais avant ça arroser des plants de cannabis avec trois ou quatre toxicomanes ?"

Depuis l’ouverture du procès, l’accusé n’a jamais fait acte de timidité quand il s’agit de prendre la parole pour donner son opinion et sa version des faits – parfois sur invitation du président de la cour, et parfois de son propre chef, ce qui lui a valu plusieurs rappels à l’ordre -.

Une attitude qu’il a maintenue, ce mercredi, se permettant même quelques fois de couper la parole au président, ou de demander l’examen d’une pièce ou d’une audition avant une autre.

Selon l’accusé, sa première rencontre avec Luigi Bestetti ne remonte pas au début d’année de 2019, au centre pénitentiaire de Borgo, mais quatre à cinq ans plus tôt, par le biais d’un ami, à Ajaccio.

Dans ses premières auditions par les enquêteurs sur l’assassinat de Lucien Ansidei, le 12 février 2017, Christophe Pruneta n’avait pas fait état de ce troisième homme, qu’il désignera par la suite comme le tireur. Ce n’est qu’à partir de mars 2018 qu’il fera mention pour la première fois d’un Italien en cavale, recherché pour des affaires importantes, et à qui Lucien Ansidei devait selon lui de l’argent.

"Comment je peux parler de lui, alors ? Soit, je le connaissais, soit j’ai une boule de cristal, ou je suis devin"

"À ce moment-là, je suis en quartier d’isolation, je ne vois personne", et Luigi Bestetti n’a pas encore été interpellé par les forces de l’ordre et placé au centre pénitentiaire de Borgo. "Comment je peux parler de lui, alors ? Soit, je le connaissais, soit j’ai une boule de cristal, ou je suis devin", ironise-t-il.

À cette époque, l’accusé ne nomme pas Luigi Bestetti, mais parle plutôt d’un certain "Tony". "C’est le nom qu’il m’avait donné quand on s’est présentés", assure-t-il.

Plusieurs fois, Christophe Pruneta insiste pour que la vidéo de la confrontation filmée qui s’est tenue, en 2019, entre Luigi Bestetti et lui-même – durant laquelle le premier s’incrimine notamment dans cette affaire - soit visionnée, plutôt qu’une lecture de sa retranscription. "Ce n’est pas vous qui dirigez l’audience", le reprend fermement le président.

Michel Bonifassi accède finalement à sa demande, autorisant la diffusion de l'enregistrement d'une trentaine de minutes, qui confirme la retranscription écrite, et la déclaration (temporaire) de culpabilité de Luigi Bestetti.

Un dossier "monté à charge"

Christophe Pruneta n’en démord pas : dans cette affaire, plutôt qu’être coupable, il est la victime d’une instruction à charge, d’investigations qui n’ont été menées qu’en vue de lui faire assumer la responsabilité du crime.

"La lettre de menace, on ne l’a pas investigué. L’ADN, on a pris que le mien, on n’a pas pris celui de Monsieur Bestetti, alors que des ADN inconnus ont été relevés dans l’enquête" dans l’habitation qu’il occupait à Cagnano, soulève-t-il. "Si vous aviez fait des investigations, vous auriez vu que toutes mes versions depuis le début concordent."

"Un prélèvement salivaire a bien été effectué sur Monsieur Bestetti", fait en réponse remarquer Me Laurence Gaertner De Rocca Serra, une des avocates de la partie civile.

Les plaidoiries de la partie civile

La journée s’est conclue avec les plaidoiries des avocates des parties civiles. Première à se lancer, Me Linda Piperi, qui représente les enfants de Lucien Ansidei. Dans cette affaire, "toutes les investigations nous mènent à un seul à un seul homme : Christophe Pruneta", lance-t-elle. L’accusé, reprend l’avocate, "n’est pas l’homme sacrifié de ce dossier, mais simplement celui qui a un mobile et qui était présent ce soir-là. Il n’est pas le coupable idéal. Il est le coupable."

Rappelant le discours "fluctuant" de Christophe Pruneta, tout au long du procès, Me Linda Piperi a encouragé les jurés à délivrer une peine à même "d’apaiser la douleur" des enfants de la victime.

Me Claudine Carrega, conseil de la compagne de la victime, qui était présente le soir de son décès, est revenue sur le récit de sa cliente, qui a parlé du regard "glaçant, jouissif" du tireur. "Un regard jouissif, c’est quelqu’un qui est content de ce qu’il vient de faire", note-t-elle.

Après la fuite du tireur, "Monsieur Ansidei est mort dans les bras de ma cliente, souligne l’avocate. Elle était anéantie. Et surtout, elle a cru qu’elle allait mourir, qu’elle n’allait pas sortir vivante de cette maison. […] Aujourd’hui, elle a refait sa vie, mais a toujours ce vide, ce manque de Monsieur Ansidei. […] Ce drame fera toujours partie d’elle. Elle va vivre avec, avec l’impression que finalement, le temps s’est arrêté le 3 février 2017."

Me Claudine Carrega termine : "Monsieur Pruneta encourt pour cet assassinat la réclusion criminelle à perpétuité. La peine de ma cliente est éternelle. Je vous demande de ne pas l’oublier."

"Christophe Pruneta n’est pas l’homme sacrifié de ce dossier, mais simplement celui qui a un mobile et qui était présent ce soir-là. Il n’est pas le coupable idéal. Il est le coupable."

Me Laurence Gaertner De Rocca Serra, qui représente une partie de la famille de Lucien Ansidei, note une absence de "compassion" de l’accusé, constatant que "Monsieur Pruneta se déclare totalement innocent des faits qui lui sont reprochés, mais il aurait pu avoir un mot pour son ami qu’il a laissé dans son sang, ce soir-là. Non, pas un mot pour son ami, qui était probablement le seul à avoir sur lui un regard sans doute plus bienveillant que les autres."

La version présentée par l'accusé de Bestetti comme étant le tueur n'est pas cohérente et n'est tout simplement pas possible, insiste l'avocate, qui l'affirme aux jurés : "Vous ne serez pas dupes."

Dernier conseil des parties civiles à plaider devant la cour, Me Aurélia Dominici-Campagna, conseil, notamment, de la mère, du frère et de la tante de Lucien Ansidei, glisse en conclusion aux jurés que la position des parties civiles, aujourd'hui, "ça pourrait aussi être la vôtre. Cela pourrait être celle de n'importe qui". Des parties civiles qui "n'ont pas eu la chance d'avoir des aveux, des condoléances."

"C'est vous, la justice, lance l'avocate aux jurés. C'est vous qui allez déterminer si ces personnes sur ce banc [des parties civiles, ndlr] sont aussi des victimes."

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