L'entraîneur a pris les rênes des bleus en octobre 2019. Et depuis son arrivée, il accumule les victoires, jusqu'à caracoler en tête du championnat de National. Dans des stades vides. Nous l'avons rencontré pour savoir comment il vit cette situation inédite.
Mathieu Chabert aime le football. Aucun doute. Mais être fan, ce n'est pas le genre de la maison. Si vous vous aventurez à l'interroger sur ses goûts en la matière, ne vous attendez pas à des envolées lyriques, des tremolos dans la voix.
Sur les murs de sa chambre d'enfant, à Béziers, pas de posters de Van Basten, de Chilavert ou de Jean-Pierre Papin. Quand il enfilait sa tenue de gardien de but, aucune idole en tête. Depuis tout petit, l'Héraultais aime le foot pour le foot. Pas pour ses stars. Aujourd'hui encore, lorsqu'on insiste, Mathieu Chabert concède, du bout des lèvres, préférer Ronaldo à Messi, sans grande conviction.
Il n'est pas du genre à guetter chaque match d'un joueur, ni même d'une équipe. "Je ne suis supporter d'aucun club. Hormis de celui que j'entraîne. Je suis supporter du Sporting". Le coach bastiais a une mission. Ramener le SCB sur les sommets du football français. Et rien ne le fera dévier du chemin qu'il s'est tracé. Retrouver le monde professionnel avec les Bleus.
Pour Mathieu Chabert, il est encore trop tôt pour évoquer, officiellement, la montée qui se dessine. Mais il a accepté de répondre à nos questions.
Quelle a été votre réaction, quand vous avez compris que vous alliez jouer à huis-clos ?
Au début, ça fait drôle... On savait très bien que ça nous handicaperait plus que tous les autres clubs. Et lors des premiers matchs ça a été compliqué. Et puis on s'habitue à tout, même au pire, et on est en train de prendre nos marques, d'apprendre à jouer dans ces conditions. C'est devenu notre quotidien. Mais ça n'empêche pas d'être impatient de retrouver le public. Mais on est payés pour jouer au football. Alors on se doit de le faire dans les conditions qu'on nous impose, et du mieux possible.
Sans les supporters, j'ai l'impression de manger mon pain noir.
C'est plus dur de gagner à Furiani, sans les tribunes ?
Si le public avait été là, au cours des derniers mois, on aurait engrangé deux ou trois points de plus à domicile. Je pense par exemple au match de Saint-Brieuc, où on termine à 0-0. Et au match contre Villefranche-Beaujolais (1-1). L'arbitre ne siffle pas le penalty sur Schur. Mais si vous avez 10.000 personnes qui crient au moment de la faute, ça peut faire basculer la décision. J'espère que ces points en moins, on ne les regrettera pas au moment des comptes, à la fin de la saison.
L'avantage, c'est que les observateurs ne peuvent plus attribuer les victoires à domicile au fameux "contexte de Furiani"...
Ouais, c'est sûr ! C'est vrai que ça met en avant le travail de l'équipe, du staff. Il n'empêche que je préférerais gagner sur terrain, mais l'avoir quand même derrière nous, ce douzième homme.
Est-ce que cet isolement contraint n'a pas permis de souder le groupe ?
Je pense que ça l'a solidifié. On se dit qu'on ne peut pas faire autrement, qu'on ne peut compter que sur nous. Alors ça créé des liens plus forts, une solidarité supplémentaire.
10.000 personnes qui sifflent au moment de la faute, ça peut faire basculer une décision arbitrale.
En un mot, décrivez votre expérience au Sporting jusqu'à aujourd'hui.
Adaptation. Je pense que c'est ce qui résume le mieux des derniers mois. Je me suis bien adapté au Sporting, à la Corse. Je l'avais dit quand je suis arrivé, je pense que j'avais des dispositions, au vu de mon caractère, pour entraîner un club comme le SCB. Et aujourd'hui, même s'il y a des choses à améliorer, on ne peut pas dire le contraire. Ce club me convient, et je conviens au club.
Avec le huis-clos, votre relation avec les supporters s'est arrêtée aux préliminaires. C'est frustrant ?
Ben oui, oui, évidemment. Depuis que je suis arrivé je n'ai pas de public, hormis quelques matchs en début de saison. Avec le parcours qu'on fait... Le maximum, ça a été 6.000 contre Boulogne. Aujourd'hui, on aurait beaucoup plus de monde, je pense. On fait ce métier pour vivre ces émotions-là, et on en est privés. Nous restent les émotions que le jeu procure, mais la communion avec le public, on en l'a plus. Et c'est une des principales raisons pour lesquelles on fait ce métier-là. Bref, j'ai l'impression de manger mon pain noir. Et puis bien...
Les gens vous parlent du Sporting, dans la rue ?
Ca arrive tout le temps. On m'apostrophe, et c'est très positif. Les gens qui disent que ça les dérange, ce sont des menteurs.
En quoi les joueurs corses sont différents de ceux du continent ?
L'amour du maillot. J'ai des joueurs qui jouent pour le maillot. Et sur le continent ça n'existe plus. Il n'y a pas cette culture, cette histoire que véhicule le Sporting. Mes causeries motivationnelles, elles sont légères. Ils n'en ont pas besoin. Ce sont des joueurs qui se battent pour le maillot et qui font passer l'intérêt collectif avant l'intérêt individuel.
Sur le continent, l'amour du maillot, ça n'existe plus.
Ca rejaillit sur les joueurs venus d'ailleurs ?
Oui. Et c'est le club qui fait ça. Enfiler le maillot, ici, c'est porter une responsabilité. C'est le club de la Corse. Les joueurs insulaires n'ont même pas besoin de le dire à ceux qui arrivent. Mais bon, ça dépend de qui vous recrutez. Il faut faire signer des joueurs qui ont cette fibre-là en eux.
Vous la voyez comment, la fin de saison ?
L'an dernier, l'ambition affichée était de monter en National. Cette année... Si vous m'aviez dit en début de saison qu'on en serait là... On joue pour gagner tous les matchs qui nous restent, on travaille dans ce sens-là. Je suis ambitieux, mais je suis agréablement surpris par la place que l'on occupe [Le SCB est premier de National avec 46 points - NDLR]. Mais cette place, on ne l'a volé à personne. On fera les comptes à la fin du championnat. Mais plus largement, quand vous êtes dans un club comme celui-ci, qui est dans une phase de reconstruction, vous avez envie de participer à son retour au sommet. C'est normal.
Le Sporting, de l'intérieur, est conforme à l'image que vous vous étiez faite du club ?
Je connaissais la réputation, mais je ne suis pas quelqu'un qui se fait un avis avant de juger sur pièces. Et ça vaut pour le SCB comme pour la Corse. Porter les couleurs du Sporting, ça permet de découvrir une autre réalité, différente de celle que l'on présente parfois dans les médias. Les choses sont bien plus compliquées que ce qu'on veut bien nous dire. Le racisme anti-corse, par exemple, ils en parlent peu, mais je peux en témoigner. Je ne suis pas Corse, mais en tant qu'entraîneur, je l'ai vécu. Si nous, délégation du Sporting, on disait le quart de ce que l'on entend quand on se déplace, on serait tous en prison.
Bref, rien n'est blanc ou noir. Pour avoir un avis sur la Corse, il faut venir, découvrir, s'adapter, et apprendre comment ça fonctionne. Et tous les gens que j'ai rencontrés sont adorables, plus que sur le continent. Pour tout dire, mon futur, après ma carrière, je le vois ici. Et ça en dit long.
Les bons résultats, ça doit aussi un peu faciliter l'intégration...
Ca aide beaucoup. Aucun doute !