Depuis le 2 mai dernier, les auto-écoles de Corse doivent utiliser la plateforme de réservation nominative RDV Permis pour inscrire leurs candidats à l'examen pratique du permis de conduire. Si ce nouveau système est gratuit et vise à optimiser les places d'examen et réguler la demande, il est aussi synonyme de compétition entre les auto-écoles.
C'est un peu comme la prise de rendez-vous en ligne sur Doctolib... Mais pour le permis de conduire. Depuis quelques jours, les établissements de conduite corses doivent utiliser la plateforme RDV Permis pour inscrire leurs candidats à l'examen pratique du permis de conduire. Selon le site internet de la Sécurité routière, "RdvPermis est un système de réservation nominative des places à destination des candidats qui en font la demande par voie électronique, soit par le biais de leur auto-école, soit via leur propre compte sur le site de réservation." Concrètement, deux fois par mois sur un créneau horaire précis, les auto-écoles de l'île se connectent sur la plate-forme, où les Bureaux éducation routière - les répartiteurs - affichent les places d'examen disponibles pour plusieurs semaines. Les auto-écoles choisissent alors un créneau pour chaque candidat qu'ils veulent présenter. Les candidats libres peuvent s'inscrire eux-mêmes. Le nombre de places d'examen est rattaché aux nombres d'heures déclarées des formateurs.
Gérée par la Délégation à la Sécurité Routière (DSR), la plate-forme a été déployée progressivement sur le territoire depuis 2020. En Corse, elle est disponible depuis fin avril, mais est en vigueur depuis le 2 mai.
Sur le papier, rien à redire à priori. La plate-forme est gratuite (contrairement à l'ancien système d'inscription des candidats), et selon Sandrine Guadagnini, directrice pédagogique des établissements de conduite Chrono2B à Bastia et Borgo, elle permet "d'optimiser, rationnaliser les places d'examen et les plannings des inspecteurs manquants sur les départements." "Le fait d'avoir mis en place cette plateforme permet de ne pas faire du "remplissage" désordonné comme c'était le cas à l'époque (avec l'ancien système ndlr)", reconnaît la gérante. Pourtant, elle soulève aussi des points de difficulté.
Les auto-écoles en "compétition" pour les créneaux d'examen
En premier lieu, "ça favorise un la compétition entre auto-écoles" avoue-t-elle. " C'est le premier qui arrive qui se sert, au détriment peut-être d'un établissement de conduite." D'autant plus que les établissements n'ont que quelques minutes seulement pour inscrire leurs candidats, et qu'il n'est pas toujours possible d'inscrire tous ses élèves sur des créneaux rapprochés dans le temps. Résultat, sur le terrain, l'organisation est d'autant plus complexe."Le temps de voir les semaines défiler, de voir quel est l'inspecteur disponible à ce moment-là, d'autres auto-écoles prennent des places, développe Sandrine Guadagnini. Moi j'ai eu le cas de figure où je me suis retrouvée mercredi 3 mai pour un candidat à 10h30. Et en réalité je me suis aperçue que j'étais au milieu d'un examen pris par une autre auto-école. L'inspecteur a du aller à l'examen à 8h avec une auto-école. J'avais une place à 10h30, il a quitté le véhicule de l'auto-école pour venir dans le mien pour examiner mon candidat, et ensuite il est reparti avec l'autre auto-école."
Pour le permis moto, alors que les candidats ont deux examens à passer - le plateau et la circulation - les difficultés sont encore plus nombreuses. "Le 23 mai, le matin j'ai trois plateaux, à 10h, une circulation, à 13h, une circulation, à 15h, une circulation. Je vais passer toute la journée pour faire passer cinq élèves. Et en plus il faut demander deux dates ! Il faut attendre d'avoir le plateau pour pouvoir demander la circulation. Donc à chaque fois, ça redécale d'un mois", déplore Thomas Verdoni, gérant de l'auto/moto-école Verdoni à Biguglia.
Pas de visibilité sur la formation du candidat au moment de l'inscription
Autre problème : étant donné que les moniteurs inscrivent leurs candidats bien en amont des dates d'examen, impossible de réellement savoir si ces derniers, toujours en formation au moment de l'inscription, seront prêts le jour J. "On attaque à peine les formations de candidats, et il faut déjà qu'on demande des places d'examen alors qu'on ne sait même pas comment ils sont et comment ils évoluent", dénonce Thomas Verdoni. "On travaille à l'envers de la sécurité routière."
Stress pour le candidat
Si le but de cette plate-forme est de "responsabiliser" le candidat, qui reçoit directement sa convocation par mail après la prise de rendez-vous et peut prendre s'inscrire lui-même s'il est candidat libre, cette inscriprion précoce peut être synonyme de stress. Nicolas Goslin en est à sa seizième heure de conduite à Chrono2B. Il devra passer son permis le 26 mai, et est déjà inscrit à l'examen depuis le début du mois. "Je me sens bien, confie-t-il, mais à la fois je me pose des questions sur comment ça va se passer, si bien sûr je vais être prêt, mais j'essaie d'être le plus confiant possible". A l'auto-école Verdoni, les prochaines dates d'examen sont le 10 et le 23 mai. "J'ai des élèves qui ne sont pas prêts du tout ! s'exclame le gérant de l'établissement. Il va falloir qu'on bosse comme des fous pour essayer d'être prêts, mais s'ils ne sont pas, jamais je ne les emmènerai à l'abattage." Heureusement, les établissements de conduite peuvent permuter des candidats déjà programmés sans aucune limite, ou supprimer la place.
"On est au début, on n'est pas habitué à ce type de prise de rendez-vous. Avec le temps, ça va se faire", relativise Sandrine Guadagnini. "Je vais pas vous dire que c'est la guerre entre les auto-écoles parce qu'en Corse on est quand même moins nombreux que dans certaines régions du continent." Interrogée par le Journal du Dimanche, la DSR affirmait également en mars dernier que "RDV Permis va continuer de vivre et d'évoluer au gré des besoins exprimés par ses utilisateurs". Notamment avec la possibilité de "sélectionner un centre d'examen préférentiel avec une facilité augmentée pour réserver des places regroupées." Reste à voir si cela suffit à convaincre les établissements de conduite.