Soupçons de favoritisme : huit mois de prison avec sursis requis contre le maire d'Oletta

Le parquet a demandé huit mois de prison avec sursis, 15.000 euros d'amende et un an d'inéligibilité à l'encontre de Jean-Pierre Leccia, pour favoritisme dans le cadre d'un appel d'offre pour la construction d'une déchetterie en 2013. Son avocat réclame la prescription des faits.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"Je suis meutri d'être devant vous aujourd'hui. J'ai voué toute ma vie à l'intérêt général. Jamais je ne suis sorti de la route. A aucun moment, l'idée d'un quelconque favoritisme n'a traversé mon esprit. Jamais". 

Jean-Pierre Leccia, costume sombre, et écharpe grise, s'adresse au président et à ses deux assesseurs. Le maire d'Oletta l'assure, il vit un moment difficile. Mais l'élu de 75 ans, qui, depuis des décennies, a accumulé les mandats, au niveau local et régional, à l'habitude des joutes oratoires, et des débats animés. 

Alors même si, devant un tribunal, l'exercice n'est pas vraiment le même, Jean-Pierre Leccia a vite pris ses marques. Et il se défend pied à pied, face aux questions du président et du ministère public, sans prendre la peine, parfois, de dissimuler une pointe d'agacement. 

Deniers publics

La justice reproche Jean-Pierre Leccia des faits présumés de favoritisme, en lien avec l'attribution du marché public concernant une déchetterie sur la commune de Vallecale, en 2013, pour un montant de 559.907 euros. Le maire d'Oletta est alors également président de la communauté de communes du Nebbiu.

Les faits ont été signalés au procureur de la République par les communes de Barbaggio et de Patrimonio en 2018. Un an après la fusion de la comcom' du Nebbiu avec celle de la Conca d'Ora, dont ils faisaient partie. 

La première infraction pointée par le parquet,dans cette affaire, c'est l'allotissement. Le marché, qui était de quatre lots, a été finalement passé en lot unique. Une manière de favoriser une grande entreprise, puisque les PME n'ont pas les moyens de s'acquitter de la totalité du chantier, affirme Stéphanie Pradelle, qui représente le ministère public. "L'entreprise Natali, qui est une grosse société en Corse, a remporté le marché. Il n'y a eu aucune mise en concurrence. C'est une violation manifeste de l'accès à la commande publique, qui vient caractériser le délit de favoritisme"

Une violation manifeste de l'accès à la commande publique.

Stéphanie Pradelle, procureur

Pour le parquet, l'absence de commission d'appel, l'ouverture des plis, et une publicité restreinte faite à l'appel d'offres, constatées par les enquêteurs, vont également dans ce sens. Il demande 8 mois d'emprisonnement avec sursis, 15.000 euros d'amende, et un an d'inéligibilité. "Monsieur Leccia est maire depuis 25 ans. Et il l'a prouvé à cette barre, il maîtrise les règles de la commande publique. Quand on manie les deniers publics, on a une responsabilité particulière. On ne peut pas continuer à être maire lorsque l'on a triché."

Procédure adaptée

Jean-Pierre Leccia, de son côté, veut bien reconnaître quelques cafouillages. "Des erreurs ont été commises, je le reconnais, mais ces erreurs relèvent-elles de la correctionnelle ? Je ne peux pas tout regarder en détail, je ne peux pas tout faire tout seul". 

En effet, c'est "l'amateurisme" du maître d'œuvre qui serait en cause. "Même les gendarmes me l'ont dit", martèle-t-il à la barre. Pour les autres faits qu'on lui reproche, l'élu l'affirme, tout s'est passé selon les règles. C'est parce que "c'était une procédure adaptée", que le déroulement de l'appel d'offres aurait, selon lui, étonné les enquêteurs.

C'est ce que va s'attacher à démontrer maître Antoine Meridjen, lors d'une longue plaidoirie. "L'enquête n'a pas été à la hauteur de la technicité des infractions pour lesquelles nous comparaissons aujourd'hui. On a le sentiment que le dossier a été clos sans même avoir été terminé. On a un marché qui a été passé parce que la loi le permettait. Qu'il y ait eu des coquilles, c'est regrettable. Mais je ne vois pas en quoi cela a faussé la légitimité de ce marché". 

Rivalités politiques

La défense va également tenter de convaincre le tribunal que toute l'affaire trouve ses racines ailleurs que dans un appel d'offres litigieux. "On est dans un contexte local difficile, sur fond de querelles politiques...", rappelle Me Meridjen.

Tout viendrait de la fusion, en 2017, de la communauté de communes du Nebbiu et de celle de la Conca d'Oro. Un rapprochement compliqué, et c'est un euphémisme. "Cette fusion s'est faite à marche forcée. Pendant onze ans, on a réalisé beaucoup de choses. Et eux rien", assène celui Jean-Pierre Leccia, président de la comcom' du Nebbiu entre 2006 et 2016... 

Maître Genuini, qui défend les intérêts des des communes de Patrimonio et de Barbaggio, à l'origine de la procédure, reconnaît que le contexte politique est tendu, dans la région. Mais, selon lui, pour des raisons légitimes. "Cette fusion a eu des conséquences désastreuses pour le contribuable. Ils ont subi une augmentation des impôts locaux de 100 à 200 % du fait de celle-ci, et du fait, plus largement, de la manière dont la communauté de communes était gérée"

Jean-Pierre Leccia réfute cette dernière accusation. Il l'affirme, il est juste "la cible politique d'un certain nombre d'élus, qui n'arrêtent pas de me charger de tous les malheurs de la Terre". L'élu du Nebbiu se lance dans une longue tirade, à la barre, pour décrire ces rivalités politiques, et en profite pour rappeler qu'il a "reçu des menaces de mort", que sa "voiture a été tagguée", et que la maison de son ex-femme a été la cible d'un "attentat"

Prescription ou pas?

En marge du fond, maître Antoine Meridjen a plaidé la prescription. Les faits remontent à 2013, et la procédure a démarré en 2018. Son client devrait donc être relaxé pour cette raison.

Mais selon le ministère public, Jean-Pierre Leccia aurait usé de "manœuvres pour cacher la réalité de la situation", en empêchant l'accès aux archives de la communauté de communes du Nebbiu, dont le siège était dans sa mairie, à Oletta. Une raison qui expliquerait "le caractère tardif des faits délictueux". 

Maître Meridjen balaie d'un revers de main l'explication : "le parquet à cité sans se rendre compte que c'était prescrit, et il tente maintenant de se raccrocher aux branches"

Maître Genuini qui représente les parties civiles, argue comme le parquet "d'actes de dissimulation qui doivent conduire à reporter la prescription".

Une accusation que réfute le maire d'Oletta, assurant que seuls "les originaux ne pouvaient être emportés, mais que tout le monde avait accès aux photocopies".

"Mais quoi qu'il en soit, conclut son avocat, empêchement d'accès aux archives ou pas, les trois ans étaient déjà écoulés, et les marchés déjà consommés !"

La décision du tribunal correctionnel sera connue le 7 décembre. 

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information