Thomas a du mal à tenir une érection, Justine n'a jamais vécu la pénétration sans douleurs. Tabous, les dysfonctionnements sexuels sont pourtant plus courants qu'on ne le pense, et peuvent représenter une source importante d'anxiété pour ceux qui y sont confrontés.
Thomas*, la vingtaine, le précise d'emblée : "Ce n'est pas comme si ça m'arrivait à chaque fois ou que j'étais incapable de "performer". C'est juste que parfois, même quand j'en ai vraiment envie, ça ne marche pas."
Étudiant à l'université de Corte, il témoigne, non sans gêne, d'un problème qui le suit depuis la majorité : les troubles de l'érection. "Je ne sais pas vraiment ce qui les provoque, ce qui va faire qu'une fois ça va marcher, et une autre fois non. Mais c'est un peu un cercle vicieux : quand je vois que ça ne fonctionne pas, je stresse, et du coup ça marche encore moins, et les fois suivantes, je ne suis pas confiant, ce qui fait que ça a de grandes chances de ne pas marcher non plus..."
C'est un peu un cercle vicieux : quand je vois que ça ne fonctionne pas, je stresse, et du coup ça marche encore moins
Des "pannes moteur" qui ne sont pas sans conséquences sur ses relations avec ses partenaires : "Je suis sorti avec une fille en début d'année, et ça n'a pas tenu en partie pour ça, souffle-t-il. Elle ne me l'a pas directement dit, mais je sais qu'elle était frustrée qu'on ne puisse pas faire l'amour aussi souvent qu'elle le voulait. À chaque fois que ça arrivait, ça refroidissait complètement l'ambiance."
Et un souci qui vient même parfois à lui faire douter de sa virilité : "C'est difficile de se sentir bien dans sa peau quand on a du mal à tenir une érection. Je me pose pas mal de questions. J'ai l'impression parfois de n'être pas un "vrai" homme."
Des troubles communs, mais mal vécus
Pourtant, Thomas est loin d'être le seul à rencontrer des problèmes pour "performer" au lit. Selon un sondage Ifop réalisé en 2019, les Français n'ont jamais été aussi nombreux à souffrir de problèmes d'érection : 61 % y ont déjà fait face au moins une fois au cours de leur vie, et 21 % y sont régulièrement confrontés. Une proportion en hausse continue depuis le début du XXIème siècle : en 2005, seuls 44 % des Français déclaraient avoir déjà eu à composer avec des troubles de l'érection, soit 17 % de moins.
Les hommes qui déclarent être concernés par le problème sont plus d'un sur trois (38 %) à avoir connu des troubles du désir ou de l'érection au cours des 12 derniers mois, la plus fréquente étant le manque de rigidité de leur sexe durant un rapport (20 %).
Des soucis qui peuvent peser lourd sur le moral : toujours selon l'étude, les deux tiers des hommes ont déjà eu des complexes sur leur capacité à avoir eu une érection (62 %) ou à garder leur sexe dur pendant tout un rapport (65 %). Des complexes qui s'étendent aussi à la taille de leur phallus (42 %) ou sa forme (27 %), et même à la difficulté d'éjaculer ou la précocité de l'éjaculation.
Si les hommes ont leurs tracas, les femmes ne sont pas épargnées. Pour Justine*, 29 ans, par exemple, s'envoyer en l'air n'a rien d'une partie de plaisir, bien au contraire. Depuis sa première fois, à 17 ans, la jeune femme doit composer avec le vaginisme.
Ce trouble, qui toucherait selon le collège national des gynécologues et obstétriciens Français (CNGOF), 1 à 5% des femmes, se caractérise par une contraction involontaire des muscles du périnée. Ce qui complexifie voire empêche complètement la pénétration...
Résultat, en douze années de vie sexuelle, Justine n'a été pénétrée que trois fois, et uniquement "en forçant le passage", grimace-t-elle. "Ça n'a même pas duré longtemps, c'était trop douloureux, je me suis mise à pleurer à chaque fois et ça coupait tout désir des deux côtés." Pas l'idéal, donc, pour passer un bon moment intime...
Une préoccupation à tout âge
Troubles érectiles, baisse de libido, vaginisme, difficultés à "performer"... Des personnes confrontées à ces problématiques, Sandrine Francisci, sexologue clinicienne, en voit défiler tous les jours dans son cabinet à Bastia.
Depuis 2021, elle y accueille des patients de tous les horizons et de tous les âges - dès lors qu'ils sont majeurs -. "J'ai des patients qui ont 18 ans, et d'autres qui sont retraités depuis des années. La personne la plus âgée qui est venue me voir avait 83 ans, ce qui montre que c'est bien une préoccupation à tout âge !", sourit-elle.
Des patients qui passent la porte avec régulièrement les mêmes difficultés : "La majorité des hommes consultent pour des questions d'éjaculation précoce et de perte d'érection, et la majorité des femmes pour des douleurs pendant l'acte sexuel ou une libido qui n'est pas en adéquation avec celle de leur partenaire."
Mais si les préoccupations des uns et des autres peuvent se ressembler, la prise en charge, elle, est toujours personnalisée. "Je travaille toujours sur l'aspect psychologique. Je ne suis pas médecin, je ne les fais pas se déshabiller. Pour les hommes par exemple, la première étape est toujours d'éliminer la potentialité d'un problème physiologique, donc je leur demande toujours au préalable de faire un bilan de santé auprès d'un médecin. Après quoi, si le problème persiste, on peut commencer à travailler dessus."
S'il n'y a pas de durée type de suivi - "certains patients vont venir une fois et le souci sera réglé, d'autres viennent me voir depuis trois ans" -, la méthode est toujours la même : "Je fixe avec eux un objectif comportemental à atteindre, et au fil des séances on travaille dessus. Je leur donne aussi des exercices à effectuer chez eux."
L'estime de soi et l'impact des réseaux sociaux
Pour Sandrine Francisci, une grande partie des troubles sexuels prendraient aujourd'hui source dans des injonctions toujours plus nombreuses. Injonctions à la performance, à la compétitivité, et plus largement à la perfection, estime-t-elle, alimentées notamment par les réseaux sociaux, où des corps trafiqués, filtrés et sans défauts s'affichent à la file.
De quoi détériorer l'estime de soi des plus jeunes, qui baignent depuis l'enfance dans les écrans, Instagram ou autre Snapchat, mais aussi des personnes un peu plus âgées, assure la sexologue.
"J'ai des couples qui sont ensemble depuis des années et qui n'ont jamais fait l'amour autrement que dans le noir complet parce qu'ils ne supportent pas leur corps. La vision de corps parfaits artificiels impacte celle que nous avons du nôtre, joue sur notre moral, et ce stress peut par la suite engendrer des troubles dans notre sexualité. Un trouble de l'érection peut survenir parce qu'on se met trop de pression, par exemple, ou plus précisément parce que quelque chose de plus profond ne va pas."
J'ai des couples qui sont ensemble depuis des années et qui n'ont jamais fait l'amour autrement que dans le noir complet parce qu'ils ne supportent pas leur corps.
Sandrine Francisci, sexologue clinicienne
Car c'est là un point essentiel pour la sexologue : le trouble sexuel est un symptôme plutôt qu'une maladie, et doit être traité comme tel. "Le trouble sexuel, c'est le sommet de l'iceberg. Moi, mon travail, ça va être de creuser pour savoir ce qui se passe sous l'eau, d'aller directement à la source pour le régler."
La sexologue clinicienne garde un motto pour ses consultations : "Essayer de mettre un peu de légèreté." Car quand la sexualité ne va pas, "on a l'impression que le monde s'effondre. On se met trop de pression là-dessus ! Moi je dis aux gens, ce n'est pas grave si en rentrant du boulot, le soir, fatigué, on n'a pas le temps, pas l'énergie ou pas l'envie de faire l'amour. Ce n'est pas grave si on n'y arrive pas une fois. Ce sera pour une prochaine fois. Il faut savoir être indulgent avec soi-même."
Sandrine Francisci continue : "Je pense qu'aujourd'hui on met la sexualité, au même titre que notre boulot, sur un piédestal, ce qui est source d'un grand stress, et que lorsqu'on a le sentiment d'échouer, on ne sait plus vraiment qui on est. Mais notre travail ne représente pas notre identité à 100 %, et c'est pareil pour notre sexualité. Nous ne sommes pas juste des salariés ou des objets de sexe. Il faut savoir lâcher prise là-dessus pour faire en sorte que ça aille mieux."
Vivre sa sexualité différemment
Pour Justine, atteinte de vaginisme, le lâché prise passe par une autre manière de concevoir sa sexualité. "Pendant des années, j'ai tout essayé pour que ça aille mieux. J'ai vu un psy, j'ai suivi des thérapies, je me suis mise à la méditation, j'ai tenté des exercices de relaxation pelvienne et même un dilatateur vaginal - qui n'est jamais passé -... Rien n'a fonctionné et quel que soit mon partenaire. Alors j'ai décidé que ce n'est peut-être tout simplement pas pour moi, et c'est comme ça."
"Il y a plein de manières de s'amuser différemment, continue-t-elle. Je pense qu'on a tort de concevoir le sexe seulement d'une certaine façon. Mon seul regret, c'est de ne pas l'avoir compris plus tôt. Ça m'aurait empêché des années de stress." Fiancée depuis six mois, la quasi-trentenaire profite bien de moments à deux, mais sans pénétration. Et sans douleurs, surtout.
*les prénoms ont été modifiés