Elle n'avait que dix ans quand tout a commencé. Pendant plus de quatre ans, Cybile Terlon a subi les abus de son beau-père. En 2023, il a été condamné à une peine de prison ferme de 12 ans. Aujourd'hui, Cybile témoigne pour libérer la parole d'autres victimes d'inceste. Rencontre.
Le supplice de Cybile Terlon débute en 2007, elle est alors une fillette de dix ans. Le compagnon de sa mère abuse d’elle à de nombreuses reprises et pendant plusieurs années. À 18 ans, elle a un déclic pour déposer plainte : "J’ai fait un début d’AVC et je me suis retrouvée à l’hôpital. Là, c’est comme si mon corps avait voulu dire stop. Tous les souvenirs sont revenus. C’est à ce moment-là que j’ai ressenti le besoin d’aller déposer plainte, j’étais enfin prête. Mais ma première volonté dans cette décision, a été de le faire pour les autres victimes d’inceste."
Des années de silence
À l'adolescence, Cybile se sent différente, beaucoup plus mature que les autres : "Je me sentais en sécurité lorsque j’étais en cours au collège, d’ailleurs, mon niveau scolaire n’a pas baissé, je m’accrochais au travail. Et puis, dès que je le pouvais, j’allais chez mes copines du village. Je me souviens, il y en a une dont le papa disait souvent en râlant : « Mais Cybile est toujours à la maison ! ». J’ai été complètement sous emprise pendant toutes ces années".
Et pour cause, la jeune fille ne veut pas rentrer chez elle, car son beau-père l’attend. Sa maman a alors un travail posté, c'est-à-dire un travail en équipe avec des horaires différents. Dès qu’elle part à l’aube, il vient réveiller Cybile dans son lit. Il interdit aussi à sa compagne d’aller chercher sa fille à l’école sans lui, même chose pour lui acheter des vêtements, il doit toujours être là, jusqu’au jour où…
Cybile raconte : "Je rentre et je vois mon oncle, mon beau-père parle avec lui ; maman est seule dans le salon. C’est à ce moment-là que je lui ai dit : « Il faut que je te parle ». Ma parole s’est enfin libérée et elle m’a tout de suite fait confiance et m’a crue ". Mère et fille s’en vont, un ouragan déferle sur leur vie. Sa maman tombe malade et souffre de dépression. Les années passent, Cybile ne veut pas déposer plainte comme lui demande sa mère : "Je voulais vivre comme tout le monde, sans pression, je n’avais pas encore les épaules pour cela". Elles gardent donc ce secret pendant quatre ans.
Plus de 7 ans d'attente
Le début d'AVC et le fameux déclic à 18 ans, puis l’attente du procès. "Hélas, la justice est souvent longue. Je me suis donc préparée à ce procès. J’ai pris des cours particuliers de boxe, j’ai aussi absolument voulu perdre du poids pour montrer la femme forte qui a réussi à évoluer malgré la souffrance. Il faudrait que cela cesse, il y a tellement de victimes de viol, d’inceste, les délais sont bien trop longs…".
Pour surmonter cette expérience, Cybile a bien sûr pu compter à 100% sur sa mère, mais a aussi trouvé du soutien ailleurs : "Je me suis inscrite dans une troupe de majorettes modernes. Je me suis constitué une petite famille, j’ai trouvé des amies". Elle s’est également réfugiée dans la psychologie qui l’a beaucoup aidée dans l’introspection, a essayé beaucoup de choses, méditation, sophrologie. La musique aussi a été importante, notamment les titres de Léa Castel : "Ses chansons sont parfois sombres, mais elles m’ont beaucoup aidée, car il fallait que je pleure, que j’évacue, cela faisait des années que je n’avais pas pleuré, je portais un masque constamment".
Les voyages l'ont également aidée, elle aime découvrir de nouveaux horizons, principalement la culture hispanique. Elle est allée au Mexique, ce qui l'a réellement aidé à se sentir mieux dans son corps, et bien sûr, en Espagne.
Quand on lui demande s’il y a des aspects de son vécu qu’elle aimerait partager, ou au contraire, qu’elle préfère garder pour elle, elle répond : "Je n’ai aucune restriction, je parle de tout. Ma vie n’est plus privée à partir du moment où j’ai décidé d’en parler".
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Et puis arrive le jour du procès
Pendant tout ce temps, la vie de Cybile est en pause. "C’est dur de se retrouver dans un tribunal, c’est à nous de nous défendre, de prouver qu’on est une victime. Malgré tout, ma parole de victime a été entendue, reconnue. Tout accablait mon beau-père, ses aveux m’ont fait encore plus de mal. J’ai le sentiment qu’il a avoué dans le but de « faire plaisir », qu’il n’a pas pris conscience du mal qu’il m’a fait, qu’il espérait juste une remise de peine en avouant".
Au terme du procès, son ex-beau-père est condamné à une peine de prison ferme de douze ans, par la Cour d’assises de la Somme.
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Venir en aide à toutes les victimes
Cybile voudrait que les victimes comprennent qu’elles ne sont pas seules : "J’aimerais créer ou intégrer une association où je pourrais leur venir en aide. Vous savez, peu importe le milieu d’où l'on vient, cela peut arriver à n’importe qui. De même, ce serait bien de former les enseignants à être attentifs aux changements de comportement des enfants. Par exemple moi, cela a été un changement de comportement alimentaire, je mangeais au moins trois paquets de chips par jour, j’ai donc pris du poids".
À celles et ceux qui ont traversé des situations similaires, elle conseille "de se tourner vers quelqu’un qui nous inspire confiance. Nous, les victimes, je me suis rendu compte finalement que nous voyons juste. Je veux dire par là que l’on voit dans le regard des autres s’ils sont bienveillants ou non. C’est le premier pas qui est le plus difficile, mais une fois sorti le premier mot, tout sort."
Pour gérer ses souvenirs, les déclencheurs liés à son passé, elle a trouvé aujourd’hui une grande force spirituelle : "Je viens enfin d’arrêter les antidépresseurs, j’ai appris à me poser lorsque j’ai des angoisses. Après j’essaye tout, j’écris car j’aimerais raconter mon histoire dans un livre, je joue du piano, je vais voir les copines, j’ai rencontré l’amour."
"Cependant, je souffre du refus de ne pouvoir poursuivre mes études dans le domaine qui me correspond, la psychologie. Pour beaucoup de personnes, à cause de mon passé, j’ai encore l’impression d’être une extraterrestre." (NDLR : Avec 13 de moyenne, Cybile a été refusée partout en France pour poursuivre en master de psychologie, après sa licence).
La jeune femme sait, sent, qu’elle a un "don" avec les enfants : "Dès qu’un enfant me voit, c’est incroyable car après, il me regarde tout le temps en souriant". Elle veut poursuivre et atteindre son but : "J’ai puisé ma force au tribunal en me disant : « Je veux aider les autres », c’est vraiment cela qui a été ma force. J’espère que le fait qu’un jour, une femme ait osé déposer plainte et soit allée jusqu’au bout pourra libérer la parole de toutes les victimes".
Et Cybile conclut : "Aujourd’hui, je suis en osmose avec mon passé, car c’est une mauvaise histoire qui est terminée. Même si j’en souffre encore, c’est en parlant que tous les détails reviennent. Je me dis que si j’ai vécu ces choses-là, c’est que la vie me réserve d’autres choses".