Témoignages. Face au harcèlement scolaire, l'impuissance des parents : "on a honte de ne pas réussir à gérer la situation"

Publié le Écrit par Romane Idres
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À la veille de la journée nationale de lutte contre le harcèlement, le rectorat d'Amiens, le parquet, la Région et le Département ont acté la mise en place d'une "cellule d'intervention rapide au sein des collèges et des lycées de la Somme". Deux parents dont les enfants ont été confrontés au harcèlement racontent le long chemin pour s'en sortir.

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Un an après les faits, c'est toujours avec colère et dépit que Gaëtane parle du harcèlement qu'a subi son fils dans son ancien collège. Un soir, après l'école, Léo*, 11 ans, lui a confié avoir subi une agression sexuelle de la part d'un autre élève. Elle porte plainte immédiatement, et alerte la direction de l'établissement, ainsi que le rectorat. Sur le volet judiciaire, "il y a eu a priori une garde à vue de l'élève en question, ça a été envoyé au procureur, et on a plus eu de nouvelles", dit-elle.

"C'est une injustice totale que l'élève victime soit obligé de déménager alors que l'autre élève reste"

Du côté du collège, elle raconte que l'élève a été convoqué en conseil de discipline, et que Léo a dû s'y rendre comme témoin, sans elle. "Il s'est retrouvé seul au milieu de 15 adultes, l'auteur, lui, était là avec ses parents, qui se sont permis de poser des questions à mon fils. Moi, on m'avait interdit de rentrer. Quand il est sorti de là, mon fils m'a dit qu'il avait l'impression d'avoir été au tribunal, que c'était lui qui avait fait quelque chose de mal.

Aujourd'hui, l'élève que son fils a accusé est toujours scolarisé dans l'établissement. Elle a déménagé en Haute-Savoie, une décision "en grande partie" liée à la situation de son fils, qui a tenu des propos suicidaires et a dû être un temps hospitalisé pour cette raison. Petit à petit, il va mieux. "Il n'a aucun problème de harcèlement dans son nouveau collège, assure-t-elle. Il s'est fait de nouveaux copains, mais il reste encore sur la défensive avec les enfants, donc il a un peu de mal à s'intégrer, mais ça reviendra."

Aujourd'hui, Léo prend des cours d'hapkido, un art martial coréen. C'est la seule réponse que la famille a trouvée pour l'aider un peu, dans le cas où il serait de nouveau confronté à une agression ou à du harcèlement. "C'est pour qu'il sache se défendre, au cas où, en aucun cas pour se battre. Ça nous rassure aussi en tant que parents, il faut pas se leurrer", confie-t-elle.

Je ne comprends pas pourquoi ça met autant de temps au niveau de la justice. Le fait d'attendre, c'est insupportable.

Gaétane Barré, mère d'un garçon de 12 ans

Elle tente d'aider son fils à se reconstruire, mais il reste encore beaucoup de choses qu'elle-même ne comprend pas. "C'est une injustice totale que l'élève victime soit obligé de déménager alors que l'autre élève reste, s'agace-t-elle. Je suis en colère, je discute toujours avec des associations spécialisées dans le harcèlement. On a mandaté une avocate, parce que rien ne se passe, je ne comprends pas pourquoi ça met autant de temps au niveau de la justice. Le fait d'attendre, c'est insupportable."

"Pour nous, en tant que parents, ça ne va jamais assez vite"

C'est pour améliorer cette prise en charge que le parquet d'Amiens, le rectorat, la Région et le Département ont signé une convention ce mardi 6 novembre, qui "acte la mise en place d'une cellule d'intervention rapide au sein des collèges et des lycées de la Somme". Pierre Moya, recteur de l'académie d'Amiens, assure par ailleurs que "chaque collège et chaque lycée dispose d'une équipe de cinq personnes formées et capables de réagir aux paroles des enfants", et qu'un plan de formation a démarré pour que l'intégralité des enseignants du secondaire soient également formés. 

Des annonces qui peinent à convaincre Gaëtane. "L'année dernière déjà, on nous disait que le harcèlement, c'était terminé, que des sanctions étaient prises désormais. Mais quand on s'est retrouvés dans l'engrenage, on s'est aperçus qu'en fait, il n'y avait rien pour les victimes", déplore-t-elle.

On va mettre en place des choses, on va les signer, on va vouloir s'engager, mais est-ce que demain, il va réellement y avoir des moyens mis en œuvre pour gérer ça de manière sérieuse et concrète, et pour assurer un suivi ?

Dimitri Lahmer, père de trois enfants

Dimitri Lahmer, père de trois garçons qui ont tous subi du harcèlement dans un collège de Crécy-en-Ponthieu, reste lui aussi prudent quant à ses annonces. "Je ne dis pas que rien ne va être fait, je leur laisse le bénéfice du doute, indique-t-il. Mais on sait tous comment ça se passe, on va mettre en place des choses, on va les signer, on va vouloir s'engager, mais est-ce que demain, il va réellement y avoir des moyens mis en œuvre pour gérer ça de manière sérieuse et concrète, et pour assurer un suivi ? Il faut voir avec le temps s'ils tiennent leurs engagements." Il regrette, lui aussi, que les enfants accusés d'avoir harcelé ses fils soient encore présents dans l'établissement. "Ils ont réitéré le harcèlement sur d'autres enfants, et ils sont passés à la vitesse supérieure en menaçant les personnels dirigeants", assure-t-il. 

S'il concède que le sujet est aujourd'hui plus médiatisé, il estime qu'il y a encore des failles dans la façon de traiter le problème. "Pour nous, en tant que parents, ça ne va jamais assez vite. On met le doigt sur quelque chose, mais on ne met pas assez de moyens. Il faut y aller complètement, on ne peut pas s'investir qu'à moitié. Si on traite un jour, il faut traiter aussi le lendemain, sans faire de pause, parce que si on tarde, ça ne fait qu'empirer."

Le chemin de la résilience

Aujourd'hui, ses fils vont mieux. Les deux aînés, de 14 et 12 ans, se sont tournés vers les arts martiaux, comme le fils de Gaëtane. Et ont aidé leur petit frère lorsqu'il a lui-même subi du harcèlement. "Ils vont aider les autres enfants à leur façon, mais ce n'est pas forcément la meilleure des façons. Ils vont d'abord essayer de discuter avec la personne qui harcèle, et s'ils réitèrent, mes enfants défendent physiquement leur camarade, quitte à avoir des sanctions disciplinaires", précise Dimitri.

Lui, en tant qu'adulte, essaie de sensibiliser son entourage, pour libérer la parole. "Ça reste un sujet tabou, on ne veut pas dire que notre enfant est harcelé, on a honte de ne pas réussir à gérer la situation ou l'améliorer. C'est franchement pas facile. Vous pouvez être un grand bonhomme, ou une grande dame, être costaud, avec du charisme, si votre enfant est confronté à du harcèlement, vous êtes démunis."

On ne devient pas harceleur sans raison, peut-être qu'ils ont subi eux-mêmes du harcèlement. Si on ne s'occupe pas d'eux, ils vont répéter ce même schéma tout le temps.

Dimitri Lahmer, père de trois enfants

Après la tempête, Dimitri et ses fils sont sur le chemin de la résilience. Il explique n'avoir reçu aucune excuse, "ni de la part de l'établissement, ni des enfants harceleurs, ni de leurs parents". Mais essaie de prendre un peu de hauteur, pour comprendre, et pour briser le cycle de la violence. "Ça m'embête parce que je me dis que d'autres enfants vont subir le même sort que les miens, mais je me dis qu'il faut aussi aider ces gamins. On ne devient pas harceleur sans raison, peut-être qu'ils ont subi eux-mêmes du harcèlement. Si on ne s'occupe pas d'eux, ils vont répéter ce même schéma tout le temps. Chacun a droit à une deuxième chance dans la vie. Il faut prendre le problème à la base, et s'en occuper sérieusement."

Si le rectorat refuse de communiquer les chiffres précis des signalements, il confirme que "l'an dernier, le nombre de cas remontés à la cellule académique harcèlement a doublé par rapport aux années précédentes", et qu'il y a davantage de cas dans les collèges que dans les écoles primaires et les lycées. 

*Le prénom a été changé

Avec Gabin Cransac / FTV

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