Alors qu'avec la rentrée des classes revient la douloureuse question du harcèlement scolaire, Amélie Antoine, écrivaine lilloise et maman de trois enfants, décrypte le phénomène à travers trois de ses romans. Elle espère donner des outils précieux pour le comprendre et le combattre.
Amélie Antoine est la maman de trois enfants de 6,10 et 13 ans, deux garçons et une fille. À l'âge de trente ans, elle a enfin trouvé le métier qu’elle voulait faire : écrire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela lui réussit. Elle est écrivaine à temps plein depuis 10 ans et n’essayez pas de lui coller une étiquette dans le dos en tant qu’autrice : "J’écris des histoires qui me prennent aux tripes, qui pourraient m'arriver".
Trois de ses romans évoquent le harcèlement scolaire. Tout est parti d’un élément de l’intrigue de Raisons obscures, un livre poignant sorti en 2019.
Trois livres coup de poing contre le harcèlement
Raisons obscures raconte l’histoire de deux familles qui ont tout pour être heureuses, mais ce n'est pourtant pas le cas, ils vivent un drame. Deux familles à la même routine qui s'enfoncent et qui ne voient rien venir. Amélie Antoine est très attachée à la psychologie de ses personnages et on découvre, au fil des pages, que l’on ne connaît jamais vraiment les autres, en particulier les personnes les plus proches.
Dans ce livre, des parents passent complètement à côté de leurs enfants. Et pourtant, ils ont des indices sous les yeux, mais qui restent au second plan. "J’ai eu beaucoup de retours de lecteurs bouleversés par le livre, qui ont pris conscience que cela pouvait être pareil chez eux", explique Amélie Antoine. Un livre qui interpelle sur les raisons de faire du mal parfois sans s’en rendre compte. Au départ, le harcèlement était donc un indice qui plongeait le lecteur au cœur de l'intrigue, et quelques années plus tard...
Dans Ne vois-tu rien venir sorti en février 2024, on retrouve les deux adolescentes héroïnes malheureuses de Raisons obscures : Orlane la jeune fille harcelée et Sarah, la harceleuse. Amélie Antoine décrypte, explore la mécanique qui transforme une jeune fille en victime et une autre en bourreau.
Une "rencontre" déterminante
C'est avant la parution de ce livre que son éditeur lui envoie un article de presse sur Emmanuelle Piquet, psychopraticienne, spécialiste dans les souffrances en milieu scolaire, qui a créé les centres "À 180 degrés-Chagrin scolaire" à Lyon, Mâcon, Toulouse et Lille, et qui est l’autrice de nombreux ouvrages à succès notamment sur le harcèlement. "Quand j’ai lu l’article sur elle, j’ai eu envie d’en savoir plus, donc j’ai lu tous ses livres ! J’ai découvert que je passais complètement à côté de ce que je devais faire, si mes enfants étaient confrontés au harcèlement !".
À force de vouloir préserver nos enfants de tout, on les rend infiniment vulnérables. De mon point de vue d’adulte, la bonne posture c’est de nous placer à côté d’eux et non pas entre eux et le monde.
Emmanuelle PiquetPsychothérapeute
Quelles solutions face au harcèlement ?
Amélie Antoine m’explique alors son attitude avec sa fille : "Je suis, enfin j’étais, plus que protectrice ! Par exemple, si quelqu’un lui faisait du mal, même un enfant, j’allais le voir pour le gronder, si je trouvais une punition injuste, je le faisais savoir à l’instituteur ou au professeur. À force de leur dire : "S’il se passe quelque chose tu viens me le dire", je me suis rendu compte que s’il leur arrivait quelque chose, ils ne viendraient jamais m’en parler à cause de ce comportement de mère louve !".
Et cela, Emmanuelle Piquet l’exprime parfaitement bien : "À force de vouloir préserver nos enfants de tout, on les rend infiniment vulnérables. De mon point de vue d’adulte, que ce soit dans l’enceinte scolaire ou dans la famille, la bonne posture c’est de nous placer à côté d’eux et non pas entre eux et le monde".
Ils vont aller voir l’enseignant ? La direction de l’école ? Ce sera encore pire après dans bien des cas et souvent en dehors de l’école…
Amélie AntoineÉcrivaine
Grâce à cette rencontre par les livres avec Emmanuelle Piquet, Amélie a modifié la fin de son propre roman : "Il a une fin alternative, pleine d’espoir, où on voit comment Orlane aurait pu s’en sortir (à l’inverse de Raisons obscures)", chose qu’a particulièrement appréciée Emmanuelle Piquet qui a signé la postface du roman.
Emmanuelle témoigne dans l’émission Hauts-Féminin : "Je crois que ce livre est nécessaire parce qu’il ouvre des portes, il apporte des solutions, mais il n’est pas que nécessaire, il est en plus remarquablement écrit". Un livre qu’Amélie voulait écrire à destination des adolescents, mais que les adultes lisent également.
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Lors de notre entretien, Amélie m’explique comment Emmanuelle Piquet vient en aide aux enfants, aux parents, face au harcèlement. Changer son enfant d’école ? "C’est une bonne solution à court terme, mais il faut surtout apprendre à l’enfant à ne pas avoir une attitude de victime. Car dans la nouvelle école, il rencontrera peut-être une nouvelle "Sarah" (comme Orlane dans ses livres) qui verra tout de suite sa vulnérabilité."
Leur apprendre l’autodérision, l’humour, la repartie, entraîner l’enfant à perdre sa posture de victime, ce sont des mots faciles à coucher sur le papier mais tellement difficiles à mettre en application à la maison. L’enfant s’isole, dit que tout va bien, ne partage pas ses expériences, son vécu, son ressenti. La peur de parler à ses parents car que vont-ils faire après ? "Ils vont aller voir l’enseignant ? La direction de l’école ? Ce sera encore pire après dans bien des cas et souvent en dehors de l’école…".
À la sortie de Ne vois-tu rien venir, de nombreux établissements scolaires ont proposé à Amélie de venir parler du harcèlement : "Ce n’est pas ainsi que je voyais les choses, je suis écrivaine, pas spécialiste du harcèlement. En revanche, après lecture du livre par les élèves, je veux bien les rencontrer pour en parler". Et au sortir de ces rencontres, les adolescents lui disent que ce livre est très juste, certains se reconnaissent dans le personnage d'Orlane.
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Afin d’essayer de donner des clés aux parents, aux adolescents, Amélie a décidé de s’adresser aux plus jeunes, "car le harcèlement peut aussi commencer dans les écoles primaires". Fin août est sorti Quelque chose sur le cœur, destiné aux enfants à partir de 8 ans (dont la postface est aussi signée par Emmanuelle Piquet). "Ce livre dégage un cas type, des choses logiques. Une maman qui dit à son fils de ne pas prêter attention aux autres, de les ignorer, un papa qui lui dit : "Ne te laisse pas faire", une institutrice qui gronde les harceleurs, rien de cela ne fonctionne. La situation s’enlise, c’est la grande sœur qui lui apportera l’aide et les solutions dont il a besoin".
Elle termine notre entretien en citant une phrase du philosophe chinois Lao Tseu qu'elle apprécie particulièrement : "Donnez un poisson à un homme et vous le nourrirez pour un jour, apprenez-lui à pêcher et vous le nourrirez toute sa vie." Autrement dit, apprenons aux victimes à ne plus l'être.
En France, au moins un élève sur dix serait concerné par le harcèlement. Bien évidemment, tous les enfants n’ont pas la possibilité de suivre une thérapie. En lisant les livres à travers le prisme des parents pour Raisons obscures, le prisme des adolescents pour Ne vois-tu rien venir, et enfin Quelque chose sur le cœur à mettre dans les mains des petits mais pas seulement, Amélie Antoine espère nous donner des outils précieux pour comprendre et combattre le harcèlement scolaire.
Qui est Amélie Antoine ?
Assistante de communication, puis traductrice pour le doublage de films, Amélie Antoine a « mis trente ans avant d’écrire mon premier roman". Elle publie Combien de temps, un récit autobiographique en 2011 et pour son premier roman, Fidèle au poste en 2015, elle choisit l’autoédition, avec un succès numérique indéniable. Il sortira en mars 2016 aux éditions Michel Lafon, puis aux États-Unis et touchera plus de 250 000 lecteurs. C’est le début d’une grande aventure pour Amélie, tant ce roman à suspense est plébiscité.
Tout le monde avait décidé que Fidèle au poste était un thriller psychologique, mais Amélie n’est pas du tout de cet avis. "Je n’avais pas conscience qu’on attendait d’un auteur qu’il écrive dans le même genre. J’avoue que cela m’a un peu desservi dans mon parcours d’auteure pour adultes. Pour moi, je suis dans la littérature générale, dans la psychologie de mes personnages. Je ne peux pas écrire dans une direction qui m’est imposée".
C’est pour cela que depuis 10 ans, Amélie écrit des romans pour adultes, et depuis trois ans à destination de la jeunesse. "Les enfants ne lisent pas de livres par rapport à son auteur, mais par rapport à l’histoire qu’ils ont choisie. Pour moi, c’est un vrai espace de liberté".
"Chaque livre est un parcours du combattant, je l’écris avec mes tripes ». Écrivaine prolifique, elle a sorti cette année deux autres livres à destination des adultes : Un enfant sans histoire (s) et Pourquoi tu pleures.
Avec ces deux romans noirs, certains n'hésitent pas à la qualifier de reine des romans psychologiques d’une extrême noirceur !