Ce mardi, In Tantu in u Mediterraniu se penche sur les outils judiciaires mis en place pour lutter contre la mafia en Italie. Florence Antomarchi reçoit l'universitaire Charlotte Moge, spécialisée dans l'étude du phénomène, et Marie-Françoise Stefani, journaliste Police-Justice à France 3 Corse ViaStella.
L'antimafia en Italie. C'est le thème du nouveau numéro d'In Tantu in u Mediterraniu ce mardi sur France 3 Corse ViaStella.
En matière pénale, la péninsule est doté d'un arsenal législatif spécifique pour lutter contre la mafia. Dans ce dispositif, il y a notamment la confiscation obligatoire des avoirs criminels en cas de condamnation pour délit d'association mafieuse. Les biens confisqués ont ensuite une réutilisation sociale. En effet, le cadre légal italien ne permet pas la privatisation de ces avoirs qui sont mis à disposition d'organismes publics.
En France, la législation est quelque peu différente. Si l'Assemblée nationale a voté l'an passé une loi permettant l'usage social de ces biens mal acquis, cela ne constitue pas une obligation.
En effet, l’Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués), qui gère les biens confisqués, a la possibilité de les céder à des associations ou à des collectivités mais peut aussi les revendre aux enchères, notamment pour abonder le budget général de l’État.
Invitée d'In Tantu in Mediterraniu, Charlotte Moge est maitresse de conférence à l'Université Jean Moulin Lyon 3. Spécialisée dans la lutte antimafia, elle explique comment la législation italienne a permis de réutiliser les biens criminels à des fins sociales, tout en développant une "culture de la légalité".
France 3 Corse ViaStella : À partir de quand l'État italien a-t-il mis en place la confiscation des biens ?
Charlotte Moge : Cela date de 1982. Cette politique s'inscrit dans le dispositif législatif voulu par le député Pio La Torre qui avait déjà déposé la proposition de loi en 1980. Néanmoins, cette proposition n'a été votée et adoptée qu’après son assassinat le 30 avril 1982 et surtout l'assassinat du préfet dalla Chiesa trois mois plus tard. L'idée de La Torre, c'était vraiment de frapper les organisations mafieuses au portefeuille. Si une personne était condamnée pour association mafieuse, la confiscation de ses biens était immédiatement mise en place. Sauf qu’entre 1982 et 1996, l'État n’a rien fait de ces biens saisis.
Qu’est-ce qui a fait changer les choses ?
C'est grâce à l'association Libera. Créée en 1995, elle a rapidement lancé une pétition pour une loi d'initiative citoyenne. Cette pétition a recueilli un million de signatures. Dans la foulée, le projet de loi est examiné au Parlement et adopté en 1996. C’est donc à partir de là que l’on parle de réutilisation sociale des biens confisqués. Cela signifie que ces biens à la fois mobiliers et immobiliers sont remis à la disposition de la société.
Comment sont-ils réutilisés ?
De différentes manières. Certaines maisons peuvent devenir des bibliothèques, des écoles, des maisons médicales, des centres pour les personnes handicapées... Concernant les biens mobiliers, la justice a saisi beaucoup de voitures de luxe. Par exemple, la Lamborghini d’un boss de la Camorra (mafia napolitaine, ndlr) a été repeinte aux couleurs de la police locale. Une telle voiture sur le parking devant un commissariat, ça fait toujours son petit effet.
Cela envoie également un message. Ce qui est aussi le but recherché par la justice ?
Oui. Il y a vraiment une dimension symbolique. À Corleone, la villa de Toto Riina est devenue une caserne des Carabiniers. C'est vraiment le symbole que l’État se réapproprie les choses. Il remontre ainsi de manière matérielle sa présence tout en restituant quelque chose à la collectivité.
En France, depuis l'an dernier, une loi permet l'usage social des biens confisqués aux criminels. Même si l'utilité sociale n'est pas obligatoire comme en Italie, est- ce une manière de s'inspirer du modèle transalpin ?
En quelque sorte, oui. Cette disposition a été adoptée il y a peu de temps. Il y a, me semble-t-il, un seul bien qui a été attribué à une association d'anciennes prostituées dont le but est de se reconvertir et de changer de vie. Évidemment, il y a énormément à faire et il faut vraiment s’inspirer du modèle italien. Maintenant, la question est de savoir si on peut mettre en place un dispositif similaire de réutilisation sociale des biens sans avoir une législation qui permet de sanctionner le délit d’association mafieuse et donc de mettre en place la confiscation systématique des biens.
En Corse, les deux collectifs antimafia réclament un modèle à l'italienne et la création du "délit d'association mafieuse" dans le code pénal. Mais l'État et certains politiques rechignent à prononcer le mot mafia. Selon vous, est-ce dû à une différence culturelle avec l'Italie ?
Peut-être. Mais en Italie aussi, il s'est écoulé beaucoup de temps avant que le terme ne soit prononcé. C’est clairement au fil des assassinats qui touchaient des représentants de l’État que le mot s’est imposé dans le débat public. À un moment, on n'a plus pu fermer les yeux. Le terme mafia commence à apparaitre dans les années 60-70. Dans les années 80, l’État ne peut plus faire autrement que de reconnaitre l’existence des mafias et donc de créer un dispositif législatif spécifique.
Maintenant, concernant le cas français et celui de la Corse en particulier, il y a des magistrats qui travaillent sur la criminalité corse et qui demandent la création d’un délit d’association mafieuse. L'idée semble faire son chemin.
Comme évoqué sur le plateau d'In Tantu, les différents outils judiciaires de la lutte antimafia ont semble-t-il favorisé le développement d'une "culture de la légalité". A-t-elle pénétré toutes les régions touchées par la mafia ?
Clairement, la situation s'est améliorée et n’est quand même pas la même qu’il y a quelques années. Maintenant, cela dépend des endroits. Au fin fond de la Calabre, je pense qu’il y a encore une imperméabilité à la culture de la légalité. Il est très difficile d’atteindre certaines populations du rural à cause de l’emprise encore culturelle qu’a la ’Ndrangheta en particulier.
L'émission In Tantu in u Mediterraniu du 27 septembre :